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[ENTRETIEN] : Entretien avec Arielle Dombasle (Opium + carrière)

Copyright Margo Films / Copyright ARP Sélection

Arielle Dombasle fait partie de ces personnalités de la culture française qui ne laissent personne indifférent. Venue à Mons présenter son Opium pour la première fois en Belgique au cinéma Plaza (le film est sorti en France en 2013, ndlr), l’actrice et réalisatrice s’est laissée aller au jeu de l’interview. Reçue dans la somptueuse Maison Losseau, Arielle Dombasle a accepté de discuter avec nous de ses motivations créatrices ainsi que de l’artiste derrière l’image perçue.


Cocteau lui-même est un personnage qui m’a toujours fascinée par la manière d’incarner un style, mettre du génie, aussi bien dans son œuvre que dans sa vie. - Arielle Dombasle


Quel regard portez-vous sur « Opium » dix ans après sa sortie ?

Je n’avais même pas compté. Je me suis rendu compte en effet qu’il avait déjà dix ans. Vous savez, je crois au temps immobile. Vous m’auriez dit deux ans, quinze ans ou vingt ans, cela m’aurait fait le même effet.

Qu’est-ce qui vous a attiré chez Cocteau ?

Cocteau lui-même est un personnage qui m’a toujours fascinée par la manière d’incarner un style, mettre du génie, aussi bien dans son œuvre que dans sa vie. C’est un personnage tout à fait nouveau, tout à fait fascinant qui a déniaisé les styles comme il le disait lui-même, c’est-à-dire qu’il a accidenté sa manière d’écrire. Il a trouvé des métaphores, une manière de dire les choses avec beaucoup de fulgurance, beaucoup de modernité et beaucoup d’insolence. Le livre qui m’a initiée était La difficulté d’être. Dans ce titre, je pense qu’il y a toute cette promesse de l’aspérité du monde contre laquelle il faut lutter. C’est quelque chose qui continue à me suivre toute la vie. La force de la poésie.

Qu’est-ce qui vous motive justement d’un point de vue personnel en tant qu’artiste ?

La beauté des sujets. En fait, cette phrase, « La beauté changera le monde », j’ai toujours pensé que c’était une phrase fondatrice et que j’ai essayé d’appliquer tout le temps, aussi bien dans ma sensibilité au monde, dans l’écologie par exemple. C’est comme un fil d’or. Les lois de l’harmonie, en musique aussi. Et il y a le mot « changer », c’est-à-dire la beauté élève, transcende, traverse. La beauté est convulsive, la beauté est révoltante, la beauté est un mystère. Ça, c’est le moteur. L’harmonie cosmique.

Opium - Copyright Margo Films

Vous parliez de sensibilité. Est-ce que c’était important pour vous d’ouvrir le film avec ce générique dessiné pour mieux se plonger dans l’univers de Jean Cocteau ?

Absolument. Ce qu’il y a de merveilleux chez Cocteau, c’est que c’est vraiment le septième art, le cinéma, carrefour des arts. C’est l’écriture, comme il le dit lui-même, le cinéma comme encre de lumière dans laquelle toutes les muses sont confrontées, aussi bien le dessin et l’écriture que l’image, le choix des objectifs, le mouvement, le rapport au temps, dont la lenteur notamment, tout son travail sur le ralenti. Toute cette manière d’appréhension du réel qu’il a tellement ressenti et qu’il a essayé de traduire dans une poésie, dans le grand sens du mot, me touche, m’émeut, me bouleverse. L’innovation perpétuelle.

Comment avez-vous justement essayé de partager cette poésie ?

J’essaie d’entrer dans son esthétique, dans son éthique, dans sa joie, comprendre sa souffrance aussi, dans sa difficulté d’être. Donc, sur l’aspect sensible, ce qui me touche le plus dans la trajectoire de Cocteau, c’est étrangement ses débuts avec son rapport à l’amour comme grand révélateur et catalyseur de l’être. Pour entrer dans ce cosmos Cocteau, j’ai pris cet amour qu’il a eu, cette espèce de passion, cette fulgurante attraction pour Raymond Radiguet. Cette période-là, à travers ses écrits et la musique, m’a permis de me rapprocher de son cosmos en restituant tout ça. A ma manière…

En parlant de cette forme de passion, pourriez-vous parler de vos expériences cinématographiques avec des personnalités fortes comme Éric Rohmer et Jean-Pierre Mocky ?

Le fait est que, je m’en rends compte tardivement, mais je suis une enfant de trois cultures : je suis née aux États-Unis, j’ai grandi au Mexique -où j’ai appris le français dans un lycée- et j’ai donc tous ces langages différents. Ma première langue était l’espagnol avant que j’apprenne le français et la littérature, qui a été pour moi la grande découverte du monde à travers les auteurs. Cela a donc été la même chose au cinéma. Quand on est dans un film de Robbe-Grillet, de Ruiz, de Mocky, de Rohmer ou de John Malkovich, on s’incarne différemment. On entre dans un cosmos, un style, une écriture différente à chaque fois. L’actrice, dans sa rencontre avec le personnage, est vue à travers le prisme du style. Le style, c’est l’Homme.

