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[CRITIQUE] : The Wasteland


Réalisateur : Ahmad Bahrani
Avec : Ali Bagheri, Farrokh Nemati, Mahdieh Nassaj, …
Distributeur : Bodega Films
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Iranien
Durée : 1h42min

Synopsis :
Quelque part perdue dans le désert iranien, une usine de briques est obligée de fermer face aux contraintes économiques. Les différents employés accusent très différemment le coup. Le superviseur Lotfollah joue les intermédiaires entre le patron et les ouvriers. Né sur place, il n’a jamais quitté l’enceinte de l’usine. Il va tenter d’accompagner les différents membres de la communauté – et notamment la belle Sarvar qu’il aime en secret.


Critique :


Tout juste un mois après la sortie de The Wastetown, Ahmad Bahrani nous offre The Wasteland. Ni suite, ni préquel, ce dernier a cependant tout à voir avec le film sorti le 2 août en salle. Même format d’image, même noir & blanc, même structure narrative. Si The Wastetown portrait la colère de son héroïne principale, ainsi que sa souffrance d’être séparée de son fils, The Wasteland se tourne vers la fin de l’ère ouvrière.

Copyright Bodega Films

Une carrière de briques, voilà toute la vie de Lotfolah (Ali Bagheri), né dans dans cet endroit désolé, où il demeure et travaille. Le personnage balaye l’écran, là sans y être. Comme le dit l’expression, il fait partie des meubles. Il est presque le fantôme du lieu, qu’il hante pour le compte du “Boss”. Son statut à part, dans l’usine, le met dans une situation difficile. Il ne fait pas vraiment partie du camp ouvrier (qui ne se gêne pas pour se plaindre de lui au patron et rapporter ses manquements) mais est tout autant exploité, si ce n’est plus. Le film débute sur un basculement, le moment où les ouvriers, les ouvrières, les familles entières vont découvrir que le four va s’éteindre définitivement. Cette fin est retardée par le montage, qui ne cesse de nous offrir des flash-back, redondants, sur différents personnages. L’histoire est la même, le “Boss” leur doit leur salaire, la caisse est vide alors ils ou elle dévient leur colère sur Lotfolah avant d’aller déjeuner en famille et de faire une sieste, sous un drap blanc tel un linceul (une idée que l’on retrouve dans The Wastetown).

The Wasteland dévoile la fin d’une ère, chaque flash-back se transformant en compte-à-rebours d’une fin inéluctable dans le monde moderne. On ne traite plus la terre à la main, on ne traite plus la terre tout court. Il est pourtant difficile de ne pas se réjouir de voir les ouvriers et ouvrières délivré⋅es de leur condition, exploité⋅es par un patron qui ne les paye pas, pour chercher une vie meilleure en ville. Le film n’est pas bavard mais les dialogues font part de la vie harassante de l’ouvrier, avec très peu d’avantages : pas de retraite, pas de syndicat, pas de système de santé. C’est un lieu où on y travaille et on y meurt, sans espoir d’une amélioration quelconque. Une autre vie se rêve difficilement dans cet endroit, ou même pas du tout pour Lotfolah, qui n’a jamais connu autre chose. Malgré la distance avec la civilisation, les rôles genrés demeurent et les femmes, travaillant tout autant que les hommes, ont aussi le travail domestique et marital à prendre en considération dans leur emploi du temps. Les codes restent inchangés : les filles doivent rester pures avant le mariage, elles doivent obtenir l’autorisation des parents pour fréquenter un garçon. Comme Bemani dans The Wastetown, les femmes de The Wasteland composent avec le système patriarcal. Il y a Gohar qui, lasse d’attendre le feu vert paternel, s’enfuit avec son amoureux pour se marier en cachette. Puis il y a Sarvar, mère célibataire, qui s’est mis sous le joug d’un homme de pouvoir (en l'occurrence le patron) afin d’être en sécurité dans une société qui met en danger les femmes seules. Deux destins à l’opposé, qu’Ahmad Bahrani suit sans juger.

Copyright Bodega Films

The Wasteland prend le pouls d’une société iranienne à l’aube du changement. ll y réside une tristesse que les lents panoramiques n'essaient pas de chasser. La mélancolie est inexistante cependant, cette tristesse n’étant pas le fruit des personnages même mais de leur destin à l’horizon limité. Si on imagine sans mal le patron et — dans une moindre mesure Sarvar  s’en sortir, qu’en sera-t-il pour les autres, partis en quête d’une autre vie dans un pays en proie aux bouleversements ?


Laura Enjolvy


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