[ENTRETIEN] : Entretien avec Ann Sirot et Raphaël Balboni (Le syndrome des amours passées)
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Plus d’un an après le succès de leur premier long-métrage, Une vie démente, lors de la cérémonie des Magritte avec 7 prix, Ann Sirot et Raphaël Balboni reviennent avec un nouveau regard sur le couple. Le syndrome des amours passées est une comédie aussi drôle que surprenante, proposant un œil neuf sur la question de la sexualité passée et du « besoin » d’enfant qui devrait largement toucher le public. C’est lors de la dernière édition du BRIFF que nous avons pu rencontrer ce duo de réalisateurs au style aussi atypique que singulier.
C’est un couple qui veut ardemment une famille biologique, une famille, et finalement, sans vouloir spoiler la fin (rires), ils obtiennent ce qu’ils veulent mais pas vraiment comme ils le veulent. - Ann Sirot
D’où vient ce « Syndrome des
amours passées » ?
Raphaël Balboni : Je pense
que l’idée de ce concept un peu absurde nous permet d’avoir un cadre dans
lequel on va pouvoir mettre plein de choses et s’amuser. Je pense que c’est ça,
lorsqu’on a eu l’idée de ce syndrome, qui nous amusait beaucoup.
Ann Sirot : C’était aussi l’occasion
de mettre un couple hétéro dans une situation un peu complexe et de parler de
ces questions d’exclusivité sexuelle, cette injonction à fonder une famille,
avec notre public.
Par rapport à cette injonction,
le début (ainsi que la fin, que je ne vais pas dévoiler) sont très significatifs…
AS : Ce qu’on voulait, c’est
qu’ils obtiennent un peu ce qu’ils veulent mais pas complètement. C’est un
couple qui veut ardemment une famille biologique, une famille, et finalement,
sans vouloir spoiler la fin (rires), ils obtiennent ce qu’ils veulent mais pas
vraiment comme ils le veulent. C’est un appel aussi à aimer la famille qu’on
est amené à former, même si ce n’est pas celle qui était prévue au départ, à
aimer son passé sexuel, à aimer qui on a été, à aimer notre façon de faire des
liens avec les autres et pas forcément devenir quelqu’un d’autre dans sa façon
de le faire.
Par rapport à l’aspect sexuel,
est-ce qu’il n’y avait pas certaines craintes, notamment dans leur aspect
chorégraphié ?
RB : Non, on a tout de suite
voulu montrer ça de manière décalée et onirique, montrer la volupté et la
sensualité de manière différente. C’était un super terrain de jeu pour nous
d’imaginer des métaphores, de partir vers des univers un peu différents, de
s’inspirer de plasticiens, de chorégraphes, d’images qu’on aurait pu voir pour
jouer avec des éléments du film comme le sac en papier qu’on leur a mis sur la
tête avec des dessins. Tout ça, c’était un plaisir à préparer, c’était super
amusant. On travaillait avec notre chorégraphe, Denis Robert, avec les
responsables costumes, le chef opérateur, … On faisait des petits workshops
comme ça, des petits groupes de travail et des sessions de répétition d’une
journée ou deux parfois avec le chorégraphe et les danseurs. C’était hyper fun
à faire.
Il y a une certaine forme d’épure
poétique dans certaines séquences avec un équilibre avec la réalité du
quotidien. Comment maintenir cette balance tout au long du film ?
AS : Je pense qu’on est intéressé et que tout le monde l’est un peu dans le cinéma par un mélange entre l’artificiel et le naturel. Nous, le naturalisme nous intéresse dans le dialogue par exemple. C’est pour cela que l’on charpente le récit en écrivant les scènes du film mais on ne fixe pas les dialogues. On laisse chaque fois les acteurs faire leurs propres mots pour vivre la situation car on aime bien cette naturalité du parler. Dans la vie, on va parfois s’interrompre, parler l’un sur l’autre, se répéter ou demander à l’autre de le faire car on n’a pas bien compris. On aime bien ce naturel à cet endroit-là. Ensuite, pour plein de choses, dès que c’est codé, on se dit qu’on peut se permettre d’autres codes. Dans notre premier long-métrage, « Une vie démente », on avait par exemple toutes ces scènes chez le banquier, chez le médecin, … On avait un parti pris qui était assez prononcé. Quand on voit un banquier ou un médecin dans une fiction, on sait que c’est un acteur derrière une blouse, on sait que c’est du code avec le spectateur donc on peut proposer autre chose. Là, c’est pareil avec la sexualité. On voit toujours un peu les mêmes choses dans la fiction pour signifier que deux personnes font l’amour. On s’est dit qu’on ne voulait pas être là-dedans, on ne va pas montrer de la sexualité graphique mais plutôt proposer une ambiance de volupté mais sans montrer graphiquement un couple en train de faire l’amour.
