[ENTRETIEN] : Entretien avec Robin Campillo (L'Île Rouge)
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Rencontrer Robin Campillo
équivaut à faire face à un réalisateur passionné, aussi solaire de forme et
profond de fond que son dernier long-métrage. À l’occasion de la sortie de L’île rouge en Belgique, nous avons eu l’occasion de discuter
avec le metteur en scène sur le rapport à l’image et à la vision
subjective qui nourrissent son très bon
nouveau film.
120 battements par minute, c’est entre les années 80, où beaucoup d’hommes gays comme moi subissaient cette épidémie sans savoir qu’en faire avec une peur et une solitude très fortes, à comment passer dans un collectif, comment, dans les années 90 [...] Là, c’est autre chose avec ce passage des années 60 aux années 70, c’est-à-dire vraiment les derniers feux du colonialisme. - Robin Campillo
Comment vous est venue l’idée du
film ?
Robin Campillo : L’idée m’est venue car, à l’époque où je vivais les choses -j’ai vécu à Madagascar entre 1969 et 1971-, j’ai toujours eu une fascination pour le cinéma. J’ai même été au cinéma quand j’avais 6 mois parce que ma mère m’emmenait au Maroc dans des cinémas en plein air. En fait, je me suis projeté dans le cinéma très très vite. Je pense que le regard que je portais sur les autres était déjà empreint d’une possibilité de fiction, d’enregistrement de la réalité, etc. Au fond, je pense que je mûris ce film depuis que j’ai vécu ces événements mais le déclencheur, c’est quand, après 120 battements par minute, j’ai discuté avec Gilles Marchand, qui a été coscénariste sur le film. Je lui avais raconté cette anecdote de quand j’étais habillé en Fantômette sur cette base militaire à Madagascar en 1971 et que j’avais sauté par la fenêtre pour me balader dans la base la nuit (rires). Il m’avait dit « C’est quand même un événement très étrange mais est-ce qu’il n’y aurait pas un film derrière ça ? ». Et en tirant ce fil, j’ai au fond tiré toute cette époque et aussi ce sentiment. Je fais des films qui, comme sur 120, portent sur des périodes charnières, c’est-à-dire comment on passe d’une situation à une autre. 120 battements par minute, c’est entre les années 80, où beaucoup d’hommes gays comme moi subissaient cette épidémie sans savoir qu’en faire avec une peur et une solitude très fortes, à comment passer dans un collectif, comment, dans les années 90, on a décidé de reprendre le pouvoir sur la maladie et d’être le sujet de notre propre lutte. Là, c’est autre chose avec ce passage des années 60 aux années 70, c’est-à-dire vraiment les derniers feux du colonialisme.
C’est aussi comment on passe des 30 glorieuses au post colonialisme à Madagascar. C’est un grand mot bien sûr car je le raconte dans quelque chose de quotidien, ce n’est pas un grand film historique. C’est vrai que, ce qui m’intéressait, c’était ce passage de l’un à l’autre et de partir de mes souvenirs d’enfance, non pas pour en faire un scénario très carré mais, au contraire, partir sur la question de l’imaginaire, du regard, de comment j’observais les gens et comment ils rentraient dans ma tête, ce que cela produisait et la façon dont cela rentrait en contradiction ou en écho avec mes lectures de Fantômette, etc. Donc en fait, c’est parti de tout ça, mais surtout de cette anecdote très particulière de mon saut dans la nuit habillé en Fantômette.
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C’est passionnant car le premier
plan amène justement cette question de la perception, avec ce décor très toc,
très enfant, opposé au décor de Madagascar. Comment maintenir ce travail
d’opposition visuelle ?
Alors, il n’y a pas totalement une opposition si vous regardez bien. En fait, cela rentre en contradiction avec certains niveaux et pour moi, cela produit aussi quelque chose. Quand j’ai travaillé sur Fantômette, pour le héros, comme pour moi à une certaine époque, elle est aussi ce qui rattache le gamin à la France au niveau de l’imaginaire sauf que la France de Fantômette est une France totalement fantasmée, une France qui n’a jamais complètement existé et n’existe plus du tout. Donc, pour le gamin, la France est un exotisme. Quand j’ai essayé de faire le film, on a essayé de trouver des lieux réels pour faire ça mais, vu que rien ne correspondait, on a fini par faire des maquettes. Et j’ai fini par dire, alors qu’on tournait ces scènes là à Madagascar, « je ne veux pas voir le visage des adultes, je veux qu’ils portent des masques ».
