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[ENTRETIEN] : Entretien avec Lucie Debay (Le syndrome des amours passées)

Copyright Coadic Guirec / Bestimage // Copyright HÉLICOTRONC & TRIPODE PRODUCTIONS


Une interview avec Lucie Debay constitue un grand plaisir au vu de la façon dont l’actrice transforme un entretien en vraie discussion informelle et amusée, avec autant de malice que dans son jeu. Le fait de revenir avec elle sur un film aussi particulier dans son ton que Le syndrome des amours passées permet alors de mieux cerner toute la légèreté émotionnelle qui anime le long-métrage ainsi que sa prestation.

En fait, l’écriture se fait avec les acteurs et on reste en improvisation pendant tout le film. Mais, comme on connaît tellement bien la matière et le rapport avec chacun des autres personnages, c’est de l’impro très cadrée et travaillée. Donc, quand ils m’ont proposé leur deuxième film, j’ai dit oui directement. - Lucie Debay


Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager sur ce film ?

J’avais déjà travaillé sur le premier film des réalisateurs (Ann Sirot et Raphaël Balboni, Une vie démente) et c’est une expérience que j’ai beaucoup aimée parce qu’ils ont une méthode de travail qui offre un plaisir énorme aux acteurs. Ils nous impliquent en fait très en amont sur le tournage. Ils ont déjà une trame mais ils nous demandent d’improviser sur des situations. Ils filment, ils montent, ils réécrivent,… En fait, l’écriture se fait avec les acteurs et on reste en improvisation pendant tout le film. Mais, comme on connaît tellement bien la matière et le rapport avec chacun des autres personnages, c’est de l’impro très cadrée et travaillée. Donc, quand ils m’ont proposé leur deuxième film, j’ai dit oui directement. C’est tellement agréable de travailler comme ça.

Donc ils ont prolongé cela dans leur deuxième réalisation ?

Oui, c’est vrai qu’ils ont mis en place cette méthode qui est assez drôle en fait. Après, ils s’adaptent au sujet donc il y a évidemment beaucoup de choses qui changeaient parce qu’ici, on se trouve dans une comédie romantique avec un côté assez absurde par ce syndrome qui n’existe pas. C’est quelque chose qui m’éclatait pas mal. Et très vite, en improvisant, on s’est rendu compte que les situations étaient vraiment folles à jouer. Aussi, ce côté absurde va faire vivre au couple quelque chose de condensé. Il y a quand même plein de situations qu’on connaît et on peut tous s’y identifier.

Comment décririez-vous alors votre personnage ? Elle paraît un peu plus forte dans le couple au début par rapport à son partenaire avant que quelque chose ne les équilibre différemment.

Il y a quelque chose qui les équilibre au début mais c’est sûr qu’ils se retrouvent à se comparer. C’est intéressant en fait de se dire qu’on a eu une certaine sexualité, qu’on a approché les corps des gens de cette façon, que cela nous a construits d’une certaine manière et de revenir là-dessus. On apprend ainsi comment on a grandi. Du coup, comme il y a cette comparaison, Rémy perd très vite en confiance et commence à se poser des questions qu’il ne se posait pas avant. C’est vrai que c’est intéressant car mon personnage tient un peu la trame dramatique du film. Il y a quand même une courbe qui n’était pas évidente à gérer car ça va de plus en plus mal pour moi alors que lui découvre plein de choses.

Le sexe est chorégraphié d’une certaine manière dans le film. Était-ce quelque chose que vous appréhendiez ?

Je trouvais ça intéressant car on parle beaucoup de ça, le fait de faire l’amour, et c’est très difficile de représenter cela au cinéma. C’était donc intéressant de décaler ça avec ce qu’on appelle des métaphores. Ce sont des scènes qu’on a mis beaucoup de temps à préparer. Au final, il reste parfois pas grand-chose mais cette sensation, ce ressenti. Il y avait un peu de nudité dans la métaphore mais c’est quelque chose qui se retrouve aussi au lit quand on n’a pas de sexe. Je trouvais donc ça intéressant de voir que l’intimité était à cet endroit-là, d’être nu mais que les corps soient dans ces moments de simples discussions de couple. Comme j’ai fait beaucoup de danse, je suis intéressée par tout ce qui est physique donc je me suis éclatée à faire ces métaphores même si c’est sûr qu’on a eu des moments de solitude forcément. (rires)

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Est-ce qu’il y a un de ces moments dont vous voulez parler ?

Par rapport à la nudité, la plupart du temps, c’était joyeux car on mettait souvent de la musique et il y avait un truc assez récréatif de se retrouver dans cette situation. Il y a juste une fois où je me suis sentie un peu plus mal à l’aise, lors de la métaphore où on a le sac en papier sur le visage. On essaie de se trouver comme ça sans rien voir. Là, c’était particulier car être nu et faire des choses décalées mais en étant coupé de la vue, c’était particulier. Toute l’équipe pouvait nous voir et il y avait quelque chose de ne pas partager dans le fait de nous couper un sens.

Est-ce qu’il y a une autre séquence dont vous avez plus envie de parler ?