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Pour revenir au sujet du couple,
qu’est-ce qui vous intéresse dans cette thématique relationnelle, déjà au cœur
d’Une vie démente ?
RB : Dans notre
court-métrage aussi, il était déjà pas mal question de couples. On est déjà
deux à écrire donc on aime bien mettre deux personnages en scène. Je pense que
le couple est un vaste sujet qui nous inspire pas mal. Ce qui est chouette
aussi ici, ce sont les rapports frères-sœurs qu’on n’avait jamais faits avec
les deux sœurs puis le frère-sœur. C’était marrant aussi à construire ces duos,
à jouer avec. Cela nous amuse de faire ces duos car on est deux à écrire et à
penser la chose.
Comment fonctionnez-vous
d’ailleurs en tant que duo à l’écriture et sur le plateau ?
RB : À l’écriture, on
travaille plus par couche, chacun l’un après l’autre. On ne fait pas de longues
sessions de brainstorm même si on se parle après chaque texte. On va plutôt
travailler chacun de son côté puis en ping pong avec ici je crois 6 script doctors
qui ont lu le texte à différents moments. On aime bien avoir des feedbacks de
leur part mais aussi de la monteuse à qui on fait lire le texte avant. Par
contre, sur le plateau, on fait toujours tout à deux comme parler aux
comédiens. On ne se consulte jamais, on coupe, on va voir les comédiens et on
leur dit tout ce qu’on a ressenti de la scène. Parfois, c’est un peu
contradictoire…
AS : Ensuite, c’est une
discussion à nous deux avec les interprètes pour amener la scène à un autre
niveau.
RB : Mais on n’a pas de
spécificité où chacun s’occupe de départements différents. On fait tout
ensemble. Et en post-prod, je commence à monter avec une autre monteuse. On a
d’abord besoin de travailler tous les deux avec Ann puis la monteuse vient.
Ici, on a continué à travailler en parallèle donc la monteuse vient, je
continuais aussi à monter et Ann passait d’une station de montage à l’autre et
on avançait comme ça.
Par rapport au montage, les
coupes sont plutôt franches, ce qui était déjà le cas dans Une vie
démente. N’aviez-vous pas peur que le public soit trop désorienté par ce
parti pris ?
RB : Oui, on avait déjà fait
ça aussi sur nos courts-métrages et c’est ce que l’on nous disait beaucoup
quand on voulait monter un long : « Non mais ça, ce n’est pas
possible, ça ne marchera pas, on ne peut pas tenir une heure et demie avec des
jumpcuts. » Finalement, les gens ne le voient pas.
AS : Dans les premières
scènes, on comprend que c’est dans le langage du film et au bout d’un moment,
cela passe à l’arrière champ de l’esprit du spectateur. Mais oui, on s’était
posé pas mal de questions. Après, on gère le jumpcut différemment d’un film à
l’autre.
RB : Oui, on évolue. J’ai
l’impression que « Le syndrome » est plus fluide, plus souple.
AS : Après, cela fait
longtemps qu’on travaille avec notre chef opérateur cadreur Jorge Piquer
Rodriguez donc on s’interroge déjà beaucoup sur la façon dont on va filmer les
scènes pour que les jumpcuts passent mieux. On tourne par exemple beaucoup
autour des personnages pour permettre des changements d’axe et d’angle. C’est
aussi un process qui avance avec lui.
Est-ce qu’il y a une scène sur
laquelle vous aviez envie de revenir ?