Donc on a fabriqué des masques en 2 semaines pour tourner, ce qui a été un peu compliqué. C’est là que j’ai fini par m’en rendre compte alors que j’avais tourné quasiment la totalité du film. C’est pour ça que je trouve que cela rentre en contradiction mais pas complètement. OK, on a des décors naturels à Madagascar, mais l’image et la colorimétrie sont un peu forcés. L’image, c’est du 1.37, c’est assez carré, ce qui fait que les bâtiments ressemblent à des maquettes, comme l’église, etc. En fait, cela me rappelait que le projet colonial était très naïf. Cruel mais naïf. La manière dont on construit une base, on fait une allée centrale, avec les maisons et la piscine sur le côté, le cinéma -il y en avait un, que je n’ai pas utilisé dans le film-, l’église, etc. Il y a donc de la naïveté aussi dans cette entreprise extrêmement violente qu’est le colonialisme et, pour moi, ça dit une différence mais ça rentre un peu en écho, pareil sur les personnages. On voit des personnages un peu caricaturaux dans Fantômette avec leurs masques, etc. Mais quand on arrive à monsieur Guedj, pour moi il y a du surjeu. Les adultes surjouent le bonheur colonial, le fait d’être bien dans cette île. Mais le père surjoue aussi un peu son machisme, sa jalousie, etc.
Cela rentrait en écho quand j’étais enfant car les adultes étaient dans un truc un peu factice, comme s’ils jouaient des rôles, et la féérie coloniale qui à la fois m’enchantait pour être honnête mais me paraissait douteuse. Il y avait une fébrilité, quelque chose qui ne ressemblait pas totalement à la réalité derrière tout ça. Et c’est comme ça que ça rentre en écho, ça rentre un peu en contradiction tout en dénonçant quelque chose. Pour moi, la fiction, même la plus factice, elle a à voir avec un naturalisme, avec un réel. Par exemple, moi, pendant que je vous parle, j’ai une forme de théâtralité. C’est quoi le naturel à vrai dire ? C’est très complexe ! Et même dans 120 battements par minute, les gens disaient que c’était très naturaliste, le personnage de Nahuel, Sean, surjoue pour moi. C’était quelque chose qui me fascinait car c’était très important pour moi. Qu’est-ce que c’est qu’un moment de vérité ? Sean, il surjoue la colère, mais en même temps, dans son jeu, la sincérité ressort, comme la peur de la maladie, la peur de la mort, la colère politique sort. On peut jouer des deux. Quand il tombe malade, la maladie est tellement forte qu’il ne peut plus jouer. Il est possédé par la maladie. D’un seul coup, c’est fini. Le film raconte ce moment de vérité où il n’est plus possible de maintenir une distance par rapport à la maladie. Pour moi, dans ce film-là, c’est à peu près pareil. Les gens surjouent tout mais il y a un moment où le théâtre s’effondre et le gamin découvre les coulisses de ce théâtre, de cette féérie coloniale. J’arrête de parler car c’est trop long (rires) !
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Non mais ne vous en faites pas,
vous venez de répondre à trois de mes questions d’un coup (rires) !
Je suis plutôt bien alors !
J’ai peur que cela résonne comme
redondant sur votre réponse mais ce rapport à la perception de l’enfant et sa
subjectivité sont centraux dans le film. Comment conserver cela dans
la mise en scène avant la bascule de regard ?
D’abord, ce sont des souvenirs. En réalité, c’est l’histoire d’une conscience qui s’ouvre, qui se découvre, celle d’un gamin qui se met à observer les gens et découvre qu’ils ne sont pas ce qu’ils représentent. En même temps, moi, mes souvenirs sont fantomatiques. Je me souviens des choses comme une forme de perception donc ça rejoint au fond mon regard d’enfance. Vous voyez, la distance que j’ai avec cette époque, je me souviens, à la façon de quelque chose de très Proustien, des sensations. Je me souviens justement des moments de surjeu, des choses un peu caricaturales. Je vois ma famille comme je vois les adultes dans Fantômette dans le film, c’est-à-dire avec des gens qui font des gestes un peu grotesques. J’ai donc voulu garder ce truc-là, presque où les gens sont comme des insectes dans le film.
Ce qui m’intéressait et ce que j’ai essayé de fabriquer, c’est le fait que le regard n’est pas là où il devrait être tout le temps. Par exemple, le gamin observe plus quelque chose, plus longuement sa mère, … Cela déséquilibre le regard, ce qui fait qu’on échappe à une mise en scène normale qui devrait passer de tel personnage à tel personnage. Je fais dérailler ce truc-là. L’autre chose qui me paraissait importante, c’était qu’il y ait une logique de rêve entre les scènes. En fait, les scènes se répondent mais plutôt par association d’idées ou ouï dire. Le gamin a entendu quelque chose être dit par les adultes et ça produit des images, comme quand le père évoque les deux jeunes hommes qui se sont noyés dans le lac, et que d’un seul coup, les images surgissent. C’est comme si la conscience de l’enfant était parasitée sans arrêt, c’est un phénomène de parasitage. D’autres images s’imposent, d’autres plans s’imposent, et c’est une autre logique que la logique classique d’une scène qui se déroule. Et pour moi, l’éducation du regard qu’il y a dans le film, c’est-à-dire comment le gamin déplie les gens autour de lui et les situations, c’est quelque chose que j’adore dans le cinéma parce que ça a à voir avec la notion de fantastique et de métamorphose, de mutation. Par exemple, quand les deux gamins parlent du regard de Fantômette, comment elle observe les adultes, on passe de Fantômette qui observe, on voit mal des corps de militaires qui font des manœuvres dans la nuit et qui avancent. On voit qu’il y a des herbes, on se demande ce qu’ils font, et d’un seul coup, on est dans un lieu sombre et on les voit, ils ouvrent des boîtes où il y a des cadeaux, apparaît le Père Noël, etc. C’est cette métamorphose-là qui m’intéresse. On voit des gens qui font des trucs qui ont à voir avec la violence et on passe sur des gens qui préparent Noël. Et à contrario, quand l’enfant va voir le Père Noël, qui est déjà une figure très paternaliste, il y a ces hommes en treillis dans les coulisses. Les sensations que j’avais quand j’étais gamin, c’est que dans la réalité, il y avait toujours du treillis derrière, du militaire, de la virilité.
