[INSTANT LITTERATURE] : #16. La Carte postale (Anne Bérest)
" Quoi, un site centré sur le cinéma qui papote littérature, mais quelle hérésie ! ".Voilà une manière polie de dire " qu'est-ce qu'on est en train de foutre ", mais à une heure ou la littérature n'a jamais autant été liée au septième art (ah, Hollywood et son manque d'originalité...), nous avons trouvé de bon ton, en temps que media, de voir un petit peu plus loin que le bout de notre plume, et d'élargir notre prisme de partage culturel en papotant littérature donc, sans pour autant que cela soit lié au cinéma - même si cela arrivera certainement souvent.
Armez-vous de vos lunettes, d'un marque-page et d'un potentiel chèque-cadeau FNAC pour faire vos emplettes, et lisez un brin nos recommandations littéraires pleines d'amour, au coeur de notre nouvelle section : Instant Littérature !
#16. La Carte postale de Anne Bérest
Résumé présenté par Anne Bérest sur la quatrième couverture (édition Le Livre de Poche) :
« La carte postale est arrivée dans notre boîte aux lettres au milieu des traditionnelles cartes de vœux. Elle n'était pas signée, l'auteur avait voulu rester anonyme. Il y avait l'opéra Garnier d'un côté, et de l'autre, les prénoms des grands-parents de ma mère, de sa tante et de son oncle, morts à Auschwitz en 1942. Vingt ans plus tard, j'ai décidé de savoir qui nous avait envoyé cette carte postale, en explorant toutes les hypothèses possibles qui s'ouvraient à moi. J'ai retracé le destin romanesque des Rabinovitch, leur fuite de Russie, leur voyage en Lettonie puis en Palestine. Et enfin, leur arrivée à Paris, avec la guerre et son désastre ».
Publié en 2021, La Carte Postale d'Anne Bérest est certainement l'un des plus grands succès littéraires français de ces dernières années qui a enchaîné les récompenses : Grand Prix des lectrices de Elle, Prix Renaudot des Lycéens, Grand Prix des Blogueurs Littéraires, Prix Littéraire des Etudiants de Sciences Po ou encore Choix Goncourt des Etats-Unis. Rien que ça. On ne va tourner autour du pot : ce succès, autant critique que public, est amplement mérité.
Deux parcours narratifs, présentés alternativement, sont au cœur de ce récit : celui de l'autrice-enquêtrice à notre époque et celui de ses ancêtres, la famille Rabinovitch, durant la Seconde Guerre Mondiale. Avec l'aide de sa mère Lélia, Anne Bérest veut éclaircir dans un premier temps le mystère qui tourne autour de la fameuse carte postale annoncée dès le titre et même dans les premières pages du livre : qui a envoyé cette carte ? Dans quel but ? Pourquoi rester anonyme ? Mais surtout, pourquoi faire remonter à la surface le passé ? Le récit prendra parfois des allures de thriller : le résultat est assez étonnant et surtout plaisant, jamais incompatible avec la gravité de son sujet.
En réalité, répondre à ces questions signifie pour son autrice de prendre conscience de son identité et même de pouvoir enfin la revendiquer grâce au processus d'écriture. Le chemin pour y arriver sera douloureux (la carte postale en question avait été délaissée durant des années). A partir de ses recherches, Bérest reconstitue le passé de ses ancêtres avec un procédé davantage romanesque (notamment dans l'écriture des dialogues, qui sont sans fioritures). Procédé particulièrement intéressant dans une œuvre qui traite de la question phare de la vérité, de son essence et surtout de sa nécessité pour la reconstruction identitaire. Que signifie aujourd'hui être un descendant de survivants ? Est-il facile aujourd'hui d'être juif après un traumatisme collectif aussi douloureux ? Le collectif ici, c'est autant la société française dans sa globalité que la propre famille d'Anne.
©AFP - CHARLY TRIBALLEAU |
Avec simplicité, Bérest pose alors des mots sur des silences familiaux, des souvenirs troublants qui pouvaient auparavant sembler anecdotiques, des correspondances étranges qui prennent sens peu à peu. On pense particulièrement à la très courte partie intitulée sobrement « Les prénoms » qui retrace un bref échange épistolaire (par courriel) entre Anne et sa sœur Claire (qui avait co-écrit avec elle la biographie Gabriële, personnalité évoquée à plusieurs reprises dans La Carte postale). Il s'agit d'un passage particulièrement bouleversant dans lequel les sœurs Bérest réalisent l'héritage profond qu'elles portent depuis leur naissance. Des moments bouleversants, il y en a pourtant d'autres dans La Carte postale. Le sort tragique des Rabinovitch, qu'on a appris à connaître quelques pages auparavant, nous arrachera quelques larmes. Bérest annonce leur assassinat à Auschwitz avec sobriété mais sans nous épargner non plus l'horreur qui résidait au sein des camps au quotidien, avant le dernier geste fatal. Elle n'épargne pas non plus les autorités françaises, complices dans ce massacre. Elle nous redonne un peu de baume au cœur quand elle évoque dans une dernière partie la Résistance et toute son organisation à travers la France.
Entre récit historique et introspection intime, La Carte postale est une œuvre poignante, profonde et authentique sur la transmission générationnelle, l'importance du devoir de mémoire et la quête identitaire.
Tinalakiller