Pauline à la plage d'Éric Rohmer - Copyright Les Films du Losange

Dans ce cas du style, comment fonctionnent vos collaborations avec la direction artistique, comme dans Opium ?

Je m’entoure d’artistes à la fine sensibilité et que j’aime… Ce que j’aime aussi chez Cocteau, c’est qu’il est une figure de la communauté gay, dont je me sens proche. J’aime les gens qui ne sont pas sous la grande chappe conformiste mondiale. Le fait d’aimer les garçons, d’aimer le même sexe que soi-même, d’en souffrir dans le rejet du monde, de l’exprimer avec tant de talent et de poésie. Cocteau a été le premier à l’époque à s’afficher avec Jean Marais. Ils étaient le premier couple homosexuel français. Avant lui, ils étaient considérés comme des invertis, extrêmement moqués, réduits à des caricatures. Cocteau a affronté tous ces regards de la société et des mœurs de son temps. Il a été d’une grande insolence et d’une grande force et ça, ça m’a attiré, comme Oscar Wilde ou Jean Genet. J’ai beaucoup d’amis homosexuels car je trouve qu’ils ont, sans tomber dans les généralités, une sensibilité souvent plus aiguisée, une vulnérabilité… Ce sont des funambules souvent… Cette « Difficulté d’être » comme dit Cocteau s’y retrouve doublement. Moi, je suis très entourée depuis toujours par beaucoup d’artistes et il s’avère que la plupart sont homosexuels. Évidemment, mon partenaire, ami avec qui nous avons collaboré sur beaucoup de choses depuis des années, mon meilleur ami, Vincent Darré, est lui-même une sorte de personnage kaléidoscopique. Pour pouvoir conjuguer le dessin, la photographie, les costumes, l’esthétique, je m’entoure de gens qui ont la même sensibilité que moi, les mêmes passions…

Vous offrez également beaucoup de second degré vu vos apparitions dans diverses comédies…

Absolument ! Mais vous savez, nous, les acteurs, on a toujours cette espèce de personne, personnage, personnalité. C’est une triangularité. Les gens confondent toujours vos personnages avec vous-même mais en fait, on est autre. Faire rire, exceller dans des comédies, c’est très difficile. C’est une question de rythme. C’est comme, tout à coup passer d’Erik Satie à Chopin ou à Prokofiev. C’est la même note et pourtant cela devient une toute autre musique. Pour moi, le cinéma, je l’appréhende comme ça.

Pourriez-vous nous parler de votre dernier film, Les secrets de la princesse de Cadignan, qui n’est pas encore annoncé en Belgique ?

Oh oui, j’espère qu’il aura une sortie belge. C’est d’après une nouvelle de Balzac, son petit chef d’œuvre inconnu… Comme il dit lui-même que c’est du reste sa seule nouvelle qui finisse bien. C’est le portrait d’une femme, la Duchesse de Maufrigneuse, Princesse de Cadignan qui a une trajectoire unique, une femme dangereuse, il l’écrit en 1839 au moment où il va boucler la Comédie Humaine puisqu’il a eu cette invention formelle de créer des personnages qui se retrouvent d’un roman à l’autre : Rubempré, Rastignac, d’Arthez… etc… On suit le destin des personnages d’un recueil à l’autre. C’était tellement nouveau comme les feuilletonnistes ou ce qui a donné les séries maintenant ! La Comédie Humaine, c’est ça : des personnages que l’on suit de manière un peu hétéroclite parfois puisqu’il y a des interférences dans les âges tout en créant des archétypes étonnants, Rastignac par exemple qui est entré dans le langage commun. C’est aussi une étude sociologique tellement forte. Là, c’est le regard qu’il pose sur une princesse. C’est la chute de l’aristocratie pendant les 30 glorieuses, à un moment très chaotique, où on passe après la Révolution et l’Empire d’une royauté à l’autre. C’est la fin de ce qu’on pourrait appeler les grandes familles aristocrates et le début de l’ère bourgeoise, de l’industrialisation. Cette princesse incarne aux yeux de Balzac la liberté. Elle ne suit pas le destin qui lui a été attribué, victime de la perte de son mari, sa fortune et en pleine Révolution… Elle prend les choses à bras le corps, elle est une chasseresse, une conquérante, c’est un très beau personnage de femme libre. C’est du Simone de Beauvoir avant la lettre et Balzac en fait une héroïne moderne.

Les Secrets de la Princesse de Cadignan - Copyright ARP Sélection

Y a-t-il un souvenir en tant que créatrice que vous avez envie de nous partager ?

Il y a toujours une immense exaltation au moment où les choses, tout à coup, trouvent la juste mesure. Je suis quelqu’un d’hyper actif… J’ai toujours été sur de multiples projets. C’est une série d’obstacles à franchir. Faire du cinéma, c’est extrêmement difficile. L’écriture cinématographique est une chose que l’on maîtrise différemment selon qu’on soit sur un mode ou sur un autre. Il faut trouver la juste mesure et, tout à coup, quand on la trouve, il y a une espèce de jouissance incroyable, de bonheur.

 

Propos recueillis par Liam Debruel.

Merci à Bérénice Née et Alexandre Dumont pour l’interview ainsi qu’à Damien et Vincent pour le transport.

 

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