[CRITIQUE/RESSORTIE] : Retrospective Milton Moses Ginsberg : Coming Apart / Le Loup-garou de Washington
Retrospective Milton Moses Ginsberg : Coming Apart (1969) et Le Loup-garou de Washington (1973) de Milton Moses Ginsberg
Qu'on se le dise, à une époque où la cinéphilie se statue, d'après une poignée de spectateurs particulièrement bruyants, selon une liste de films vulgairement établie qu'il faut avoir vu (pas compris, vu, n'en demandez pas trop), il n'y a décemment aucun mal à avouer ne pas connaître un/une cinéaste et sa filmographie.
Après tout, le septième art n'est-il pas un champ constant de découverte, un univers dense et passionnant qui ne demande qu'à être arpenté avec enthousiasme et curiosité, quand bien même certains ne se borne qu'à ratisser la même zone usée et infertile.
Pour l'auteur de ces mots, Milton Moses Ginsberg n'était encore qu'un nom lu à l'arrachée au travers de quelques textes, fruit d'une carrière discrète - à peine deux films, qui ont bidés à leurs sorties -, et d'une presse n'ayant pas forcément fait beaucoup de bruit non plus, au moment de son trépas en mai 2021.
On ne remerciera donc jamais assez Les Films du Camélia, toujours au rendez-vous des bons plans, pour redonner un coup de projecteur sur ses efforts singuliers, Coming Apart et Le Loup-garou de Washington, à nouveau en salles en version restaurée.
Le genre de rendez-vous à ne pas manquer.
Tourné en trois semaines avec un budget de 50 000 $, Coming Apart semble condenser la folie/liberté du voyage défoncé et moto au vent du Easy Rider de Dennis Hopper, dans un sombre appartement New Yorkais ou la vie du psychanalyste Joe Glazer/Rip Torn (juste immense) s'effondre, au moins autant que celles qui émaillent ses consultations.
Avec une dynamique proche du (faux) documentaire, le cinéaste dresse le portrait d'une Amérique névrosée au travers de la propre introspection de celui dont on est le seul à voir l'état profondément perturbé.
Impuissant, de part toutes les barrières qu'impose cette mise en abyme (le miroir sans tain qui cache la caméra, le grand miroir dans lequel il filme, l'écran sur lequel nous fixons l'histoire qui nous est conté), le spectateur assiste à une mécanique gentiment rodée d'un homme qui a pris l'habitude malsaine de filmer secrètement non seulement ses patients mais aussi une grande partie de ses activités quotidiennes.
Un trip toublant, décalé et furieusement avant-gardiste, où le cinéaste, à l'instar de Cassavetes, propose une confrontation directe et Hitchcockienne en diable, avec les aspects voyeuristes du cinéma tout en poussant encore un peu plus les limites de l'insensible dans son exploration de la sexualité, avec une crudité rare envers ses personnages féminins et leurs nudité.
Le Loup-garou de Washington lui, l'épilogue de cette carrière bien trop courte, n'avait pas tant pour but de redonner un peu de vie au sous-genre du film de loup-garou, que de cravater frontalement le pouvoir en place de l'époque.
Réalisé en pleine époque du Watergate, Le film incarne une satire absurde et sarcastique de la politique présidentielle US du début des 70s - le gouvernement Nixon donc -, prenant plus ou moins habilement autant les contours d'une fable horrifico-lycanthropique, que ceux d'une comédie non-conventionnelle et étonnament austère; sorte de Young Frankenstein (sorti un an plus tard) qui plonge tête la première dans le second degré, sans jamais totalement se délester de sa cape horrifique.
Un film sans doute un peu trop en avance sur son temps (jusque dans ses dialogues presque ZAZ-esque) mais qui, à la lumière de notre époque, que ce soit autour des notions du manque de confiance cruel envers nos politiques (qui n'hésitent plus à manipuler, mentir ou encore dissimuler publiquement des informations... à une heure où la désinformation prospère), de la décrédibilisation du travail et de la voix journalistique (coucou Trump) où même d'un racisme totalement décomplexé (coucou Trump bis), s'avère sensiblement pertinent.
Même son usage rudimentaire d'une horreur à l'ancienne, d'un maquillage soignée à une transformation progressive, tout en fondus enchaînés, titille agréablement notre nostalgie au moins tout autant que la présence géniale d'un feu Dean Stockwell dont la carrière éclectique, nous réserve encore de jolies surprises.
Et puis, difficile de ne pas vibrer pour ce doux parfum de bande frondeuse et engagée, de la contre-culture pur jus fauchée mais qui en a dans les tripes, qui porte quelque chose d'étrangement indélébile dans leur colère et leur rage - l'aura de Romero n'est jamais loin.
