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[CRITIQUE] : Le Vourdalak


Réalisateur : Adrien Beau
Acteurs : Ariane LabedKacey Mottet KleinGrégoire Colin,...
Distributeur : The Jokers / Les Bookmakers
Budget : -
Genre : Fantastique.
Nationalité : Français.
Durée : 1h35min

Synopsis :
« Mes enfants, » avait dit le vieux Gorcha avant de partir, « attendez-moi six jours. Si au terme de ces six jours je ne suis pas revenu, dites une prière à ma mémoire car je serai tué au combat... Mais si jamais, ce dont Dieu vous garde, je revenais après six jours révolus, je vous ordonne de ne point me laisser entrer, quoi que je puisse dire ou faire, car je ne serais plus qu'un maudit Vourdalak ». C’est dans une famille en proie à l’angoisse, au terme du sixième jour, que trouve refuge le Marquis Jacques Antoine Saturnin d’Urfé, noble émissaire du Roi de France…



Critique :


Bien des aspects du Vourdalak d’Adrien Beau transpirent d’originalité. Commençons par le matériau de base, la nouvelle d’Alexeï Tolstoï : “La Famille du Vourdalak”. Écrite en français vers 1840, elle ne fut publiée qu’à titre posthume vers 1880 dans une traduction Russe. Le texte est par ailleurs disponible en ligne pour les plus curieux d’entre vous. Le film d’Adrien Beau décide d’adapter une œuvre de jeunesse de cet auteur russe qui n’ a failli pas être édité mais qui en plus, propose, pour notre regard occidental trop habitué au vampire aristocrate et séduisant, une vision fraîche du mythe du vampire. L’originalité de ce film réside aussi dans une certaine audace esthétique. Il est déjà difficile de produire un film de genre en France. Les derniers en date ont préféré miser sur l’hybridation du social et du fantastique. Ce n’est pas le cas du Vourdalak qui propose une oeuvre incongrue au style atypique qui devrait fortement diviser.

Copyright The Jokers Films

Des vampires, au cinéma, il y en a eu et la figure la plus récurrente est celle du séduisant aristocrate, à la sexualité trouble, aux mœurs débridées et beau comme un diable. Il est parfois arrivé que le vampire soit une créature beaucoup plus primitive et bestiale mais des bons pères de famille, il n’y en a pas eu des masses. Le patriarcat en prend pour son grade. Le “bon père de famille” est devenu créature squelettique et absurde qui manipule sa petite maisonnée pas bien maline et surtout très obéissante vers sa fin funeste. 

Filmé en 16mm avec des effets spéciaux très artisanaux, Le Vourdalak assume complètement d’être à contre courant du tout digital. L’imperfection et la rugosité fascinent autant qu’elle amuse. Le grain de la photographie, le grand guignol sanguinolant décomplexé et la diction avec emphase des acteurs transportent hors du temps pour proposer un conte gothique étrange mais aussi très politique. 

Copyright The Jokers Films

Le Vourdalak est la bonne surprise française de ce mois d’octobre. Audacieux, malin et terriblement fascinant, il propose une lecture encore assez inédite au cinéma de la figure du vampire, sans oublier de poser un regard critique sur le concept même de patriarcat. Le tout porté par des acteurs impliqués, Ariane Labed en tête, dont la prestation fut primée à la Semaine de la Critique


Éléonore Tain


Copyright The Jokers Films

Il y a quelque chose de sensiblement séduisant, au-delà même du long-métrage en lui-même, estampillé premier effort du wannabe cinéaste Adrien Beau - proche collaborateur d'Agnès B. -, dans le fait que Le Vourdalak implique presque instantanément au spectateur d'établir un pacte de confiance avec les images qu'il est en passe de découvrir.
Implique au spectateur d'entamer un processus d'acceptation, franc et direct, que l'expérience fantastique qu'il va vivre est volontairement aux antipodes de ce que l'imaginaire collectif a comme idée du mythe vampirique et de son expression cinématographique, nourrit par un esprit moderne/contemporain qui lui aura plus fait de mal qu'autre chose (et pas uniquement par Twilight, on vous voit venir).

Ainsi, très vite, le gothique - son atmosphère comme ses codes - prend ses aises et établit la grille de lecture, le terrain de jeu dans lequel Beau va naviguer comme un poisson dans l'eau : celui d'un hommage à l'épouvante artisanale d'antan (jusqu'à tourner dans un éblouissant 16 mm), quitte à parfois se perdre un peu, dans sa quête obstinée du passé et de sa reproduction.

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Car en adaptant (très librement) Alexeï Konstantinovitch Tolstoï et sa nouvelle La Famille du Vourdalak (qui a esquissé la figure du vampire, paysan issu de la classe inférieur, que rendra populaire un peu plus tard, et avec de légères nuances, Bram Stoker), le cinéaste cite directement le maître du gothique, Mario Bava, qui s'était déjà laissé aller à adapter l'œuvre du cousin de Léon Tolstoï avec son merveilleux Les Trois Visages de la peur.
Alors certes, si le jeu des comparaisons tournerait vite court - là n'est pas le but, et Beau évite tout malentendu à ce sujet -, cette volonté de s'inscrire dans les pas de l'orfèvre italien ne fait qu'appuyer son retour à un cinéma d'impression plus que de réflexion, d'atmosphère et d'ambiance plus que de réelle terreur, d'un cinéma qui n'avait pas forcément peur de s'éloigner de la rugosité et du sens d'un récit, pour mieux créer le vertige.

Si tout n'est pas parfait au final - loin de là même -, difficile de ne pas se laisser charmer par ce voyage intemporel aussi sombre que sensuel, embaumé dans un clair-obscur spectral (avec son usage romantique de la lumière) et une dimension politique plus pointue qu'elle n'en a l'air (tout le récit, sous fond d'intolérance, est une allégorie fustigeant le patriarcat).
Un beau moment d'épouvante authentique et audacieux, comme on en voit définitivement trop peu.


Jonathan Chevrier


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