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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Le Festin Nu


Réalisateur : David Cronenberg
Avec : Peter Weller, Ian Holm, Judy Davis, Julian Sands,…
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Budget : -
Genre : Drame, Epouvante-horreur.
Nationalité : Américain, Canadien, Japonais, Britannique.
Durée : 1h55min

Date de sortie : 11 mars 1992
Date de ressortie : 11 octobre 2023

Synopsis :
Bill Lee, ex-junkie, recyclé dans l'extermination des cafards, tue sa femme accidentellement après l'avoir surprise faisant l'amour avec leurs deux meilleurs amis.



Critique :


Tout est dans le titre, où presque.
Certes, au-delà d'adapter l'inadaptable - The Naked Lunch de William S. Burroughs, considéré plus ou moins à tort comme un pilier de la " Beat Generation " -, Le Festin Nu annonce presque avec gourmandise, la décennie folle d'un David Cronenberg collant la radicalité de son cinéma à une ambition quasi suicidaire, une liberté affirmée et passionnante.
Un " Festin " pour les cinéphiles et les amateurs d'un cinéaste préférant les réactions épidermiques aux vénérations béates face à ses œuvres.

Face à l'impossibilité d'adapter littéralement Burroughs, Cronenberg, avec son ingéniosité diabolique, s'adapte, épouse l'aura volontairement dérangeante de son matériau d'origine (il était, sans aucun doute, le seul cinéaste capable de le faire), use du du « cut-up » et du «fold-in », fixe son attention sur Burroughs lui-même et les angoisses du processus créatif, pour mieux croquer un songe glauque et halluciné profondément anti-Hollywoodien dans sa manière jamais linéaire ni caricatural, d'aborder la littérature hallucinatoire, de comprendre la nature même de l'hallucination sans être désinvolte, sans jamais renier la nature impassible de son cinéma.
Un véritable test de Rorschach sur pellicule, plus métaphorique que sexuel et violent comme son aîné, par un cinéaste ayant l'habitude d'irriter l'establishment, adaptant un écrivain... ayant l'habitude d'irriter l'establishment - CQFD.

© Collection Christophel

Cousin déglingué du Barton Fink des frangins Coen (deux histoires d'écrivains vissées autant sur leurs atermoiements et leurs exils que sur la façon dont le processus d'écriture déforme la/leur réalité), aux similarités évidentes (un usage gourmand d'hallucinations, de digressions expressionnistes et surréalistes, d'ellipses kafka-esques, de figures mystérieuses et mystiques, la présence au casting de la fabuleuse Judy Davis, peut-être le talent le plus mésestimé de sa génération, comme Parker Posey), le film se fait tout du long l'union déglinguée et inextricable de la raison et de la déraison, de la vie et de la mort (le héros travaille comme exterminateur, mais se défonce avec sa propre poudre anti-insectes), par deux auteurs n'ayant pas peur de regarder la seconde dans les yeux, d'arpenter frontalement ces ténèbres pour mieux la dématérialiser, la mettre à nu, la rendre réelle, la posséder.

Décomplexé et déroutant, Le Festin Nu arpente le terrain de l'inavouable et du mépris, aborde la notion du contrôle de la conscience (l'esprit) et du comportement (le corps) par la dépendance (au sexe, à la drogue, au pouvoir, à l'argent,...), dans une expérience volontairement fragmentaire et incomplète, brillante et ignoble à la fois, prônant le déconstructif, le chaos poétique, l'anarchie cinématographique qui répond à l'anarchie littéraire.
Une invitation nonchalante et glaciale au cœur des enfers, un chef-d'œuvre impénétrable et absolu.


Jonathan Chevrier



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