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[CRITIQUE] : Second tour


Réalisateur : Albert Dupontel
Acteurs : Albert Dupontel, Cécile de France, Nicolas Marié, Uri Gavriel,...
Distributeur : Pathé 
Budget : -
Genre : Comédie Dramatique, Comédie, Drame.
Nationalité : Français.
Durée : 1h37min

Synopsis :
Journaliste politique en disgrâce placée à la rubrique football, Mlle Pove est sollicitée pour suivre l’entre-deux tours de la campagne présidentielle. Le favori est Pierre-Henry Mercier, héritier d'une puissante famille française et novice en politique. Troublée par ce candidat qu'elle a connu moins lisse, Mlle Pove se lance dans une enquête aussi étonnante que jubilatoire.



Critique :


Plus de concessions, et surtout plus de naïveté ou d'insouciance dans le cinéma d'Albert Dupontel. Ses alter-egos n'ont plus besoin de masques, de déguisements ou d'être un "paria" pour chercher leur place dans une société avec laquelle il n'est pas en accord. Depuis Adieu les cons (2020), l'alter-ego du cinéaste est une figure non altérée. De l'enfant adulte Bernie au SDF enfilant l'uniforme de policier, jusqu'au criminel lié à une juge, Albert Dupontel troque ces folies pour prendre les traits d'un fonctionnaire dépressif et d'un homme politique plein de doutes. Ainsi le cinéaste a pris une nouvelle direction, celle qui le fait passer du fantasque à la charge sociale. Sans perdre l'absurdité et la comédie satirique au coeur de ses oeuvres.

Mais elles passent du burlesque à une démagogie. Albert Dupontel ne surprend plus : il est passé d'une logique d'ivresse loufoque à une logique de destruction par l'intérieur. Déjà dans son film précédent, il était question de créer un chaos dans l'ancienne entreprise du fonctionnaire viré, de provoquer un déréglement de cet espace. Jusqu'à la violence de ce final. Encore ici, dans Second tour, il y a une logique de destruction. Le candidat politique incarné par Dupontel lui-même reçoit des questions provocatrices de la journaliste incarnée par Cécile de France, il est victime d'attaques visant à le tuer. La destruction passe donc par le sabotage. Que ce soit Dupontel à la place de metteur en scène, à celle du personnage politicien désabusé, ou que ce soit la journaliste, ils ne semblent plus tous trois croire dans les institutions.

Copyright Jérôme Prébois

La politique est un cirque, comme avec cette grande présentation du candidat sur une scène prenant des allures de spectacle (avec toutes ces lumières, ce public agissant comme des groupies, ce seul en scène qui domine pourtant tout le cadre, etc). Face à cela, Dupontel montre le formatage des discours et des questions, jusqu'à pointer aussi du doigt la place du journalisme politique. Celui qui n'a que deux extrémités : celui qui fait la promotion en restant dans l'ombre, celui qui s'amuse de la contradiction avec agressivité. Bien sûr, en perspective de sa charge sociale, le cinéaste cherche une utopie politique où l'honnêteté, la bienveillance, l'humanité seraient les principaux moteurs. Mais la politique n'intéresse pas tellement Albert Dupontel, pas plus que le fonctionnement de l'entreprise et des institutions dans Adieu les cons.

Ce qui l'intéresse est de défier l'autorité, de sortir du cadre professionnel. C'est alors qu'il se lance dans une paire politique/journalisme où son personnage et celui de Cécile de France vont constituer un duo. Comme son fonctionnaire du film précédent formait un duo avec Virginie Efira. Un duo fait pour rapprocher des opposés, pour inventer un autre cadre. En étant toujours accompagné de Nicolas Marié, qui n'est (encore une fois) rien d'autre que la garantie comique du film avec son tempo bien à lui pour sortir des ironies ou des punchlines. A partir de ses névroses, Dupontel réussit bien à s'écarter de la violence qui le désespère pour aller vers l'attendrissement et la naïveté. Toutefois, il s'embarque dans une mécanique narrative très prévisible, qui se calque sur le schéma de Adieu les cons. Le film semble progresser en mode automatique, avec les mêmes motifs de mise en scène.

Copyright Jérôme Prébois

Comme depuis ses débuts, le cinéaste montre des personnages à la poursuite d'un autre soi : un orphelin en recherche de sa maturité, un sans-abri en recherche de responsabilités, un criminel en recherche d'une vie ordinaire via la paternité, un fonctionnaire en recherche de son ambition professionnelle, et ici un politicien en recherche d'un anonymat. A chaque fois incarnés par Albert Dupontel lui-même, ces personnages poursuivent une version d'eux-mêmes qui n'aurait pas à subir une position sociale qu'ils n'ont pas vraiment choisi. Comme si le cinéaste cherchait à poursuivre une version de lui qui n'aurait pas à témoigner l'absurdité et la violence de ce qu'il observe, pour pouvoir retourner à une vie plus tendre et paisible.

Parce que Second tour est limpide sur ce point, il y a les côtés violent, cynique et épuisant de la politique. Dans le paraître qu'elle incarne, et dans le chaos qu'elle provoque. Mais il y a aussi tout l'aspect ambiguë de la politique, avec cette façon de jouer avec le flou autour des personnages, de créer des masses autour des figures importantes. Face à l'indicible et les espaces impénétrables, Dupontel cherche à extraire les corps pour les emmener vers l'aventure. Parce que tous ces espaces sont tour à tour des suffocations brûlantes (le bureau de la journaliste, le danger dans lequel elle s'immisce pour son enquête) ou des froideurs (les déplacements du politicien). C'est le décalage habituel du cinéaste pour aller découvrir ce qui est dans la marge, ou plus justement : qui est dans la marge.

Copyright Jérôme Prébois

Des aventures (presque des road trip, parfois) pour retrouver une tendresse à travers un brin de folie, et surtout une touche d'absurdité. Parce que les films d'Albert Dupontel sont avant tout des comédies, des satires. Sauf qu'il est toujours aussi peu clair sur sa vision du monde. Autant ses films pré-Adieu les cons fonctionnaient dans des sortes de bulles de fantaisies, autant ses charges sociales très directes ne proposent qu'une extraction temporaire avant de revenir au point de départ. A la place, les espaces provoquant les névroses (et le danger) sont des matières informes : ce qui est pourri de l'intérieur est filtré par des éléments en rapport avec la modernité, avec le high-tech.

Comme si tout doit être forcément vu avec une distance, que toutes ces images de la bêtise du monde sont des manifestations obsolètes d'un surréalisme inopportun. Puisque ce qui intéresse véritablement Dupontel est cet isolement qui apparaît avec le décalage. Celui qui crée un dialogue sans l'intermédiaire de la technologie et des images, ce qui a besoin de nature et d'eau fraiche pour retrouver un sens à la vie. Ce qui rend le film très démagogique dans son approche, jusqu'à être assez peu concerné par la complexité de ses personnages principaux. Puisque le seul personnage qui vient dérégler tout ce chaos appartient à un enchantement béat. Il est la représentation personnifiée d'un idéal selon Dupontel : la naïveté, l'insouciance, l'indigence face à la politique. Ne pas la comprendre pour vivre mieux, pour retourner à une paisibilité et une pureté de l'âme.

Copyright Jérôme Prébois

Sauf que le retour à la tendresse et à l'insouciance de la solidarité ne se fait pas si facilement. Albert Dupontel a encore besoin de cumuler beaucoup trop de rebondissements, comme un journaliste qui n'en finirait pas de mettre à jour un seul et même article pour compléter son récit. Tel Adieu les cons, ce nouveau film se veut jusqu'au-boutiste en grossissant chaque trait. Jusqu'au grand débat du second tour (d'où le titre du film), exercice grand guignolesque assez mou, et encore une fois marqué par la technologie moderne.

La destruction entreprise ici est bien inconséquente, déjà par le fait de retourner dans le sillage de ce qui est pointé du doigt, mais surtout en ne détruisant pas vraiment les images pour plutôt y mettre simplement une pause.


Teddy Devisme