[ENTRETIEN] : Entretien avec Salim Kechiouche (L'enfant du paradis)
Copyright La Vingt-Cinquième Heure |
L’enfant du paradis est le premier long-métrage de Salim Kechiouche, qui interprète également le personnage principal Yazid, un acteur au passé trouble. Lors de la promotion du film, nous avons pu parler avec lui de sa mise en scène, de l’écriture du personnage et de son choix d’intégrer des images de sa mère et de son enfance dans le montage.
Je trouve qu’à travers le corps, on peut s’exprimer autant qu’à travers les mots.
Écrire et réaliser étaient-ils, pour vous, une trajectoire logique dans votre carrière ?
C’est une chose qui me trotte dans la tête depuis longtemps. Depuis la primaire même. J’aimais écrire des histoires, j’avais gagné un concours de dissertation en CE2 ! C’est très marrant que vous me posiez cette question parce que, plus tôt dans la journée, j’ai eu un ami au téléphone, avec qui j’ai commencé à écrire un premier scénario quand j’avais dix-huit, dix-neuf ans. Nous avions essayé de le monter mais ça ne s'est jamais fait. Quand j’ai rencontré le premier réalisateur avec qui j’ai tourné, par hasard parce qu’il faisait un casting sauvage, je lui ai dit que je voulais être réalisateur et que je faisais des films avec le caméscope de mon père. Être acteur c’est venu comme… J’allais dire comme une facilité mais c’était plutôt comme une évidence. Le métier me plaisait aussi, de toute façon tout ce qui avait attrait au cinéma me plaisait. J’ai mis un peu de côté cette envie d’écrire et de réaliser mais elle était toujours là. Ce sont des temporalités différentes, c’est-à-dire que produire un film demande un temps considérable. Un temps que je n’avais pas parce qu’il fallait que je travaille pour gagner ma vie. Devenir acteur était une manière d’entrer dans ce monde, en travaillant directement. Pour en arriver là aujourd’hui.
Qu’est-ce qui a déclenché l’écriture de ce film en particulier ?
Le décès de mon meilleur ami, survenu en 2009. J’avais écrit des choses pour moi, comme ça. Je ne comptais pas forcément en faire un film. J’avais d’autres sujets, que j’aimerais développer un jour. Mais quand il a fallu sortir le sujet un peu viscéral, qu’on allait tourner en guérilla, à l’arrache, je me suis dit que c’était le scénario le plus ancré en moi. Le film n’est en aucun cas une biographie, il est plutôt un mélange de plusieurs choses, la plupart totalement fictionnelles.
On dit souvent que jouer un rôle, en tant que comédien, est un moyen de se dévoiler. Est-ce que le choix d’intégrer des images de votre mère dans le film était un moyen de se dévoiler en tant que cinéaste ?
Je me disais que pour un premier film – en tout cas pour pallier le manque de moyen – il fallait être à 100% sincère et authentique. Une histoire qui m’appartienne. En fin de compte, elle ne m’appartient plus, parce que c’est une fiction et que maintenant c’est le public qui va se l’accaparer. Comme on dit, c’est comme un enfant qu’on lâche dans la nature une fois qu’il a grandi. Je n’y croyais pas mais c’est vrai !
Vous positionnez la mère comme un personnage fantomatique, dont l’absence hante Yazid. Peut-on dire que la mère est le point central de ses problèmes ?
Oui c’est juste. Le deuil est de toute façon le point central du film. Le deuil de la mère, le deuil de mon ami à qui je dédie le film. Le film parle de ça, de comment, quand on a une carence comme celle-ci dans notre vie, on peut réussir à s’en sortir. Mais ce n’est pas forcément ça qui va nous sauver, au contraire. Ça peut même être la cause de notre chute.
Copyright La Vingt-Cinquième Heure |
C’est intéressant de voir que Yazid ne se rend pas compte qu’il chute justement, alors que pour le public, il est clair que nous sommes face à une descente aux enfers.
Parfois, on ne se rend pas compte que l’on glisse vers le mauvais côté. C’est ce qui rend la souffrance de Yazid universel, je pense qu’on a tous et toutes vécu un moment de notre vie où nous sentons que tout peut basculer. Savoir garder le cap est aussi un thème du film. Se battre pour qui on est, pour ses idées, le fait de s’affirmer en tant que personne. Essayer d’assumer les erreurs du passé. Continuer d’avancer. Et malgré tout, aller de l’avant.
Comment en êtes-vous arrivés à jouer le rôle principal du film ?
C’est arrivé par la force des choses. Je ne me suis pas dit “je vais jouer dedans, comme ça je vais pouvoir me mettre en avant en tant qu’acteur”, ce n’était pas du tout l’idée. C’était un peu par nécessité, un peu par facilité aussi de se dire que je n’allais pas perdre de temps à expliquer à un comédien ce que j’avais dans la tête, ce que je voulais faire. Ça nous arrangeait aussi au niveau du budget, pour être honnête, que je fasse le rôle sans être payé [rires]. Enfin un minimum quoi, vraiment symbolique.
