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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Faux-Semblants


Réalisateur : David Cronenberg
Avec : Jeremy IronsGeneviève Bujold, Heidi von PalleskeShirley Douglas,…
Distributeur : Capricci Films
Budget : -
Genre : Drame, Epouvante-horreur, Thriller.
Nationalité : Américain, Canadien.
Durée : 1h55min

Date de sortie : 8 février 1989
Date de ressortie : 25 octobre 2023

Synopsis :
Deux vrais jumeaux, Beverly et Elliot Mantle, gynecologues de renom, partagent le meme appartement, la meme clinique, les memes idees et les memes femmes. Un jour, une actrice celebre vient les consulter pour sterilite. Les deux freres en tombent amoureux mais si pour Elliot elle reste une femme parmi tant d'autres, pour Beverly elle devient la femme. Pour la premiere fois les freres Mantle vont penser, sentir et agir differemment.



Critique :


Les plus beaux poèmes macabres de David Cronenberg, ont un rapport physique avec la notion d'identité, une opposition frontale entre le soi psychologique et mental, et le soi charnel, souillée à la fois par l'autre (le parasitisme, l'infection voire même le sentiment amoureux) où soi-même (l'effondrement de la frontière entre l'esprit et le corps).

Suite au succès de La Mouche, point pas totalement final à son exploration du body horror, le cinéaste a entamé un virage sensiblement plus intense et psychologique - une norme vers laquelle son cinéma s'était vouée jusqu'à son récent Les Crimes du Futur -, plus intellectuellement rigoureuse et psychosexuel, pas totalement dénué de ses excentricités pulpeuses, mais embrassant plus généreusement le thriller - psychologique donc, mais aussi et surtout sexuel.

Copyright Concorde Filmverleih GmbH

Inspiré du roman Twins de Bari Wood et Jack Geasland, lui-même inspiré de vrais jumeaux monozygotes gynécologues new yorkais - Stewart et Cyril Marcus -, Faux-Semblants incarne ce point de rupture fascinant, exploration à la fois viscérale et déroutante du quotidien de deux frangins fusionnels - et le mot est faible -, Elliot et Beverly Mantle, deux jumeaux formant une seule et unique âme, divisée en deux corps et deux esprits mutuellement dépendants l'un de l'autre, et dont l'équilibre physique comme mental, est intimement lié à cet isolement méticuleux.

Deux êtres chez qui la notion du bien et de mal se trouvent " naturellement " diluées dans des questionnements plus complexes et destructeurs de masculinité et de féminité : la conduite sexuée - dévorante - et professionnelle d'Elliott s'avère aussi confiante et glaciale que celle de Beverly est écrasée et sensible (même s'ils ont développé un système dans lequel ils peuvent inverser les rôles afin qu'ils puissent partager certaines de leurs conquêtes sexuelles).
Tout bascule, se dérobe, implose lorsque Beverly tombe amoureuse de Claire, une célèbre actrice cherchant un traitement pour son infertilité incurable, leur imposant une séparation, un effondrement mental et morale, aussi inévitable que terrifiante...

Copyright Concorde Filmverleih GmbH

Par la puissance tortueuse de l'odyssée (auto)destructrice des frangins Mantle, Cronenberg croque avec Faux-Semblants, son témoignage le plus émouvant et fascinant de la scission entre le corps et l'esprit, entre la désintégration du second par opposition au premier (opéré de manière définitivement plus gore et charnelle dans Scanners), au travers du chaos personnel de deux jumeaux incarnés, de manière troublante, par un seul et même acteur.
Deux entités in fine enchaînées l'une à l'autre, l'une par l'autre - même dans la mort -, dans une Amérique déshumanisée, froide et déconnectée (une jungle où ils sont des prédateurs aussi malades que cruels), où leur jeu d'échange d'identité, à des fins superficielles (puisque avant tout sexuelles) les unit autant intérieurement que physiquement, avant que Claire ne viennent - presque littéralement - rompre ses liens.

Plus qu'une étude cathartique aussi mélancolique que troublante de la condition humaine et du rapport à l'autre et à soi, un chef-d'œuvre exaltant, douloureusement oppressant et tristement émouvant, toujours aussi passionnant à déchiffrer même 35 ans plus tard.


Jonathan Chevrier