[ENTRETIEN] : Entretien avec Thomas Bidegain (Soudain Seuls)
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Scénariste expérimenté qui s’est
lancé dans la réalisation avec Les Cowboys en 2015, Thomas
Bidegain sort ici son nouveau long-métrage, Soudain seuls. Le
film, suivant un couple forcé à survivre sur une île isolée, joue d’une
certaine sécheresse dans son décor pour mieux mettre en avant ses deux uniques
personnages. Il était donc intéressant de questionner le réalisateur sur sa
manière d’appréhender cet exercice d’adaptation savamment concentré sur ses
protagonistes.
Je cherchais une histoire d’aventure avant d’entendre parler à la radio du livre d’Isabelle et son résumé en une phrase était « C’est un couple sur une île déserte ». Je trouvais que c’était une bonne idée parce que cela pouvait fonctionner si l’on prenait au sérieux l’idée de ce couple et l’île déserte. - Thomas Bidegain
Comment avez-vous découvert le
livre d’Isabelle Autissier et qu’est-ce qui vous a motivé à l’adapter ?
Thomas Bidegain : J’avais
fait un premier film qui s’appelait Les Cowboys avec François
Damiens. C’était un film qui avait beaucoup de décors et de personnages. Je
cherchais une histoire plus intime. J’avais même commencé à regarder les bases
météo en Antarctique en me disant qu’il y avait peut-être quelque chose à faire
comme The Thing de Carpenter avec une équipe réduite. Je
cherchais une histoire d’aventure avant d’entendre parler à la radio du livre
d’Isabelle et son résumé en une phrase était « C’est un couple sur une île
déserte ». Je trouvais que c’était une bonne idée parce que cela pouvait
fonctionner si l’on prenait au sérieux l’idée de ce couple et l’île déserte.
J’ai adapté la première partie du livre parce que j’avais l’ambition de faire
un film qui soit à la fois très serré, intime et très large. J’aime ces films
d’aventure avec quelque chose qui nous embarque.
C’est passionnant car le couple
reste toujours au centre du récit.
Thomas Bidegain : Au moment
de l’écriture, et même au moment du tournage, j’avais envie que ce soit
l’histoire d’un couple et que l’on s’en fasse pour eux. C’est un film de survie
donc on s’inquiète pour la survie des personnages mais je voulais qu’on
s’inquiète aussi à un niveau au-dessus, pour la survie du couple. Est-ce qu’il
va vivre ? Est-ce qu’elle va survivre ? Surtout, est-ce que le couple
va survivre ? Il y a beaucoup de films d’aventure qui sont des films de
rencontre : deux personnages, qui ne se connaissent pas, que tout oppose
en général, vont prendre un avion ou un bateau, ils vont s’écraser, il va se
passer des tas de trucs et ils se retrouvent jetés dans l’aventure. On va voir
ensuite comment ils se rapprochent l’un de l’autre et à la fin, ils
s’embrassent, … On a souvent vu ces films-là. Je voulais quelque chose ici d’un
peu plus mûr avec un couple qui préexiste au récit. C’est vraiment l’histoire
que l’on peut se poser quand on est en couple : comment remet-on le
couvert ? Comment retrouver cet équilibre pour que chacun ne reste pas
planqué à sa place ? Comment redistribuer les cartes ? Cette histoire
permet de raconter ça.
Le choix du casting est à
souligner aussi, l’énergie respective de Gilles Lellouche et Mélanie Thierry
fonctionne très bien.
Thomas Bidegain : C’est un
truc que j’adore. Il y a quelque chose de très singulier dans l’idée de faire
un film avec deux personnages. On le voit parfois dans des films américains
comme African Queen. Là encore, tout les oppose. J’aime beaucoup
voir cet affrontement de comédiens qui jouent très différemment et c’est le cas
de Mélanie et Gilles. Même physiquement, ils sont très différents. Gilles est
gaillard et costaud et Mélanie est un plus petit format. Ça raconte quelque
chose sur le fait que ce n’est pas la force physique qui va surmonter les
choses mais la résistance et la détermination. Ces duos d’acteurs sont toujours
un bonheur à regarder.
Cela renforce également une forme
de bestialité, notamment dans une certaine séquence de manchots et ce qui
s’ensuit.
