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[CRITIQUE] : Marchands de douleur


Réalisateur : David Yates
Acteurs : Emily Blunt, Chris Evans, Andy Garcia, Catherine O'Hara,...
Distributeur : Netflix France 
Budget : -
Genre : Thriller, Policier, Comédie, Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h02min

Synopsis :
Une carrière dans la vente de produits pharmaceutiques résoudrait les soucis financiers de sa famille. Mais quel sera le prix du rêve américain ?



Critique :


Tout n'est qu'une question de prisme, lorsque l'on s'attaque à un sujet aussi complexe que sensible, et force est d'admettre qu'au-delà d'être complètement à côté de la plaque dans sa manière d'aborder, cyniquement, la crise des opioïdes par un cocktail comico-dramatique à l'éthique fragile, Pain Hustlers aka Marchands de douleurs (basé sur un article du New York Times et le roman éponyme d'Evan Hughes), signé par un David Yates encore plus effacé et peu créatif que dans ses (trop) nombreuses excursions dans la saga Harry Potter, a d'autant plus le bon goût d'arriver furieusement en retard dans sa - mauvaise - mise en images du sujet.

Et ce même, et de manière étrangement paradoxale, en comparaison au propre catalogue de la firme au Tudum, dont il était censé être l'un des hits de ce dernier virage de l'année ciné 2023.

Copyright Brian Douglas/Netflix

Se rêvant Adam McKay du pauvre (dont il rend un copie-calque des plus invraisemblables de ses tics et fioritures - ses arrêts sur images incessant -, sachant que McKay lui-même singe déjà gentiment Martin Scorsese), dans ce qui peut se voir comme une resucée peu inspirée de la série Netflixienne Painkiller qui, elle-même, pilonnait sans vergogne la merveilleuse Dopesick de Hulu, il ne donne jamais de corps et encore moins de poids à sa mise en images d'une vérité inconfortable et dérangeante.

En détournant l'attention, comme ses personnages avec leurs victimes, du spectateur avec des séquences criardes, un ton bancal et des sous-intrigues mélodramatico-molles du fessier, jamais il ne pointe du doigt la dépravation et les excès d'un capitalisme toujours à l'œuvre, jamais il ne cherche totalement à fustiger la déconnection et l'égoïsme abjecte, l'avidité désespérée et la folie méprisante de ceux qui profitent du malheur des autres - Pain Hustlers d'après le titre, pourtant -, avec la fabrication et la distribution/commercialisation du fentanyl (un analgésique férocement addictif, qui depuis 2018 a dépassé l'héroïne en tant que cause la plus fréquente de décès par overdose de drogue en Amérique du Nord).

Copyright Brian Douglas/Netflix

Pire, dénué de toute complexité et raconté uniquement du point de vue de l'industrie pharmaceutique (et non des personnes/victimes désespérées et dépendantes aux opioïdes, presque de vulgaires zombies ici), il cherche à rendre identifiable/empathique ses fossoyeurs par le biais d'un personnage fictionnel, Liza Drake, dont on orchestre savamment tout le background émotionnel (elle vit dans la précarité en squattant le garage familial, elle bosse comme danseuse exotique dans un club de strip-tease pour payer les médicaments contre l'épilepsie de sa fille,...) pour la rendre vainement sympathique.

Tout comme son incapacité à jongler entre les tons (pas aidé par des choix musicaux franchement douteux), l'artificialité de ce rise and fall, même porté avec conviction par Emily Blunt (qui se débat, tout comme Andy Garcia et son personnage moralement ambiguë, avec une écriture maladroite et terne, là où Chris Evans, comme pour The Grey Man des frangins Russo, lâche totalement la rampe dès la première bobine), ne fait que révéler brutalement la vision cartoonesque et vide de sens de ce long-métrage aussi ennuyeux qu'il est rythmé au Red Bull périmé, articulé autour du traitement atrocement léger d'une tragédie bien réelle (sans jamais remettre en question tous les trous noirs du système de santé américain), ou une poignée d'âmes avides ont littéralement tués leur prochain pour le Dieu profit.

Copyright Betina La Plante/Netflix © 2023

Alors certes, un spectateur sensiblement plus naïf arguera que c'est justement, en montrant ô combien ses personnages sont ridiculeusement pathétique (ils sont piégés par leur propre opioïde, l'argent... BOOM !) et en faisant de la caméra une complice de l'horreur, que le film justifie pleinement son existence, mais même de ce point de vue là, profondément insensible et ridiculeusement moralisateur, la mayonnaise ne prend absolument pas.
Pas le genre de séance à prescrire donc.


Jonathan Chevrier