[ENTRETIEN] : Entretien avec Jérémie Degruson (Les Inséparables)
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Le
studio d’animation belge NWave revient avec Les Inséparables, l’histoire d’une marionnette et d’une peluche se retrouvant par la force des
choses en pleine aventure dans Central Park. Son réalisateur, Jérémie Degruson,
a accepté de parler un peu plus longuement de son film avec nous.
Au début, c’était un script qui s’appelait « Q », comme Don Quichotte, qui était écrit par Joel Cohen et Alec Sokolow, qui sont deux américains qui vivent à New York et qui ont écrit une des versions de Toy Story à l’époque. Leur spécialité est de faire des buddy movies, des films de copains. - Jérémie Degruson
D’où
est venu le projet Les inséparables ?
Jérémie
Degruson : Au début, c’était un script qui s’appelait « Q »,
comme Don Quichotte, qui était écrit par Joel Cohen et Alec Sokolow, qui sont
deux américains qui vivent à New York et qui ont écrit une des versions de Toy Story à l’époque. Leur spécialité est de faire des
buddy movies, des films de copains. Je ne sais pas exactement quand il a
été écrit mais le studio NWave l’a optionné, comme on dit, il y a 10 ans. À un
moment, on s’est dit que l’on aimait le concept et on réécrit en général le
projet. C’était un peu plus proche de Don Quichotte à l’époque, le petit
nounours était un policier mais ça se passait déjà à Central Park. J’ai proposé
qu’il y ait un peu plus de contrastes et d’avoir un petit chien rappeur pour
que celui-ci puisse aussi écrire des choses tout en connectant mieux aux
générations actuelles. C’est devenu le projet « Don » en interne
avant de prendre comme nom officiel Les Inséparables pour mettre
en avant le duo dans le film. C’est aussi un nom qui fonctionne bien à
l’international. On fait des films en Belgique en images de synthèse donc on
doit l’exporter facilement.
Je
voulais justement rebondir sur la mise en avant du duo car ils constituent
effectivement le cœur du film. Même visuellement, on voit l’opposition entre la
marionnette en bois et la peluche, cela crée un contraste entre tradition et
modernité.
C’est
exactement ça ! Et c’est pour ça que j’ai poussé pour avoir un petit
chien rappeur plus qu’un nounours policier car cela créait un contraste plus
fort avec Don qui parle de façon plus vieillotte, surannée. Le seul univers
qu’il connaît, c’est ce vieux théâtre un peu poussiéreux. DJ Doggy Dog ne
connaît pas grand-chose mais il vient de la ville, il a ce côté urbain. À
partir du moment où les personnages sont très différents, cela permettait de
créer des étincelles, aussi bien au niveau narratif qu’au niveau comédie. C’est
ce qui est important quand on fait un buddy movie.
Est-ce
qu’il y a moyen d’élaborer un peu plus sur cette idée du changement d’animation ?
C’est
un truc que l’on n’a pas fait avant car notre style chez Nwave, c’est de la 3D
photoréaliste, avec un réalisme stylisé. Là, la question était de savoir
comment différencier de façon claire pour le public quand on était dans la
fantaisie et quand on était dans la vraie vie. C’est le directeur artistique
qui a proposé un type de traitement comme ça. Il fallait après pouvoir
l’appliquer ! (rires) On continue d’animer en 3D mais il y a un traitement
où on rajoute des bouts d’animation 2D ce qui fait qu’on a une rupture
graphique visuelle, ce qui prend ici tout son sens. C’est vrai qu’on a
désormais des effets du genre dans Spider-Verse et Le Chat
Potté 2. Ici, c’est vraiment dans un sens narratif car Don se l’invente
par rapport aux livres qu’il a lus. Cela vient donc quelque part
d’illustrations. Il s’invente des mondes en reprenant des éléments du théâtre
et au plus on avance dans l’histoire, au plus il intègre Central Park dans ses
fantaisies. Quand on a un rêve, on mélange des choses qu’on a vues il y a un
jour et d’autres il y a 5 ans et cela se mélange de façon What the fuck !
(rires) C’est ça que j’aime dans ce genre d’histoire : le côté surréaliste
des fantaisies. Il voit un balai, ça devient un troll dans un monde un peu
épique avec des éléments de la réalité qui restent quand même présents dans le
rêve.
Ça
résonne avec ce jeu sur les échelles qui est constant dans le film, notamment
dans la nature des jouets.