Thomas Bidegain : C’est comment les choses vont se retourner : comment on agit confrontés dans l’état de nature. Le meilleur n’est pas celui que l’on croit. Je ne m’en suis pas rendu compte directement mais, quand on écrit un film, on veut toujours parler du monde. Là, le monde depuis quelques temps est confronté à sa survie. En même temps, on voit que les rôles entre les hommes et les femmes sont bouleversés. Le couple est confronté à sa survie et du coup, l’équilibre entre l’homme et la femme va être remis en question et c’est ce qu’on vit actuellement.
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Quel a été le travail pour
trouver et tourner dans ce décor naturel ?
Thomas Bidegain : L’histoire
se situe au sud du Chili, à proximité de l’Antarctique, et c’était impossible
de tourner là-bas. J’ai beaucoup parlé avec Isabelle Autissier qui a
fréquemment navigué dans ces zones-là et elle m’a parlé des îles qui l’avaient
inspirée comme la Géorgie du Sud ou l’Île de la Déception. Ce sont des endroits
très arides, très minéraux, où il n’y a pas de plantes et très peu de vie
animale. J’ai cherché dans l’hémisphère nord des endroits qui soient comme ça.
C’est en Islande que j’ai trouvé quelque chose qui se rapproche à ça, où on ne
voit pas d’arbres. Il y a juste des cailloux et de la mousse. Ce sont des
décors qu’on n’est pas habitués à voir, comme ces lumières polaires. Cela donne
aussi quelque chose de très singulier dans le domaine de l’aventure car ils se
retrouvent projetés dans un lieu totalement inconnu.
Cela renforce également le besoin
de survie. Le spectateur se projette souvent sur ce qu’il pourrait faire pour
survivre alors qu’ici, il y a une sensation de sécheresse.
Thomas Bidegain : J’avais
envie qu’on tourne dans des endroits qui étaient magnifiques car on a deux
acteurs mais un troisième personnage : cette nature contre laquelle ils
vont se cogner. Il y a l’île. C’était un travail à faire au niveau du son, de
l’image, … C’est une nature qui donne et qui reprend, un Dieu Vengeur comme
dans les Écritures. C’était très important de faire exister cette île et de
trouver quelque chose de singulier pour qu’on soit pris avec eux. Il y a une
idée immersive dans ce film : prendre ces personnages et raconter leur
histoire en permanence à leur hauteur et à leur vitesse. C’était dès l’écriture
et à la réalisation de ne pas avoir d’avance sur eux. On voulait vraiment poser
le spectateur face à la question de ce qu’il ferait à leur place. On doit donc
avancer avec eux sans plus d’informations, on ne sait pas et on ne comprend pas
plus qu’eux. En tout cas, on avance et on sort petit à petit de la nuit avec
eux.
On ressent également un travail
sur les maquillages et sur certains trucages. Y a-t-il moyen d’expliciter un
peu plus ce qui a été fait en amont sur ce projet ?
Thomas Bidegain : Il y a eu
beaucoup de travail mais je voulais éviter que les acteurs viennent trop
préparés. C’est l’histoire d’un couple somme toute ordinaire plongé dans une
aventure extraordinaire dans un lieu qui l’est tout autant. S’ils arrivaient surmusclés,
sur-vitaminés, sur-préparés, ils avaient un coup d’avance. On a essayé de
tourner dans l’ordre vu qu’on n’avait que deux acteurs mais la météo… Il y a un
proverbe en Islande qui est « Si vous n’aimez pas la météo, attendez cinq
minutes ». C’était donc compliqué mais on a essayé autant que faire se
peut et les acteurs vivaient alors l’aventure en même temps. Ils découvraient
cet endroit, qui est magnifique et en même temps hostile. Ils vivaient un peu
ce que vivaient les personnages : ils arrivaient en trouvant le décor
merveilleux mais après plusieurs semaines, cela commençait à devenir dur tout
en continuant à s’émerveiller. Il y avait aussi quelque chose de dur car leur
régime alimentaire était restrictif. Il y avait donc en effet du maquillage qui
aidait à leur prestation mais ils restaient dans les conditions des
personnages.
C’est votre second long-métrage.
Est-ce qu’il y avait des appréhensions à ce sujet, encore plus vu le ton du
film ?
Thomas Bidegain : Il y a quelque chose dans la simplicité du récit qui m’a motivé. Ce n’est pas simple de raconter une histoire avec uniquement deux personnages. Il faut qu’il y ait des rebondissements, que l’histoire soit sans cesse nourrie. C’est un film d’aventure en plus, un récit intime mais à la fois de l’aventure donc il fallait constamment nourrir cette relation donc ce n’était pas simple. Mais, dans la réalisation, j’ai vraiment compris un truc sur la simplicité. J’avais fait ça un peu à la fin du montage dans le premier film et je l’ai refait ici. La plupart des plans sur lesquels j’avais beaucoup travaillé, que j’avais dessiné et qui étaient assez alambiqués, je les ai coupés au montage pour garder une chose simple. C’est comme si je me disais qu’il fallait me pousser pour mieux servir le film. Partout où je voyais ma main, je l’ai enlevée pour conserver quelque chose de très simple et que l’on ne sente pas la réalisation. On était dans des endroits merveilleux et c’était possible de faire des tas de trucs où on tournait autour des paysages, où on les découvrait avec eux, des choses qui étaient un peu démonstratives. Toutes ces choses-là, je les ai coupées au montage pour avoir justement la simplicité et un rapport très direct avec les personnages. Je pense que c’était la condition pour avoir un film à deux. Ce n’est pas tellement qu’il leur arrive des tas de trucs -enfin, si, bien sûr, un peu- mais il fallait qu’on soit très proches d’eux, qu’on conserve la proximité avec les personnages. Je trouve que cela passait avec leur intimité et avec ce niveau de réalisation.
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Cela donne envie de revoir le
film pour mieux apprécier cela tout en rendant curieux de ces images.
Thomas Bidegain : Il y avait
plein de moments avec des mouvements, quand elle traverse le glacier ou la
station. La caméra tournait autour, c’était très beau et il y avait une action
sur la façon dont elle découvrait le monde, des effets de perspective.
C’étaient des choses que je tournais avec la steadycam en courant. C’était très
beau et en même temps, c’était fabriqué. J’avais besoin d’une chose simple et
c’est sur son visage que je vais le lire donc j’ai décidé de rester dessus. Pas
la peine de tourner autour pour faire dire « oh, ça souligne
l’effet ». Justement, tout effet qui n’est pas souligné par les comédiens
et leurs visages perdait un peu de leur force. Il y a un truc très naturel dans
les performances de Mélanie et de Gilles qui sont merveilleuses. Mais il y a un
moment où le film devient la symphonie de Mélanie. Il n’y a plus de dialogues,
juste la nature et la force de la révélation du personnage qui se révèle à
lui-même. C’est ce que j’aime bien dans ce film parce qu’on part avec des
personnages assez normaux et on les découvre peu à peu avant qu’ils ne se
découvrent eux-mêmes. J’ai l’impression que ça monte et que ça gagne en souffle.
Je trouve ça heureux car ce n’est pas quelque chose que je voyais forcément au
scénario alors que je le vois vraiment dans le film.
Est-ce qu’il y a un dernier point
du film sur lequel vous souhaitez revenir ?
Thomas Bidegain : D’abord,
je tiens à dire qu’aucun manchot n’a été maltraité durant le tournage du film,
je n’ai maltraité que les comédiens ! Et puis, c’était formidable de faire
un film avec si peu. On avait besoin d’une équipe très mobile et on était une
dizaine au final avec deux comédiens. On a beaucoup changé, on se voyait le
matin et on modifiait des scènes, on enlevait des dialogues, on mettait deux
scènes en une, on changeait les lieux, … Il y avait une vraie capacité de
mobilité et cette adaptation de l’outil au propos et au film qu’on voulait
faire. J’ai l’impression que ça donne un peu une liberté à ce film et aux
comédiens la possibilité d’exister. Il y a quelque chose de très beau à la fin
du film. C’est court mais il y a quelque chose sur ces deux comédiens qui ont
avancé l’un et l’autre et même dans leur rapport entre eux, je trouve cela très
émouvant.
Propos recueillis par Liam Debruel.
Merci à Barbara Van Lombeek de The PR Factory pour
cet entretien.