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[ENTRETIEN] : Entretien avec Jérémie Degruson (Les Inséparables)

Copyright 2023 nWave Pictures SRL – OCTOPOLIS SAS - A Contracorriente Films - All Rights Reserved.

Le studio d’animation belge NWave revient avec Les Inséparables, l’histoire d’une marionnette et d’une peluche se retrouvant par la force des choses en pleine aventure dans Central Park. Son réalisateur, Jérémie Degruson, a accepté de parler un peu plus longuement de son film avec nous.

Au début, c’était un script qui s’appelait « Q », comme Don Quichotte, qui était écrit par Joel Cohen et Alec Sokolow, qui sont deux américains qui vivent à New York et qui ont écrit une des versions de Toy Story à l’époque. Leur spécialité est de faire des buddy movies, des films de copains. - Jérémie Degruson

D’où est venu le projet Les inséparables ?

Jérémie Degruson : Au début, c’était un script qui s’appelait « Q », comme Don Quichotte, qui était écrit par Joel Cohen et Alec Sokolow, qui sont deux américains qui vivent à New York et qui ont écrit une des versions de Toy Story à l’époque. Leur spécialité est de faire des buddy movies, des films de copains. Je ne sais pas exactement quand il a été écrit mais le studio NWave l’a optionné, comme on dit, il y a 10 ans. À un moment, on s’est dit que l’on aimait le concept et on réécrit en général le projet. C’était un peu plus proche de Don Quichotte à l’époque, le petit nounours était un policier mais ça se passait déjà à Central Park. J’ai proposé qu’il y ait un peu plus de contrastes et d’avoir un petit chien rappeur pour que celui-ci puisse aussi écrire des choses tout en connectant mieux aux générations actuelles. C’est devenu le projet « Don » en interne avant de prendre comme nom officiel Les Inséparables pour mettre en avant le duo dans le film. C’est aussi un nom qui fonctionne bien à l’international. On fait des films en Belgique en images de synthèse donc on doit l’exporter facilement.

Je voulais justement rebondir sur la mise en avant du duo car ils constituent effectivement le cœur du film. Même visuellement, on voit l’opposition entre la marionnette en bois et la peluche, cela crée un contraste entre tradition et modernité.

C’est exactement ça ! Et c’est pour ça que j’ai poussé pour avoir un petit chien rappeur plus qu’un nounours policier car cela créait un contraste plus fort avec Don qui parle de façon plus vieillotte, surannée. Le seul univers qu’il connaît, c’est ce vieux théâtre un peu poussiéreux. DJ Doggy Dog ne connaît pas grand-chose mais il vient de la ville, il a ce côté urbain. À partir du moment où les personnages sont très différents, cela permettait de créer des étincelles, aussi bien au niveau narratif qu’au niveau comédie. C’est ce qui est important quand on fait un buddy movie.

Est-ce qu’il y a moyen d’élaborer un peu plus sur cette idée du changement d’animation ?

C’est un truc que l’on n’a pas fait avant car notre style chez Nwave, c’est de la 3D photoréaliste, avec un réalisme stylisé. Là, la question était de savoir comment différencier de façon claire pour le public quand on était dans la fantaisie et quand on était dans la vraie vie. C’est le directeur artistique qui a proposé un type de traitement comme ça. Il fallait après pouvoir l’appliquer ! (rires) On continue d’animer en 3D mais il y a un traitement où on rajoute des bouts d’animation 2D ce qui fait qu’on a une rupture graphique visuelle, ce qui prend ici tout son sens. C’est vrai qu’on a désormais des effets du genre dans Spider-Verse et Le Chat Potté 2. Ici, c’est vraiment dans un sens narratif car Don se l’invente par rapport aux livres qu’il a lus. Cela vient donc quelque part d’illustrations. Il s’invente des mondes en reprenant des éléments du théâtre et au plus on avance dans l’histoire, au plus il intègre Central Park dans ses fantaisies. Quand on a un rêve, on mélange des choses qu’on a vues il y a un jour et d’autres il y a 5 ans et cela se mélange de façon What the fuck ! (rires) C’est ça que j’aime dans ce genre d’histoire : le côté surréaliste des fantaisies. Il voit un balai, ça devient un troll dans un monde un peu épique avec des éléments de la réalité qui restent quand même présents dans le rêve.

Ça résonne avec ce jeu sur les échelles qui est constant dans le film, notamment dans la nature des jouets. 

Je trouvais ça important, c’est ça qui est chouette. Quand on est enfant, on joue avec des Lego, des Playmobil, et on essaie d’avoir les mondes qui vont avec mais on n’a pas les décors. Je me rappelle que je prenais mon Playmobil, je le mettais sur la commode et je faisais comme s’il était sur le bord d’une falaise. C’est ça qui est marrant, cette fraîcheur quand on est enfant et qu’on s’imagine des choses. Don est un peu pareil, il a besoin de recréer des choses par rapport à ce qu’il voit. C’est vrai que, pour revenir à l’histoire des échelles, c’est pour cela qu’on le fait en animation aussi. Il fallait être avec ces personnages-là. C’est ce qui faisait le charme de Toy Story aussi et d’autres films avant comme Le petit grille-pain courageux ou Casse-Noisette. Toy story n’a pas inventé le concept du jouet qui devient vivant, Pinocchio était déjà comme ça. Après, Pinocchio ne joue pas tellement sur les échelles.

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Alors qu’ici, le décor new yorkais et l’ampleur de Central Park renforcent le besoin de connexion des personnages et les enjeux du film.

Ce qui est marrant pour eux, c’est que Central Park, à leur échelle, c’est comme le Mordor ! Les gratte-ciels sont des montagnes et un petit lac devient une mer. C’est ça qui est chouette de jouer dessus, leur perspective est vraiment différente des humains. Il fallait vraiment mettre ça en place dans la mise en scène.

Il y a eu une énorme évolution technique dans les films du studio, notamment sur le travail de la lumière. Comment décririez-vous cet aspect ?

C’est un peu intrinsèque à notre métier de se remettre en question, de toujours faire un peu de recherche et développement, de trouver les nouveaux outils qui peuvent aider. Les moteurs de rendu évoluent au fur et à mesure, le savoir-faire interne aussi de plus en plus. On fait en sorte que les personnages prennent mieux la lumière, que le compositing soit plus poussé qu’avant. Je pense qu’il y a plus d’expérience et de savoir-faire. C’est quelque chose qui mérite de plus discuter avec notre directeur artistique mais je crois qu’on a changé de système de lighting par exemple entre Bigfoot Junior et Bigfoot Family. Les personnages avaient été remodélisés pour mieux capter la lumière. Cette expérience se retrouve dans Hopper puis ici.

Vous-même, en tant que réalisateur, comment sentez-vous votre évolution ?

C’est ici mon quatrième film à la réalisation. Au début, j’étais en coréalisation avec Ben Stassens mais il me laissait de plus en plus prendre en main des choses différentes. Ici, je suis seul à bord. Quatre films, c’est déjà de l’expérience. J’en ai beaucoup plus qu’avant, tout comme du savoir-faire. Même si j’ai 50 ans, on reste éternellement étudiant et on évolue au fur et à mesure. Au début, là où j’avais des points où j’étais plus rigide, je suis plus ouvert maintenant à tester des choses plus différentes. Certains journalistes m’ont dit que ma patte commençait à se retrouver et que « Les inséparables » est un blockbuster d’auteur. On sent qu’il y a des thématiques qui reviennent à chaque fois. Et en termes de réalisation, cela reste toujours un challenge. Chaque film est un prototype. Il y a beaucoup de choses qui ont changé entre les deux Bigfoot. Ici, c’était plus compliqué car il y a ce côté un peu méta entre fantaisie et monde réel. On a aussi la partie musicale qui nous a poussés à écrire des chansons. C’est une première pour le studio de faire une comédie musicale. J’ai adoré mais ça a pris beaucoup de choses à mettre en place.

À ce propos, est-ce que c’était envisagé dès l’écriture de se clôturer sur ce morceau musical ?

Cela s’est produit au niveau de la mise en scène. On savait qu’on terminait sur une note haute donc quelques trucs étaient écrits. L’idée était que chacun a évolué dans son art. Au début, on voulait que ce spectacle de marionnettes soit un peu cheap, ringard, avant d’avoir à la fin un truc Broadway pour souligner l’évolution, pas que de Don et de DJ mais aussi du groupe, montrer que tout cela a changé les personnages. C’est moi qui ai dit « OK, on fait une comédie musicale ! ». Tout le monde était motivé. Et après, on s’est demandé comment on allait faire ça (rires). Au début, on se demandait s’il fallait faire juste une chanson ou plutôt se concentrer sur la réalisation. On a parlé aussi avec les membres du groupe Puggy qui préféraient qu’il y ait une première trame. Il y avait déjà des trucs dans le script, j’ai rajouté d’autres choses dans le script et de ça, ils ont fait une chanson complète, ont modifié d’autres choses. On a fait des allers-retours dès la première musique, storyboard, musique, storyboard, musique, avant de faire chanter les acteurs. C’est un process que j’ai adoré. On a aussi travaillé sur une chorégraphie. On a de très bons animateurs mais il arrive un moment où, pour faire une chorégraphie un peu plus Broadway, on devait avoir recours à un chorégraphe. On a eu de la chance de travailler avec Chris Marques, qui est passé dans « Danse avec les stars ». Je le connaissais de nom mais c’est un gars hyper génial. Il travaille avec sa femme, Jacqueline, et c’est marrant car on a eu un langage commun en une minute. En plus, c’est un super geek. C’est lui qui s’occupe de faire les fonds sur son spectacle, il travaille sur Unreal. Il est super doué tout étant scénographe. Il fait ses montages, ses trucs 3D, etc. C’était génial car on a fait quelques allers-retours, je voulais qu’il propose des choses aussi et c’était chouette. Après, c’est une expérience sur une partie du film que j’ai beaucoup aimée.

Sur la même lancée, comment s’est déroulée votre relation avec Puggy ? Vous avez déjà travaillé ensemble sur les films Bigfoot.

C’est amusant car, sur Bigfoot Junior, on leur a demandé de faire du Puggy, des trucs assez pop. Sur Bigfoot Family, on leur a demandé un peu plus de score. Ici, on leur a demandé des choses différentes. Déjà, c’était la première chose qu’on travaillait aussi tôt dans le process car on devait créer des chansons. Je suis assez drivé par la musique. Ici, je travaille sur un nouveau film et je mets déjà les musiques et les dialogues. Je ferme les yeux et j’ai déjà une continuité dans la tête. Donc là, j’adore car on expérimente des choses. Je pars parfois un peu trop en live avant qu’ils me recentrent. Ils font des apports créatifs assez géniaux. On s’écoute, on collabore, c’est vraiment sympa comme relation. C’est vraiment le premier film sur lequel on travaille aussi fort main dans la main à plein de niveaux.

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Le film constitue une ode à l’imagination et à la création. On imagine que ce sont des thématiques qui vous touchent personnellement.

Je suis réalisateur de dessin animé, c’est un métier qui appelle déjà à l’imaginaire. Cela me parle beaucoup ainsi qu’à beaucoup d’artistes vu qu’on passe le plus souvent d’adolescents normaux à Stromae ou à Stanley Kubrick (rires). Ce que j’aime dans les biopics, c’est de voir comment les personnages étaient quand ils étaient enfants. Par exemple dans Rocketman, on voit depuis le début le process de comment il est devenu cet artiste. Je n’aime pas du tout les biopics où ça démarre juste à un moment de la vie, sans savoir comment il est arrivé là. J’aime voir comment on devient d’un enfant une star, un artiste accompli. Ici, c’est très over the top et ultra simplifié mais c’est ça en gros. DJ Doggy Dog passe de sa petite voix enregistrée à créer un spectacle Broadway à la fin. Peut-être qu’à 5 ans, Stromae ne faisait que taper sur la table pour créer du son avant de devenir qui il est maintenant. Cela peut être pour n’importe qui : comment les gens développent leur art. Après, je pense qu’il y a moyen de pousser encore plus loin. Ici, je travaille sur un autre film qui sera beaucoup plus de la comédie pure, ce sera très différent. Je sens qu’on va retrouver tout ce qui était dans les films avant dans le prochain.

Concernant votre regard sur l’animation actuelle, vous parliez tout à l’heure de Spider-Man et du Chat Potté 2. Il y a une plus grande démocratisation d’esthétiques particulières et de changements de stylisation, comme dans ces films ou le vôtre.

Cela a toujours été fait de tester ces traitements graphiques mais à l’époque sur des films plus d’auteur. Ce qui est intéressant avec Le Chat Potté mais surtout Spider-Verse, c’est que cela a montré un grand changement dans l’industrie de voir des films plus mainstream. Ça a démontré que l’audience large accepte cette rupture visuelle. Cela rentre dans la grammaire cinématographique de l’animation pour un large public. C’est ça qui nous a aussi rassurés : on prend des risques pour nous mais cela a déjà été fait donc le public n’est pas déboussolé par ces changements.


Propos recueillis par Liam Debruel.

Merci à Marie-France Dupagne de The PR Factory pour cette interview.