Toutes les scènes dans le lit se sont faites d’un bloc lors des derniers jours du tournage. Ils ont recréé la chambre dans un studio. C’était intéressant de retrouver toutes ces étapes où on rejoue toute cette courbe émotionnelle par laquelle ce couple passe. Je trouvais ça assez génial d’être dans des impros de 10 minutes, qu’on les refait et qu’il faille tout le temps être dans la recherche pour aller plus loin. On est complètement libre car il n’y a pas de champ contrechamp, tout est en plan séquence. Du coup, on ne doit jamais se préoccuper des raccords et de refaire ce qu’on vient de faire sinon on ne saura pas raccorder à ce que le partenaire fait. On peut donc complètement se laisser aller dans l’impro. Le fait de se voir beaucoup en amont – on a commencé à se voir deux ans avant le tournage – et de se retrouver à quatre à improviser sur ces situations tout en n’étant pas tout de suite en tournage, cela crée une détente qui permet d’aller où on veut car on n’est pas dans une demande immédiate de résultat. On ne recherche pas l’efficacité. Donc ce truc d’être en impro et de se perdre m’a permis d’être détendue comme je ne l’ai jamais été avant sur un tournage. Je sais que l’impro dure dix minutes et que je n’ai pas à être bonne du début jusqu’à la fin. Ils ne gardent que ce qui est bon, ils jump cuttent donc il n’y a pas cette pression. On nous disait lors de la projection au BRIFF que c’était génial d’utiliser le numérique de cette façon car on peut avoir tellement de matière et, avec ce système de jumpcut, on se débarrasse de tout. Merci à eux d’avoir mis ça en place car grâce à ça, on ne peut pas être mauvais ! (rires) On est obligé d’être à l’écoute de l’autre avec l’impro et juste d’être là, le fait d’avoir cette liberté au présent permet d’accueillir l’accident. On a tout le temps des trucs pas prévus car il y a un champ de jeu génial.

C’est vrai que l’on ne pense pas nécessairement à quel point cette technique est pratique pour vous.

Dans un film, normalement, si je dois boire dans une scène, la prise d’après m’impose de me remettre dans une position alors que là, jamais on ne s’en préoccupe et du coup, nos corps sont libres. J’ai remarqué que dans leurs deux films, j’avais des positions que je n’avais jamais eues dans d’autres films. C’est une position de lâcher prise.

Le film passait au BRIFF avec un accueil chaleureux des spectateurs lors de la projection. Quel sentiment cela vous procure ?

Alors, je ne l’ai pas vu car j’ai dû passer d’une salle à l’autre vu qu’on devait le présenter au Palace puis à l’UGC mais ce sont déjà deux salles impressionnantes. Cela me rendait trop contente de partager cela avec l’équipe du film, avec qui j’ai énormément travaillé et qui découvrait le film. Évidemment, cela fait aussi du bien que ce soit bien reçu car cela peut tourner au cauchemar si cela ne va pas. (rires) Je me suis dit au festival des Champs-Elysées, où c’était surtout des gens que je ne connaissais pas qui venaient me parler, que c’est un film qui met dans une humeur vraiment chouette. Les gens qui venaient me voir étaient vraiment très détendus. (rires) Il y a des choses comme ça qui contaminent le public. Toi, ça t’a fait quoi comme effet ?

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Cela m’a beaucoup touché car il y a plein de trucs où je m’y suis retrouvé émotionnellement et en même temps, j’ai beaucoup ri et j’ai senti que le public était vraiment investi dans le film.

Il faudrait alors que je le revoie car, vu qu’il y a beaucoup d’impros et de choses qui sont écrites au montage, je voyais aussi dans le film tout ce qui n’était pas là. Il y a des scènes qui étaient grosses à l’origine et dont il ne reste au final qu’un silence. Peut-être qu’il fallait passer par là pour avoir le silence chargé comme ça. Du coup, je l’ai regardé avec plein de trucs en tête donc je dois le revoir pour mieux le capter. J’étais en jumpcut durant la séance. (rires) J’espère que cela ira pour retranscrire tout ça ! (rires)

Oh, je suis sûr que ça ira, il y aura aussi des jumpcuts dans l’interview ! (rires) Je trouve que vous êtes l’un des visages du cinéma belge actuel. Quel regard portez-vous sur ces nouvelles productions ?

Ce que je vois, c’est que je grandis avec des cinéastes et des acteurs de ma génération. J’ai fait l’INSAS, il y a plein de gens que j’ai rencontrés à l’école ou qui étaient à l’IAD. Je m’éclate de voir les projets de ces gens, de voir leur carrière et de suivre le travail de certaines personnes. J’ai la chance d’avoir retravaillé plusieurs fois avec des gens. C’est un métier où on est tout le temps propulsé vers de nouveaux projets. Par exemple, avec Claude Schmitz, c’est une collaboration qu’on a depuis plus de dix ans. C’est pour cela qu’on a pu faire « Lucie perd son cheval ». C’est quelqu’un qui a un cinéma, qui a une méthode et qui cherche. Pouvoir chercher avec, pousser la réflexion, d’accompagner des cinéastes avec une écriture qui leur est propre comme avec Ann et Raph, c’est génial de pouvoir participer à ça et d’être impliqué comme ils ont pu m’impliquer car cela n’arrive pas toujours. Là, le fait d’avoir rencontré Baloji, d’être dans un nouvel univers. Je sens que j’ai beaucoup de chance d’avoir croisé la route de ces personnes et de pouvoir suivre leur route. Ici, je vais retrouver Jessica Woodworth avec qui j’ai fait King of the Belgians et Barefoot emperor. J’ai l’impression mais c’est très difficile car je ne fais pas d’analyses (rires) mais il y a des projets forts avec des écritures particulières qui ressortent. Après, quand on me propose un projet, notamment Ann et Raph où le scénario n’est pas complètement écrit et Claude encore moins (rires), on me demande comment je les choisis. Très vite, je sens l’univers de la personne et cela me donne envie. Justement, je ne comprends pas tout mais je sens qu’il y a quelque chose qui pourrait (rires) m’éclater et cela me donne envie de les suivre dans leur aventure. C’est une chance énorme de me dire que je participe à quelque chose de nouveau.



Entretien réalisé par Liam Debruel.

Merci à Tinne Bral d'Imagine pour l'interview ainsi qu’à l’équipe du BRIFF.