Je trouvais ça important, c’est ça qui est chouette. Quand on est enfant, on joue avec des Lego, des Playmobil, et on essaie d’avoir les mondes qui vont avec mais on n’a pas les décors. Je me rappelle que je prenais mon Playmobil, je le mettais sur la commode et je faisais comme s’il était sur le bord d’une falaise. C’est ça qui est marrant, cette fraîcheur quand on est enfant et qu’on s’imagine des choses. Don est un peu pareil, il a besoin de recréer des choses par rapport à ce qu’il voit. C’est vrai que, pour revenir à l’histoire des échelles, c’est pour cela qu’on le fait en animation aussi. Il fallait être avec ces personnages-là. C’est ce qui faisait le charme de Toy Story aussi et d’autres films avant comme Le petit grille-pain courageux ou Casse-Noisette. Toy story n’a pas inventé le concept du jouet qui devient vivant, Pinocchio était déjà comme ça. Après, Pinocchio ne joue pas tellement sur les échelles.
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Alors
qu’ici, le décor new yorkais et l’ampleur de Central Park renforcent le besoin
de connexion des personnages et les enjeux du film.
Ce qui
est marrant pour eux, c’est que Central Park, à leur échelle, c’est comme le
Mordor ! Les gratte-ciels sont des montagnes et un petit lac devient une
mer. C’est ça qui est chouette de jouer dessus, leur perspective est vraiment
différente des humains. Il fallait vraiment mettre ça en place dans la mise en
scène.
Il y a
eu une énorme évolution technique dans les films du studio, notamment sur le
travail de la lumière. Comment décririez-vous cet aspect ?
C’est
un peu intrinsèque à notre métier de se remettre en question, de toujours faire
un peu de recherche et développement, de trouver les nouveaux outils qui
peuvent aider. Les moteurs de rendu évoluent au fur et à mesure, le savoir-faire
interne aussi de plus en plus. On fait en sorte que les personnages prennent
mieux la lumière, que le compositing soit plus poussé qu’avant. Je pense qu’il
y a plus d’expérience et de savoir-faire. C’est quelque chose qui mérite de
plus discuter avec notre directeur artistique mais je crois qu’on a changé de
système de lighting par exemple entre Bigfoot Junior et Bigfoot Family. Les personnages avaient été remodélisés pour
mieux capter la lumière. Cette expérience se retrouve dans Hopper puis ici.
Vous-même,
en tant que réalisateur, comment sentez-vous votre évolution ?
C’est
ici mon quatrième film à la réalisation. Au début, j’étais en coréalisation
avec Ben Stassens mais il me laissait de plus en plus prendre en main des
choses différentes. Ici, je suis seul à bord. Quatre films, c’est déjà de
l’expérience. J’en ai beaucoup plus qu’avant, tout comme du savoir-faire. Même
si j’ai 50 ans, on reste éternellement étudiant et on évolue au fur et à
mesure. Au début, là où j’avais des points où j’étais plus rigide, je suis plus
ouvert maintenant à tester des choses plus différentes. Certains journalistes
m’ont dit que ma patte commençait à se retrouver et que « Les
inséparables » est un blockbuster d’auteur. On sent qu’il y a des
thématiques qui reviennent à chaque fois. Et en termes de réalisation, cela
reste toujours un challenge. Chaque film est un prototype. Il y a beaucoup de
choses qui ont changé entre les deux Bigfoot. Ici, c’était plus
compliqué car il y a ce côté un peu méta entre fantaisie et monde réel. On a
aussi la partie musicale qui nous a poussés à écrire des chansons. C’est une
première pour le studio de faire une comédie musicale. J’ai adoré mais ça a
pris beaucoup de choses à mettre en place.
À ce
propos, est-ce que c’était envisagé dès l’écriture de se clôturer sur ce
morceau musical ?
Cela
s’est produit au niveau de la mise en scène. On savait qu’on terminait sur une
note haute donc quelques trucs étaient écrits. L’idée était que chacun a évolué
dans son art. Au début, on voulait que ce spectacle de marionnettes soit un peu
cheap, ringard, avant d’avoir à la fin un truc Broadway pour souligner
l’évolution, pas que de Don et de DJ mais aussi du groupe, montrer que tout
cela a changé les personnages. C’est moi qui ai dit « OK, on fait une
comédie musicale ! ». Tout le monde était motivé. Et après, on s’est
demandé comment on allait faire ça (rires). Au début, on se demandait s’il
fallait faire juste une chanson ou plutôt se concentrer sur la réalisation. On
a parlé aussi avec les membres du groupe Puggy qui préféraient qu’il y ait une
première trame. Il y avait déjà des trucs dans le script, j’ai rajouté d’autres
choses dans le script et de ça, ils ont fait une chanson complète, ont modifié
d’autres choses. On a fait des allers-retours dès la première musique,
storyboard, musique, storyboard, musique, avant de faire chanter les acteurs. C’est
un process que j’ai adoré. On a aussi travaillé sur une chorégraphie. On a de
très bons animateurs mais il arrive un moment où, pour faire une chorégraphie
un peu plus Broadway, on devait avoir recours à un chorégraphe. On a eu de la
chance de travailler avec Chris Marques, qui est passé dans « Danse avec
les stars ». Je le connaissais de nom mais c’est un gars hyper génial. Il
travaille avec sa femme, Jacqueline, et c’est marrant car on a eu un langage
commun en une minute. En plus, c’est un super geek. C’est lui qui s’occupe de
faire les fonds sur son spectacle, il travaille sur Unreal. Il est super doué
tout étant scénographe. Il fait ses montages, ses trucs 3D, etc. C’était génial
car on a fait quelques allers-retours, je voulais qu’il propose des choses
aussi et c’était chouette. Après, c’est une expérience sur une partie du film
que j’ai beaucoup aimée.
Sur la
même lancée, comment s’est déroulée votre relation avec Puggy ? Vous avez
déjà travaillé ensemble sur les films Bigfoot.
C’est amusant car, sur Bigfoot Junior, on leur a demandé de faire du Puggy, des trucs assez pop. Sur Bigfoot Family, on leur a demandé un peu plus de score. Ici, on leur a demandé des choses différentes. Déjà, c’était la première chose qu’on travaillait aussi tôt dans le process car on devait créer des chansons. Je suis assez drivé par la musique. Ici, je travaille sur un nouveau film et je mets déjà les musiques et les dialogues. Je ferme les yeux et j’ai déjà une continuité dans la tête. Donc là, j’adore car on expérimente des choses. Je pars parfois un peu trop en live avant qu’ils me recentrent. Ils font des apports créatifs assez géniaux. On s’écoute, on collabore, c’est vraiment sympa comme relation. C’est vraiment le premier film sur lequel on travaille aussi fort main dans la main à plein de niveaux.
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Le film
constitue une ode à l’imagination et à la création. On imagine que ce sont des
thématiques qui vous touchent personnellement.
Je suis
réalisateur de dessin animé, c’est un métier qui appelle déjà à l’imaginaire.
Cela me parle beaucoup ainsi qu’à beaucoup d’artistes vu qu’on passe le plus
souvent d’adolescents normaux à Stromae ou à Stanley Kubrick (rires). Ce que
j’aime dans les biopics, c’est de voir comment les personnages étaient quand
ils étaient enfants. Par exemple dans Rocketman, on voit depuis
le début le process de comment il est devenu cet artiste. Je n’aime pas du tout
les biopics où ça démarre juste à un moment de la vie, sans savoir comment il
est arrivé là. J’aime voir comment on devient d’un enfant une star, un artiste
accompli. Ici, c’est très over the top et ultra simplifié mais c’est ça en
gros. DJ Doggy Dog passe de sa petite voix enregistrée à créer un spectacle
Broadway à la fin. Peut-être qu’à 5 ans, Stromae ne faisait que taper sur la
table pour créer du son avant de devenir qui il est maintenant. Cela peut être
pour n’importe qui : comment les gens développent leur art. Après, je
pense qu’il y a moyen de pousser encore plus loin. Ici, je travaille sur un
autre film qui sera beaucoup plus de la comédie pure, ce sera très différent. Je
sens qu’on va retrouver tout ce qui était dans les films avant dans le
prochain.
Concernant
votre regard sur l’animation actuelle, vous parliez tout à l’heure de Spider-Man et du Chat Potté 2. Il y a une plus
grande démocratisation d’esthétiques particulières et de changements de
stylisation, comme dans ces films ou le vôtre.
Cela a
toujours été fait de tester ces traitements graphiques mais à l’époque sur des
films plus d’auteur. Ce qui est intéressant avec Le Chat Potté mais surtout Spider-Verse, c’est que cela a montré un grand
changement dans l’industrie de voir des films plus mainstream. Ça a démontré
que l’audience large accepte cette rupture visuelle. Cela rentre dans la
grammaire cinématographique de l’animation pour un large public. C’est ça qui
nous a aussi rassurés : on prend des risques pour nous mais cela a déjà
été fait donc le public n’est pas déboussolé par ces changements.
Propos recueillis par Liam Debruel.
Merci à Marie-France Dupagne de The PR Factory pour cette interview.