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[CRITIQUE] : Napoléon


Réalisateur : Ridley Scott
Avec : Joaquin Phoenix, Vanessa Kirby, Tahar Rahim, Rupert Everett, Youssef Kerkour,...
Distributeur : Sony Pictures Releasing France
Budget : -
Genre : Biopic, Historique, Aventure, Guerre.
Nationalité : Français.
Durée : 2h38min

Synopsis :
Fresque spectaculaire, Napoléon s'attache à l'ascension et à la chute de l'Empereur Napoléon Bonaparte. Le film retrace la conquête acharnée du pouvoir par Bonaparte à travers le prisme de ses rapports passionnels et tourmentés avec Joséphine, le grand amour de sa vie.




Critique :

Quand on jette un œil sur la filmographie de Ridley Scott ces dernières années, il n’est pas compliqué d’y déceler une misanthropie latente. On peut penser à Cartel, peut-être le film le plus nihiliste du paysage cinématographique américain « grand public » des années 2010, ou au traitement accordé aux « héros » de ses différents longs-métrages. Le voir s’attaquer à la figure de Napoléon ne pouvait donc pas spécialement inquiéter les personnes s’attendant à une iconisation extrême au vu de son goût pour la moquerie envers les figures de pouvoir et le grotesque qu’il aime mettre en avant derrière l’apparence opulente. C’était le cas dans le sous-estimé House of Gucci, c’est pareil avec ce Napoléon.

Copyright 2023 Apple

La scène d’ouverture du film est déjà significative du projet : alors que Marie-Antoinette se fait guillotiner en place publique sur fond de chant populaire, le futur empereur assiste à la scène, impassible. En quelques minutes, le long-métrage raconte l’homme voulant intégrer son histoire à la grande Histoire, quitte à en manipuler les faits. Les débats stériles sur certains réseaux sociaux sont passés à côté de cette réflexion : si le film ne raconte pas la vérité pure sur Napoléon, c’est que ce dernier n’hésite pas à réagencer les événements en sa faveur. Ce parasitage constitue dès lors un point passionnant et pertinent par ce qu’il y dévoile en fébrilité dans la figure de pouvoir.

Le jeu presque bouffonnant de Joaquin Phoenix appuie cette note d’intention, faisant de celui qui s’imagine en grand dirigeant un énième sauvage qui trouve dans ses exploits guerriers une forme d’épanouissement en opposition à sa frustration émotionnelle. Les échanges avec Vanessa Kirby deviennent alors délicieux par cette perte de pouvoir et de reconnaissance, cherchant à mieux s’idéaliser quitte à passer à côté de la vraie émotion. Cela se ressent également dans le traitement des batailles, grandioses visuellement mais rappelant constamment la perte inutile en hommes. Une réplique cinglante d’un ennemi vient alors verbaliser cet état de fait : si les dirigeants aiment à se faire la guerre, c’est en mettant de côté les soldats, pertes vues comme inutiles alors même que le final se chargera de rétablir les faits.

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On reste très curieux de voir ce que la version longue de 4 heures permettra de corriger dans les quelques soucis de rythme de la narration mais il n’empêche que ce Napoléon est aussi imposant que transgressif dans son traitement historique. Jouant de ses entorses au réel pour mieux faire le portrait d’un manipulateur, le long-métrage renforce la méfiance de Ridley Scott envers la nature humaine dans un film qui ne peut que faire jaser et créer le débat. Espérons que cela sera plus constructif que les énièmes échanges stériles des réseaux sociaux où l’on aime juger une œuvre sans la voir et peut-être interroger les intentions d’un long-métrage qui ne cache jamais son mépris envers sa figure titre…


Liam Debruel



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Alors que l'on s'écharpe, assez ridiculeusement, sur le fait que Ridley Scott ne joue pas les historiens pur jus (voire qu'il offre une vision volontairement dégradante du premier consul, dans un esprit absurde de briton revanchard), où qu'il n'hésite même plus à saborder la propre promotion du film (ce qui est, pour le coup, parfois cocasse), Napoléon sort enfin dans les salles obscures et, à l'instar d'un Killers of The Flower Moon jugé trop long par le spectateur lambda, on ne mesure pas assez la chance qu'il nous est donné de pouvoir découvrir une production de plateforme (une nouvelle fois Apple Originals), chapeauté par un grand cinéaste, AU CINÉMA.

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Et, bien que la généralité a déjà eu le " bon " ton d'en faire une sorte de rendez-vous manqué entre le septième art et l'histoire, le vingt-huitième long-métrage du papa de Gladiator est évidemment tout autre et, assurément, une excellente cuvée appelée comme ses efforts les plus récents, à diviser dans leur exploration sombre de l'humanité.
Tout l'édifice qu'il incarne, est d'ailleurs voué sous un seul et unique prisme : celui de conter l'histoire d'un homme et de toute une nation, à travers son propre mariage, au sein d'un spectaculaire champ de bataille s'amusant librement avec la véracité historique, pour jongler sur le fil tenu du biopic à la fois subversif et, paradoxalement, conventionnel sur de nombreux points.

Tout du long, Scott et le scénariste David Scarpa, dans une révérence assumée au Barry Lyndon de Stanley Kubrick, s'opposent vigoureusement au récit béat de la mise en valeur d'une figure majeur, tant Napoléon, dans ses qualités comme dans ses défauts, n'est jamais un film vissé sur un écrasant triomphe où un échec mémorable : c'est la triste et puissante chronique sur les maux et les névroses masculines et comment, entre de mauvaises mains, elles peuvent réduire le monde en cendres.
Au récit, plutôt linéaire, du rise and fall Bonapartien (de son ascension en pleine Révolution française, à son second exil puis sa mort à Sainte-Hélène), le duo juxtapose tout du long la relation tumultueuse entre le futur empereur et son épouse, Joséphine de Beauharnais, véritable guerre psychologique et sexuel qui alimente celles militaires, du bonhomme.

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Et c'est là où tout l'aspect intensément réfléchi de la structure certes parfois bancale qu'arbore le film, tire toute sa puissance : tirer le portrait d'un Bonaparte à la fois assuré et vulnérable, puissant et frustré, capturé au travers de la prestation d'un Joaquin Phoenix savamment aux antipodes de son Commode égoïste et avide de pouvoir, en anti-héros certes glacial mais surtout furieusement mélancolique.
Stratège prudent, Scott n'insiste que trop peu sur la puissance et la stature de son sujet, met savamment son auditoire à distance et jongle entre des batailles visuellement saisissantes et méticuleuses (la violence a rarement été rendue avec autant de beauté et de rugosité depuis longtemps, et la science du cadre de Dariusz Wolski fait clairement des merveilles), et une intimité plus volubile, faite de conversations avec ses pairs, ses rivaux, mais aussi et surtout fait de moments avec la femme de sa vie.

Une dualité qui fait à son Kingdom of Heaven (et qui sera sans doute plus cohérent, dans son cut de 4h disponible prochainement sur Apple TV), et naît totalement du prisme choisi : s'articuler autour de la romance entre Napoléon et Joséphine (même au cœur de la guerre, à la représentation aussi romantique que violente des lettres torturées qu'il partage avec sa bien aimée), une union non pas muée par l'amour mais un vrai jeu de domination parfois pervers (entre haine, humiliation et tolérance forcée), où le premier supporte l'adultère et l'embarras le plus total (jusque dans leurs rapports sexuels), pour mieux exprimer sa frustration dans la persévérance d'un espoir de contrôle qui le mènera à sa perte (avec des millions de morts en prime).

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Alors certes, s'il sera difficile de ne pas se laisser miner par la cohérence douteuse du choix de Phoenix (pour son âge, et uniquement son âge) mais surtout par son montage hasardeux, fruit de coupes difficilement dissumulables au travers d'ellipses souvent brutales (là encore, le director's cut/version intégrale sur Apple, lui rendra certainement justice), Napoléon est au fond à l'image du cinéma de Ridley Scott depuis une bonne décennie : à la fois grandiose et insatisfait, puissant et frustrant.

Clinique et même parfois saisissant, son immersion Napoléonienne, ne se perdant ni dans la valorisation facile ni dans la glorification putassière, n'a pas vocation à offrir une radiographie détaillée de son sujet, mais bien à nous rappeler crûment (voire avec une sacrée pointe de nihilisme) avec quelle facilité les décisions d'un seul homme, nourries par la passion, l'ambition et l'insatisfaction, peuvent nous noyer tous dans le sang, les larmes et la mort.
Plus important à méditer qu'une quelconque recherche de la vérité historique absolue...


Jonathan Chevrier