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[CRITIQUE] : Je vous salue salope : la misogynie au temps du numérique



Réalisatrices : Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist
Avec : Kiah Morris, Marion Seclin, Laurence Gratton, Laura Boldrini, Donna Zuckerberg, …
Distributeur : La Ruelle Films
Budget : -
Genre : Documentaire
Nationalité : Canadien
Durée : 1h20min

Synopsis :
Sur deux continents, quatre femmes sont victimes de cyberviolences extrêmes : Marion Séclin, comédienne et youtubeuse française, Laura Boldrini, présidente du parlement italien, Kiah Morris, représentante démocrate américaine, ainsi que Laurence Gratton, jeune enseignante québécoise. Abandonnées par les forces de l’ordre, la classe politique et les géants du web qui engrangent des milliards avec la haine, elles décident de se battre et de ne plus se taire.


Critique :


En mai 2016, Marion Seclin poste sur le compte Youtube de Madmoizelle une vidéo sur un sujet féministe, comme elle en a l’habitude. Le sujet : le harcèlement de rue. C’est un déferlement de haine qui s’abat sur la comédienne. Elle compte 400 000 messages d’insultes, de menaces de mort, de menaces de viol. Marion Seclin a été victime de cyber-harcèlement. Depuis, elle est devenue la figure de proue française pour combattre ce fléau, en prenant pour exemple son expérience dans un TED Talk “Championne de France de Cyber-harcèlement” que l’on peut retrouver sur Youtube. Marion Seclin fait partie des quatre femmes interviewées dans le documentaire Je vous salue salope, réalisé par Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist. Un documentaire qui s'intéresse à la cyberviolence, en montrant les conséquences sur les victimes.

Copyright La Ruelle Films

Le titre est équivoque, le sous-titre l’est tout autant : La misogynie au temps du numérique. Car il est bien question de misogynie dans les cyber-harcèlements qu’ont vécu les femmes présentées dans le documentaire. Qu’elles soient présidente de la chambre des députés en Italie (Laura Boldrini), youtubeuse et comédienne (Marion Seclin), une ex-représentante démocrate de l’état du Vermont (Kiah Morris) ou professeure des écoles (Laurence Gratton), toutes ont subi des attaques répétées sur leurs réseaux sociaux, des attaques parce qu’elles étaient des femmes exposées, des femmes qui prenaient la parole (pour les trois premières) ou parce qu’elles sont douées dans ce qu’elles font et prennent de la place (comme pour Laurence Gratton, harcelée par un camarade de classe à l’université). À cœur et visage ouverts, elles partagent leur peur, leur colère, leur impuissance face à ce déferlement de haine intarissable, que peu d’institutions prennent au sérieux. Chacune d’entre elles ont essayé de porter plainte, et si leur plainte est acceptée, c’est la justice qui ne prend pas assez conscience du sérieux de l’affaire. Certaines ont essayé de contacter Youtube ou Facebook, avec une seule et même réponse : un immobilisme difficilement acceptable, une neutralité nauséabonde.

Que faire donc, vivre dans la peur ? Laura Boldrini, forte de sa place de politicienne et de son influence, a su obtenir gain de cause. D’autres n’ont pas eu cette chance, comme Kiah Morris, une femme noire et politicienne qui a vu les dommages causés par l’election de Trump de trop près. Insultée, victime de doxxing* par des pro-Trump de son district, menacée dans sa propre maison, elle démissionne de son poste en 2018 et déménage dans une autre ville, pour avoir la paix.

Je vous salue salope a une ligne éditorial claire, exposée dans un carton au début du film. Aucun message de haine ne sera flouté, pour montrer la violence que les victimes ont vécu. Aucun agresseur n’a été interviewé pour le documentaire car les réalisatrices ont estimé qu’ils prenaient suffisamment de place dans l’espace public et sur le web. Le but est de laisser la parole aux victimes et dans une volonté d’appuyer sur cette phrase, elle est laissée deux secondes de plus que les autres, s'imprimant sur notre rétine. Pas de subtilité, le message est direct et sans fioriture.

Copyright La Ruelle Films

La subtilité est définitivement mise au placard dans la suite du documentaire, qui se déroule dans un ton sensationnaliste déroutant. Les deux réalisatrices ne lésinent pas sur les effets du genre : graffiti d’insultes sur les murs, reconstitution, gros plan sur des visages en souffrance, insulte écrite directement sur les visages des protagonistes, etc …. Une question se pose : était-il nécessaire de forcer le ton quand les témoignages et les vrais messages d’insultes, que l’on voit en grande quantité, suffisaient amplement à poser l’atmosphère ? Alors oui, si l’on prend déjà le cyber-harcèlement au sérieux, un seul témoignage aurait suffi à nous glacer le sang. Peut-être que Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist ont réalisé ce film avec en tête tous les autres, ceux et celles qui pensent encore que les messages virtuels n’ont aucune conséquence dans la “vie réelle”. Mais si cette hypothèse se révèle vraie, un autre problème pointe le bout de son nez : le manque d’analyse concrète sur les rouages du cyber-harcèlement et comment il évolue dans un système patriarcal. Ces éléments sont à peine effleurés par quelques interventions d’expertes, dont Donna Zuckerberg qui a fait de la misogynie et des violences sur internet son cheval de bataille. Son intervention, seulement de quelques phrases, aurait été plus pertinente si plus longue et conséquente. Même chose pour Laurence Rosier, professeure de linguistique, qui a travaillé sur les insultes et pour Sarah T. Roberts, autrice et professeure à l’université de Los Angeles, qui a écrit sur l’importance de la modération de contenus sur les réseaux sociaux.

Je vous salue salope est une plongée dans l’horreur du cyber-harcèlement. Si son but était de faire réagir le public, le pari est gagné. Une angoisse sourde monte à mesure que l’on assiste, aussi impuissant⋅es que les victimes, à la violence qui, bien que virtuelle, n’en est pas moins réelle. Un plaidoyer anti-harcèlement passé au vitriol, à qui il manque certains outils plus concrets pour comprendre l’ampleur du phénomène.


Laura Enjolvy



* Le doxxing est un terme anglais qui définit la pratique (aujourd’hui illégale) de divulguer sur l’internet des informations sur l’identité et la vie privée d’un(e) individu(e) (nom, prénom, adresse, lieu de travail, etc …) dans le but de lui nuire.

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