Il y a une certaine tension tout le long du film, qui j'imagine est une volonté artistique. Mais est-ce que ce mode de tournage “guérilla” n'a pas aidé à fabriquer cette tension ?
Ah oui, ça découle aussi de ça ! C’était une volonté, c’est sûr. Je voulais que le récit soit tendu. Si le film est aussi court, c’est également pour cette raison, je ne voulais pas que le film perde son rythme. C’est un film coup de poing. Mais la tension vient aussi des contraintes de tournage effectivement. On tournait en conditions réelles. On ne pouvait pas se permettre de privatiser une plage par exemple, ou une boîte de nuit. Le tournage était en constante adaptation, c’est-à-dire trouver des idées dans la minute, pour pouvoir tourner la scène sans déranger le lieu et les personnes qui s’y trouvaient. On faisait les choses en immersion, comme un documentaire. Et c’est ce qui donne ce côté urgence réelle dans le film.
La caméra ne lâche jamais votre personnage, presque comme si elle avait peur de ce qui pourrait arriver si elle se détournait de lui. Parlez-moi de ce choix de mise en scène très organique.
La caméra est proche de tout le monde, elle n’est pas forcément centrée sur Yazid. Je voulais qu’on sente chaque personnage, qu’ils soient proches de nous. Qu’ils soient vrais. Je ne traite aucun personnage comme un petit rôle, chaque personne a son importance dans le cadre, même le cousin que l’on voit trente secondes dans la maison de vacances. Il n’était pas rare que mon chef opérateur me fasse remarquer que l’on avait pas fait de plans larges dans la journée de tournage ! En fait, je n’aime pas les plans d’establishing comme on dit, quand on découvre petit à petit l’univers du film en resserrant les échelles de plans. Je voulais qu’on rentre directement dans le vif du sujet, quitte à perdre un peu le spectateur, qu’il se demande où il est. Que le spectateur soit amené à réfléchir aussi, en suivant les personnages. C’est un film pensé pour le cinéma. Je veux dire par là que c’est un film pensé pour laisser quelque chose aux spectateurs. Je déteste quand un film nous prend par la main, qu’on nous explique constamment les enjeux du récit comme si nous n’étions pas capable de les comprendre.
C’est ce qui est marquant dans votre film, cette façon de jeter le spectateur directement dans l’univers du récit.
Surtout que les enjeux, on les comprend petit à petit, même s’ils arrivent par bribe. J’aime bien cette façon de raconter une histoire. Dans la vie, on ne nous explique pas toujours tout. C’est bien aussi de juste se laisser porter par un récit et de chercher nous-même ce qu’il a à nous dire. Aujourd’hui, il y a beaucoup de films qui veulent trop expliquer et ça me dérange un peu.
Copyright La Vingt-Cinquième Heure |
Je rebondis sur ce que vous avez dit sur les personnages secondaires. La tension vient aussi du fait qu’on finit par être sur le qui-vive à chaque rencontre que fait Yazid parce que c’est par ce biais que l’on apprend à connaître le personnage.
Oui exactement, ils apportent une nouvelle vision de Yazid. On peut arriver à comprendre des personnes en faisant attention à leur façon de communiquer avec les autres.
La communication, qui est assez violente entre les personnages, passe aussi par la gestuelle du corps dans le film.
Avec les autres acteurs du film, on a retracé tout l’historique des rapports familiaux entre les personnages. On a beaucoup travaillé en amont pour savoir exactement quelles émotions allaient ressortir dans leur communication, les sentiments, les rancœurs, etc… Je voulais que l’on ressente dans la mise en scène quelque chose de charnel. Il y a de la violence c’est vrai, mais il y a aussi de l’amour, des étreintes, de la sensualité, de la danse. Je trouve qu’à travers le corps, on peut s’exprimer autant qu’à travers les mots.
Par la gestuelle, vous montrez la tendresse de Yazid, sa gentillesse envers sa grand-mère, sa vulnérabilité, vous montrez son corps qui danse. Vous montrez aussi sa colère, sa rigueur envers lui-même. Cette ambivalence, était-ce une façon de parler de masculinité à l’écran et d’en proposer une autre vision ?
Il est facile d’être cliché avec ce genre de personnage, viril, qui a grandi en cité. La vulnérabilité, c’est souvent un élément de caractérisation que l’on ne montre pas sur des personnages masculins. Et ça m'intéresse d’aller vers ce qu’on ne montre pas habituellement. Mon but était de trouver de l’humanité dans mes personnages.
Propos recueillis par Laura Enjolvy
Merci à Anne-Lise Kontz et Paul Chaveroux