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[CRITIQUE] : Un Hiver à Yanji


Réalisateur : Anthony Chen
Acteurs : Liu Haoran, Qu Chuxiao, Zhou Dongyu,...
Distributeur : Nour Films
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Chinois.
Durée : 1h37min.

Synopsis :
C’est l’hiver à Yanji, une ville au nord de la Chine, à la frontière de la Corée. Venu de Shanghai pour un mariage, Haofeng s’y sent un peu perdu. Par hasard, il rencontre Nana, une jeune guide touristique qui le fascine. Elle lui présente Xiao, un ami cuisinier. Les trois se lient rapidement après une première soirée festive. Cette rencontre intense se poursuit, et les confronte à leur histoire et à leurs secrets. Leurs désirs endormis dégèlent alors lentement, comme les paysages et forêts enneigées du Mont Changbai.



Critique :


Plus les années et les films passent, plus une certitude évidente s'inscrit dans le marbre brut d'un septième art pourtant prompt à être bousculer au moindre long-métrage : le talentueux réalisateur singapourien Anthony Chen est un cinéaste qui compte, maître d'un cinéma anthropologique marquant, vibrant mais surtout merveilleusement cohérent, alors qu'il compte pourtant moins d'œuvres que les doigts d'une main.

Après Ilo Ilo et son histoire à auteur d'enfant, puis Wet Season et son adolescence en pleine initiation douloureuse de la vie, c'est tout naturellement - cohérence qu'on vous dit - qu'il se dirige pour son troisième passage derrière la caméra, vers une quête identitaire au carrefour du passage à la vie d'adulte.
C'est tout le programme donc d'Un Hiver à Yanji, dissertation sombre et mélancolique sur l'insatisfaction sourde de la vie, où trois âmes aux extrémités opposées de la solitude, se mêlent et s'entremêlent dans une connexion aussi frustrée qu'elle est réparatrice et salvatrice.

Copyright Nour Films

Dans une ville enneigée elle-même symbole d'une incertitude profonde, Yanji (pile à la frontière entre la Chine et la Corée du Nord), Chen ne met qu'une poignée de secondes pour nous faire ressentir le mal-être de Haofeng, venu se rendre sans enthousiasme au mariage d'un ami, et qui n'est pas si loin de commettre un geste insensé : comme le givre sur les lacs, il ne lui faut qu'un seul pas pour littéralement exploser.
Mais il ne va pas le franchir, distrait qu'il est par un bus de touristes et la guide touristique qui en sort, Nana, dont la verve juvénile matinée de tristesse laisse à penser qu'elle est tout aussi brisé, à l'intérieur, que Haofeng ou même Xiao, avec qui elle entretient une relation ambiguë, lui qui a sacrifié ses rêves pour jouer les cuistos dans le restaurant familial.

Se constitue alors, tout en délicatesse, une sorte de vrai/faux ménage à trois ou ce n'est pas tant le sexe que la tension subtile qui émane de l'attirance (physique comme sentimentale), qui sert de liant entre eux, trois jeunes adultes aux existences douloureuses faites de sacrifices et d'insatisfactions, désespérés par le froid glacial des regrets et du vide qui ronge leur intérieur, fruit de vies sans véritable espoir et qu'ils n'ont pas réellement désirés.
Les trois passent quelques jours ensemble, s'enivrent, rient, pleurent, se comprennent et errent dans un cadre propice à leur symbiose psychologique et émotionnelle, bouffés qu'ils sont par leurs doutes, leur crise existentielle.

Copyright Nour Films

Toujours prompt à croquer des personnages à la fois complexes et empathiques, dont la profondeur est délivré sans artifices putassiers, au moins autant qu'il est toujours habile dans sa manière à pouvoir faire surgir l'émotion avec spontanéité, Anthony Chen fait nager ici, où plutôt patiner (le rapport à la glace est peu subtil certes, mais essentiel) son histoire sur le territoire de la métaphore, ne s'attardant jamais trop sur les maux de ses protagonistes (l'accident ayant fait arrêter le patinage à Nana, la détresse mentale de Haofeng,...), comme pour mieux la laisser se construire, se fissurer et tout simplement vivre devant nos yeux, à travers le besoin de connexion humaine de ses personnages, d'être guidé vers le dégel, la guérison de leur solitude et de leurs maux.

Merveilleusement sensoriel, poétique et mature, porté par un magnifique et crédible trio Liu Haoran, Qu Chuxiao et Zhou Dongyu (qui vole littéralement le show), Un Hiver à Yanji, dont le seul vrai défaut est peut-être d'être un chouïa trop prévisible pour son bien, se fait une expérience sensible et pleine de grâce.


Jonathan Chevrier


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