[FUCKING SERIES] : One Piece saison 1 : Ludique mais ins(L)uffisant
(Critique - avec spoilers - de la saison 1)
Si une grande majorité des fans de shōnen n'hésitent pas à le considérer comme le meilleur de tous les temps (la bagarre est rude avec Naruto, mais ici on est et l'on restera - malgré GT et Super - une Team DB/DBZ), alors même qu'il ne cesse de défier les lois de la raison en étirant toujours un petit peu plus, son épopée fantastique (1090 chapitres publiés en 106 volumes, adaptés jusqu'à maintenant en 1073 épisodes animés et plusieurs OAV, un volume impressionnant qu'il n'a d'égal que sa popularité); One Piece débarque donc du côté de la plateforme au Tudum via une adaptation en live-action aussi pleine d'ambitions que porté par une litanie d’attentes à répondre.
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Évidemment, toute adaptation d'une œuvre chérit, et encore plus une œuvre aussi dense que celle d'Eiichiro Oda, ne peut qu'attiser des attentes, souvent disproportionnées, mais il y a avant tout et surtout un plafond de verre quant à ce type de réappropriation américaine d'une œuvre japonaise, qui plus est en prise de vue réelles, d'autant que Netflix s'est déjà prise les pieds dans le tapis avec son adaptation de Cowboy Bepop.
En conséquence, les attentes étaient au moins aussi grandes que les craintes, et s'il est un brin injuste de comparer les deux adaptations (le matériel source de Bepop est infiniment plus sombre et complexe à retranscrire, notamment dans ses nombreuses humeurs tonales et ses nombreux styles visuels), force est d'admettre que One Piece sauce Netflix, qui reprend les prémisses du voyage chimérique de Monkey D. Luffy, pour devenir rien de moins que le roi des pirates, est un spectacle réjouissant qui, au départ tout du moins, via un excellent épisode pilote, rend la quête de Luffy, et les nombreux amis et ennemis qu'il rencontre en chemin, aussi plaisante et prenante qu'on aurait pu l'espérer.
Les showrunners Matt Owens et Steven Maeda mettent très vite les petits plats dans les grands pour donner vie au bijou d'Oda, présentant avec enthousiasme tout son univers et ses personnages, dans un souci du détail et une dévotion qui force intimement le respect.
Malheureusement, c'est justement une fois que les pièces du puzzle trouvent leur place, que la machine commence à dérailler.
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Structuré autour de huit épisodes à la durée diverse, la première saison du show s'échine à retranscrire la (très) lente constitution/formation de l'équipage de Luffy, les Pirates du Chapeau de Paille, alors qu'il parcourt l'océan East Blue pour se faire un nom, où chaque étape se fait la répétition redondante d'un même cycle : Luffy se fait un nouvel ami, rencontre un nouvel ennemi, tandis que des flashbacks viennent nourrir le background de chaque nouveau membre de son équipe, et les raisons pour lesquels ils se lancent dans l'aventure.
En ce sens, ce n'est pas tant son adaptation, pour le coup joliment fidèle donc, mais bien la formule Netflixienne (jusque dans sa ressemblance avec tous les shows " originaux " de la firme, d'un premier épisode qui envoie du pâté à la lente descente vers les limbes de l'ennui, relevé par un ultime épisode qui dépote) de ce One Piece, qui lui fait le plus de mal, tellement opaque et familière - jusque dans sa mise en scène et sa photographie -, qu'elle gangrène presque toute tentative ambitieuse pour l'uniformiser, la standardiser au sein d'un catalogue où rares sont les propositions qui cassent le moule.
Et la série n'y coupe pas à cette signature Netflix, de son rythme férocement décousu à ses longues séquences verbeuses, sans compter une caractérisation des personnages limitée (malgré un matériau d'origine souvent fort), One Piece, bien qu'elle tente d'insérer son propre groove à l'instar de The Sandman l'an dernier, adopte sous la contrainte les conventions et le tempo familier de son hôte.
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Pourtant, difficile de ne pas saluer sa production colorée et méticuleusement fidèle, de ses décors à ses costumes, sans oublier une action comico-énergique (même si tout n'est pas parfait) jamais plombé par ses inserts SFX (moins dégueu que la moyenne).
Même sa distribution est savoureusement au diapason et investie, d'un Iñaki Godoy joliment exubérant et parfait en Luffy, à un tandem Taz Skylar/Mackenyu (qui sort bien plus grandit que son expérience sur Les Chevaliers du Zodiaque de Tomasz Bagiński) charismatique à souhait.
Cela rend d'autant plus frustrant la vision de cette première salve d'épisodes, tant leur investissement n'est jamais réellement mis en valeur par une saison qui semble à la fois, paradoxalement, aussi expéditive que profondément ennuyeuse et lancinante, semblant rusher à chaque étape clé de sa narration, tout en prenant inexplicablement son temps entre chaque dilemme/sous-intrigue à régler.
Comme si, tempo Netflixien oblige, il ne fallait pas trop vite brûler les étapes, pas trop en dire ni faire pour ne pas faire exploser l'algorithme d'une formule usée.
Comme s'il ne fallait pas trop dévoiler les secrets de sa poule aux œufs d'or, pour mieux l'essorer sur le long terme.
Ce qui est ridicule avec un matériau aussi dense que One Piece, dont l'adaptation ne repousse pas totalement son étrangeté (on est souvent, réellement, devant à un shōnen en live-action, et seul Kenshin le vagabond de Keishi Ōtomo, et Speed Racer des sœurs Wachowski, avaient réellement réussi cette exploit jusqu'ici), preuve si besoin était encore, que la vision qu'applique la plateforme à toutes ses productions, est on ne peut plus obsolète et générique.
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Tout l'esprit des shōnen est là, de l'exagération géniale et gonzo-esque des affrontements à la manière kitsch/délirante qu'ont les combattants à citer leurs coups/techniques fatales, des personnages fantasques et hauts en couleur à son exacerbation de la notion d'amitié; mais enrobé dans la gelée Netflixienne, le plaisir que ces bizarreries convoque semble atténué, asphyxié, dilué.
Pourtant, impossible de nier que cette itération de One Piece n'est pas loin du combo gagnant, et qu'elle a tout en elle pour être une magnifique célébration de l'œuvre d'Oda.
Tout n'est qu'une question de détails, et le plus important reste celui qu'incarne la formule redondante du N imposant, qu'elle a de tatouée sur sa pellicule...
Jonathan Chevrier