RB : Tout à l’heure, on parlait de rythme, de silence et rupture. Cela me fait repenser à une scène où Sandra va voir sa sœur qui est enceinte et veut avorter. Elle rentre chez elle et tombe sur Rémy qui s’occupe de la salle de bains. Cette scène durait longtemps au tournage, on a tourné pas mal de choses, et au montage, on a fait pas mal d’essais. Au final, il nous reste juste ce moment où elle s’assoit et il lui demande ce qu’il se passe. On ellipse l’explication, on garde le silence et le câlin avant de repartir. Finalement, c’est marrant de ne garder que ce petit bout d’une scène qui était à la base beaucoup plus longue mais ce câlin et ce silence sont chargés de tout ce qu’on avait tourné avec les acteurs. Et dans l’ellipse, on peut dégager tout ce qui se dit et juste garder cela. C’est marrant tout ce processus pour en arriver là.
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Comment gérer finalement l’après Une vie démente et son succès aux Magritte ?
AS : Ce qui était bien pour
nous, c’est qu’au moment où on a eu les Magritte, on était déjà en train de
préparer celui-ci. Du coup, on n’avait pas trop le temps de se poser trente
questions sur le prochain projet. Je sais que c’est parfois compliqué pour des
cinéastes de passer à un autre projet quand le premier a fonctionné d’une
certaine manière. Cela s’est trop enchaîné car, avec la pandémie, Une
vie démente est sorti très tard, avec un an de décalage entre le moment
où on l’a terminé et celui où il est sorti. Pendant ce temps-là, on a travaillé
sur ce projet. Et comme il y avait un effet presque de télescopage entre les
projets, on était presque en train de tourner. La cérémonie des Magritte avait
lieu en février et on a commencé le tournage en juin donc on était déjà bien
pris dans la préparation.
RB : On faisait encore plein
de projos pour « Une vie démente » dans des seconds circuits. Deux
mois avant le tournage, on a dû dire aux distributeurs français qu’on devait
arrêter car on n’en pouvait plus et qu’on n’avait plus le temps. Après, le
succès du film est relatif car on n’a pas fait beaucoup d’entrées en salles et
on n’a pas été dans des gros festivals. On a eu une bonne presse qui était
derrière nous en France et en Belgique donc c’était vraiment chouette. C’était
un moment compliqué car il n’y avait personne dans les salles.
C’est drôle car la séance du
BRIFF où on a découvert le film était comble. Quel sentiment cela vous
apporte ?
RB : C’est génial !
AS : Oui, c’est super
agréable. Le public est déjà au rendez-vous et il est déjà très chaleureux. C’est
fort d’avoir deux salles pleines pour une première en Belgique.
RB : C’était dingue, surtout
qu’on devait seulement être projeté dans une seule salle avant qu’une autre ne
soit rajoutée. Ça donne un peu un élan avec la sortie du film.
Vous êtes à votre deuxième
long-métrage dans une année où le cinéma belge a révélé cette année plusieurs
premiers films. Quel regard portez-vous sur ce renouveau du cinéma auquel vous
participez ?
RB : C’est incroyable car il
y a beaucoup de viviers de talents avec de très bonnes écoles. La fédération
Wallonie Bruxelles, au niveau du cinéma, met en place tout un dispositif pour
que cela fonctionne. « Une vie démente » était une production légère
donc ils ont alloué des fonds pour des films qui se font plus rapidement, des
premiers films souvent. Tout cela fait qu’il y a une synergie très grande entre
les réalisateurs et les auteurs. On se connaît, on se soutient. Il y avait
plein de réalisateurs et de collègues dans la salle au BRIFF, des personnes
très contentes pour nous comme nous sommes très contents pour eux quand ils
font leurs films. Il y a quelque chose de très sympa et très porteur, tout le monde
est tiré vers le haut. Même entre générations, il y a quelque chose de vraiment
chouette. On a passé 4 mois à Paris pour la post-production et c’était très
chouette de voir le milieu du cinéma là-bas mais c’est aussi plus compliqué. Il
y a quelque chose de plus dur, concurrentiel. Ici, il y a peut-être des gens
qui ont des tensions entre eux mais je trouve qu’on est dans un univers très
chouette et favorable pour que les gens qui ont une manière de faire, comme
Paloma Sermon-Daï à Cannes. Ces films faits par des personnes avec des
propositions très personnelles parviennent à se monter et connaître une
carrière internationale, ce qui est génial.
Merci à
Tinne Bral d'Imagine pour l'interview ainsi qu’à l’équipe du BRIFF.