Une belle (re)découverte.
Jonathan Chevrier
Qu'on se le dise, à une époque où la cinéphilie se statue, d'après une poignée de spectateurs particulièrement bruyants, selon une liste de films vulgairement établie qu'il faut avoir vu (pas compris, vu, n'en demandez pas trop), il n'y a décemment aucun mal à avouer ne pas connaître un/une cinéaste et sa filmographie.
Après tout, le septième art n'est-il pas un champ constant de découverte, un univers dense et passionnant qui ne demande qu'à être arpenté avec enthousiasme et curiosité, quand bien même certains ne se borne qu'à ratisser la même zone usée et infertile.
Pour l'auteur de ces mots, Milton Moses Ginsberg n'était encore qu'un nom lu à l'arrachée au travers de quelques textes, fruit d'une carrière discrète - à peine deux films, qui ont bidés à leurs sorties -, et d'une presse n'ayant pas forcément fait beaucoup de bruit non plus, au moment de son trépas en mai 2021.
On ne remerciera donc jamais assez Les Films du Camélia, toujours au rendez-vous des bons plans, pour redonner un coup de projecteur sur ses efforts singuliers, Coming Apart et Le Loup-garou de Washington, à nouveau en salles en version restaurée.
Le genre de rendez-vous à ne pas manquer.
Tourné en trois semaines avec un budget de 50 000 $, Coming Apart semble condenser la folie/liberté du voyage défoncé et moto au vent du Easy Rider de Dennis Hopper, dans un sombre appartement New Yorkais ou la vie du psychanalyste Joe Glazer/Rip Torn (juste immense) s'effondre, au moins autant que celles qui émaillent ses consultations.
Avec une dynamique proche du (faux) documentaire, le cinéaste dresse le portrait d'une Amérique névrosée au travers de la propre introspection de celui dont on est le seul à voir l'état profondément perturbé.
Impuissant, de part toutes les barrières qu'impose cette mise en abyme (le miroir sans tain qui cache la caméra, le grand miroir dans lequel il filme, l'écran sur lequel nous fixons l'histoire qui nous est conté), le spectateur assiste à une mécanique gentiment rodée d'un homme qui a pris l'habitude malsaine de filmer secrètement non seulement ses patients mais aussi une grande partie de ses activités quotidiennes.
Copyright Les Films du Camelia |
Un trip toublant, décalé et furieusement avant-gardiste, où le cinéaste, à l'instar de Cassavetes, propose une confrontation directe et Hitchcockienne en diable, avec les aspects voyeuristes du cinéma tout en poussant encore un peu plus les limites de l'insensible dans son exploration de la sexualité, avec une crudité rare envers ses personnages féminins et leurs nudité.
Le Loup-garou de Washington lui, l'épilogue de cette carrière bien trop courte, n'avait pas tant pour but de redonner un peu de vie au sous-genre du film de loup-garou, que de cravater frontalement le pouvoir en place de l'époque.
Réalisé en pleine époque du Watergate, Le film incarne une satire absurde et sarcastique de la politique présidentielle US du début des 70s - le gouvernement Nixon donc -, prenant plus ou moins habilement autant les contours d'une fable horrifico-lycanthropique, que ceux d'une comédie non-conventionnelle et étonnament austère; sorte de Young Frankenstein (sorti un an plus tard) qui plonge tête la première dans le second degré, sans jamais totalement se délester de sa cape horrifique.
Copyright Les Films du Camelia |
Un film sans doute un peu trop en avance sur son temps (jusque dans ses dialogues presque ZAZ-esque) mais qui, à la lumière de notre époque, que ce soit autour des notions du manque de confiance cruel envers nos politiques (qui n'hésitent plus à manipuler, mentir ou encore dissimuler publiquement des informations... à une heure où la désinformation prospère), de la décrédibilisation du travail et de la voix journalistique (coucou Trump) où même d'un racisme totalement décomplexé (coucou Trump bis), s'avère sensiblement pertinent.
Même son usage rudimentaire d'une horreur à l'ancienne, d'un maquillage soignée à une transformation progressive, tout en fondus enchaînés, titille agréablement notre nostalgie au moins tout autant que la présence géniale d'un feu Dean Stockwell dont la carrière éclectique, nous réserve encore de jolies surprises.
Et puis, difficile de ne pas vibrer pour ce doux parfum de bande frondeuse et engagée, de la contre-culture pur jus fauchée mais qui en a dans les tripes, qui porte quelque chose d'étrangement indélébile dans leur colère et leur rage - l'aura de Romero n'est jamais loin.
Une belle (re)découverte.
Jonathan Chevrier