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[CRITIQUE] : Rien à Perdre


Réalisatrice : Delphine Deloget
Avec : Virginie Efira, Félix LefebvreArieh Worthalter, Mathieu Demy,...
Distributeur : Ad Vitam
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français.
Durée : 1h52min

Synopsis :
Sylvie vit à Brest avec ses deux enfants, Sofiane et Jean-Jacques. Une nuit, Sofiane se blesse alors qu’il est seul dans l’appartement. Les services sociaux sont alertés et placent l’enfant en foyer, le temps de mener une enquête. Persuadée d’être victime d’une erreur judiciaire, Sylvie se lance dans un combat pour récupérer son fils.



Critique :


Quand bien même le jeu des comparaisons s'avérerait assez vite stérile (mais néanmoins pertinent sur de nombreux points), difficile de ne pas penser pourtant, à la vision de Rien à Perdre, estampillé premier long-métrage de fiction de la cinéaste Delphine Deloget, au magnifique Ladybird de Ken Loach.
Un drame social lui aussi vissé sur les atermoiements et la détresse d'une mère aimante (fantastique Crissy Rock), à l'existence menaçant continuellement d'exploser, tandis qu'elle cherche coûte que coûte à retrouver la garde de ses enfants, usée par une existence qui n'a eu de cesse de lui mettre des bâtons dans les roues.

Ici, cette mère c'est Sylvie, matriarche dévouée et courageuse de deux garçons, l'adolescent Jean-Jacques et Sofiane, dont l'existence difficile bascule littéralement dans le chaos lors d'un accident domestique nocturne : son enfant le plus jeune, alors sous la surveillance du plus grand pendant qu'elle travaillait, se brûle au deuxième degré au niveau de la poitrine (et il met aussi, d'un point de vue matériel, le feu à la moitié de la cuisine).

Dès lors, la tragédie s'invite dans son quotidien et ne la quitte plus, la glaciale machine socialo-judiciaire s'emballe et elle perd la garde de Sofiane, devant se résoudre, impuissante, à ne le retrouver qu'une poignée d'heures, sans l'assurance de pouvoir mériter plus aux yeux d'une justice à deux vitesses.
Alors elle va se battre, enchaîner maladroitement les bons comme les mauvais choix et même renouer avec ses frères, avec qui elle entretient des liens dysfonctionnels, pour récupérer la chair de sa chair et quitter le théâtre absurde et déshumanisant, des rencontres réglementées par l'État.

Copyright David Koskas

D'une prémisse pour le moins familière - les embûches presques insurmontables d'une mère pour récupérer la garde de son enfant -, Delphine Deloget s'inscrit dans le même moule que le cinéaste britannique (la sempiternelle charge contre Le conservatisme en moins, évidemment), tant elle place sa caméra au plus près des corps fragiles et vulnérables de ses personnages (renouant ici avec l'aura immersive du documentaire), scrutant les répercussions émotionnelles, sociétales et juridico-bureaucratiques d'un drame dont il est difficile de ne pas ressentir, profondément, les sentiments d'injustice et de douleur déchirante qui se dégage du déterminisme aveugle d'institutions parfois plus déficientes, que celles et ceux qu'elles jugent.

Mais la plus grande intelligence de ce premier effort réside intimement dans la volonté de la cinéaste, de déloger toute invective idéologique dans une relation primaire et intense au corps et aux sentiments.
Tout est noué autour de la distance/proximitée, équilibrée puis déséquilibrée, entre chacun des personnages, chaque lecture prudente et oppressive d'un événement par la dure réalité (le service public et ses substituts), se ressent physiquement dans le poids croissant d'une contrainte éprouvant les âmes, obligeant celles-ci à réagir (puisque étouffées entre la violence et la contrition), à donner du sens dans le dysfonctionnement de l'usage réglementée du pouvoir.

La rugosité de l'arène judiciaire, les confrontations glaciales avec l'assistante sociale, son avocat ou encore les ressources limitées d'une aide sociale tentant de résoudre une précarité provoquée par l'État lui-même; Sylvie affronte frontalement les défaillances d'un système qui tolére ses propres fautes, mais fustige le moindre faux-pas extérieur (la définition d'un système binaire voire même parfois ridiculeusement punitif, distribuant les bons comme les mauvais points, jugeant selon ses propres critères opaques qui est une bonne ou une mauvaise mère), constate l'impasse dans laquelle elle est reléguée, et ne peut qu'y répondre physiquement, d'une manière presque vitale, quitte à sombrer.

Copyright David Koskas

D'un naturel désarmant et dénué de tout jugement facile, Rien à perdre, dominé par une Virginie Efira aussi bouleversante qu'explosive, scrute l'implosion - inévitable - du corps face à l'emprise étouffante d'une société anxiogène et oppressive, empoisonnant autant la singularité que la liberté de notre espace intime et personnel.
Frondeur, le film invite à une rébellion civique, à une désobéissance, à une désintégration des barrières institutionnelles pour ramener l'humain au cœur d'un système impénétrable et antipathique (même s'il est régit, parfois, par une bonne foi absolue), du sens dans des destins brisés et sans espoir.

Une sacrée expérience donc, qui dépasse souvent les limites du cadre cinématographique pour frapper le cœur et les âmes.


Jonathan Chevrier


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