C’est ce qui m’intéressait de montrer dans le film : il y a tout le temps dans le réel des espèces de coulisses assez étranges, comme à l’époque, et que de façon très littérale, se trouvait dans ces coulisses le fait militaire. C’est un truc très étrange que je sentais et tous ces événements assez touffus de la réalité de l’époque, le fait qu’on recevait en cadeau des crocodiles… (rires) C’est quand même quelque chose de très étrange ! Et nous, on était dans un truc très joyeux avant de s’apercevoir que les crocodiles n’étaient pas autre chose que de la menace. C’est marrant car, en faisant le film, j’ai demandé au propriétaire des crocodiles et il m’a répondu « Avec eux, il ne peut rien se passer à part qu’ils vous mordent. C’est un animal qui n’a aucun contact et dont on ne peut rien faire ». Les événements que raconte le film sont réels sauf qu’il y a le souvenir et le désir de cinéma de percevoir ça comme des éléments presque de fantastique. C’est marrant car j’ai discuté avec d’anciennes personnes qui étaient dans la base en même temps, y compris des militaires, et des choses se rejoignent. Oui, il y avait des exorcismes. Si on regarde bien dans le film, on ne sait pas s’il est réel ou si c’est le gamin qui l’imagine. Moi, avec le temps, je ne sais plus ce qui est réel ou imaginaire et cela brouille la frontière entre les deux.
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Je pense aussi à ce plan de photo
de famille, très cadré alors qu’on sent ce rapport faussé dedans. Y a-t-il
moyen d’appuyer justement ce travail très sensoriel là-dedans ainsi que dans la
colorimétrie comme abordé plus tôt ?
J’avais dit à Jeanne Lapoirie, la directrice de la photo avec qui j’ai toujours travaillé, que je voulais passer à ce format, au 1.37, car je voulais être plus dans l’architecture, on voit un petit peu comme un vivarium. Cette base, ça me rappelle ces trucs où on met des petits temples grecs au milieu des araignées. Il y avait un truc comme ça de vivarium dans le film et d’entomologie, comme si on observait des insectes ou un groupe de bestioles. Ce que je lui disais, c’est qu’on allait tourner dans des lieux réels, comme la base militaire qui est celle où j’ai vécu. Il n’y a que la maison qu’on a été obligé de tourner en France car on n’avait pas encore reçu les autorisations pour Madagascar et on devait commencer à tourner. On a pris cette maison qu’on a entourée de terre rouge, ce qui a été assez compliqué. Et donc, quand on est parti là-bas, je lui disais « on tourne dans des lieux réels mais il faut qu’on ait l’impression que les gens ont repeint les endroits eux-mêmes, comme un imagier ». Alors vous, vous êtes trop jeune mais, quand j’étais gamin, à l’époque il n’y avait pas Internet, on n’avait même pas beaucoup la télévision, quand on avait des bons points en classe, on avait droit à une image. Je ne sais pas si vous imaginez que l’image était l’exception. Cela me paraît délirant maintenant. En fait, on avait une image et c’était souvent une ferme, une église, un cochon, … C’était dessiné et on trouvait ça merveilleux. Donc je voulais retrouver cette sensation d’imagier, qu’on tourne les pages et qu’on donne l’impression que, sur les lieux réels, il y ait comme des couleurs exotiques qui ont été rajoutées. On force la colorimétrie pour se dire qu’on est à la limite du repeint. C’est cela qui m’intéressait et aussi de cadrer les gens dans leur architecture, comme à l’intérieur de la maison. C’est filmé dans l’ensemble. C’est vrai que le 1.37 donne cette impression-là et la colorimétrie, ça a été un travail énorme pour retrouver effectivement ces espèces de couleur…
Et pour la photographie à la fin, ce qui m’intéresse, c’est un truc de rejet des photos que j’avais quand j’étais gamin. Ce qui me faisait peur, c’est que lorsqu’on prenait une photo, c’est qu’on essayait de fixer un moment de bonheur. On disait « