[CRITIQUE] : The Soiled Doves of Tijuana
Réalisateur : Jean-Charles Hue
Avec : -
Distributeur : The Dark
Budget : -
Genre : Documentaire
Nationalité : Français
Durée : 1h22min
Synopsis :
Je vais régulièrement à Tijuana depuis plus de 15 ans et j’y croise depuis toujours les silhouettes fantomatiques de femmes qui hantent les lieux. Je les appelle « les dames blanches ».
Je vais régulièrement à Tijuana depuis plus de 15 ans et j’y croise depuis toujours les silhouettes fantomatiques de femmes qui hantent les lieux. Je les appelle « les dames blanches ».
Critique :
Entre 2 mondes, le réel et l’irréel, entre 2 ambiances, la rue et l’intérieur, #TheSoiledDovesofTijuana sonde sans pathos l’existence d'une poignée de femmes, intéressé par le magnétisme des corps qu’il filme qu'à ce qu’ils renvoient de détresse et de pauvreté. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/wpR6ciwZRd
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) December 5, 2023
Dans son nouveau documentaire, Jean-Charles Hue met en lumière ces “dames blanches” comme il les appelle, ces femmes qui errent dans les rues de la Zona Norte, le quartier rouge de Tijuana. Des Dames blanches qui n’ont rien à voir avec la légende fantomatique. L’expression vient des États-Unis, à l’époque de la conquête de l’Ouest, “the white soiled doves” qui désignait les prostituées, dont est tiré le titre du film, The Soiled Doves of Tijuana.
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Dans l’obscurité, son visage éclairé seulement par le feu, Yolanda se maquille, les flammes se reflétant sur ses lunettes de soleil. Cette séquence, qui ouvre le documentaire, donne le ton de l’ensemble : une caméra mobile, qui cherche à cerner l’intime. Jean-Charles Hue se positionne comme un observateur invisible, dont le cadre serait les yeux scrutateurs. Seuls quelques regards caméras, des passants et de certaines femmes qu’il filme, viennent entacher la discrétion du cinéaste. Sans artifice, ni voix-off, la caméra suit ses sujets dans leur quotidien. Après l’obscurité de l’incipit, The Soiled Doves of Tijuana ne quitte pas, pendant le quart d’heure qui suit, la lumière du jour, comme pour se dédouaner de toute tentation voyeuriste et misérabiliste. Le film montre la rue comme un personnage à part entière. Ses façades colorées, ses habitant⋅es qui prennent possession de la rue et y résident, devenant aussi familiers que les peintures murales.
Trois femmes attirent la caméra, par leur vulnérabilité, leur joug verbal ou leur mouvement et se détachent du cadre, au fur et à mesure. Erratique dans sa narration, à l’image du quotidien de Yolanda, Mimosa et Clementina, rythmé par la rue et la prise de drogue, le documentaire peint par petite touche un portrait touchant de la marginalité, sans contexte extérieur. Nous ne saurons rien de leur passé. Leur présent intéresse beaucoup plus le cinéaste, pour qui le corps dessine mieux leur vie que des mots. Il n’existe aucune distance entre ses protagonistes et lui, aucune pudeur, comme s’il essayait de comprendre le flou que constitue leur esprit. Peut-être y voit-il une certaine beauté. Une beauté que The Soiled Doves of Tijuana semble vouloir retranscrire lors de séquences presque irréelles tant le cadre fait abstraction du portrait pour plonger dans la sublimation de l’image. Des bijoux deviennent des paillettes de lumière, le corps nu de Mimosa, dans le flou, fascine quand il se meut. Un corps qui ne porte plus les stigmates d’une vie à la marge et qui, à la lumière, devient angélique. La “colombe souillée” devient un ange.
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Entre deux mondes, le réel et l’irréel, entre deux ambiances, la rue et l’intérieur, The Soiled Doves of Tijuana sonde l’existence de ces femmes, dans une volonté dénuée de pathos. Jean-Charles Hue est plus intéressé par le magnétisme des corps qu’il filme qu'à ce qu’ils renvoient, de détresse et de pauvreté. Pourtant, une légère fausse note apparaît quand le cadre scrute la danse extatique de Clementina ou quand il observe ses allers-retours dans la rue, trop “ailleurs” pour comprendre qu’on la filme. Il y a bien ce long regard caméra et son sourire pour nous dire qu’elle finit par prendre conscience de cet objet qui capte le moindre de ses mouvements. Mais, dans son choix de cadre, très éloigné par rapport à Mimosa et Yolanda, réside un malaise difficile à cacher. Celui-ci nous fait cependant prendre conscience qu’il demeure une dynamique de pouvoir, malgré la volonté du réalisateur d’installer un échange entre lui et ses protagonistes.
Laura Enjolvy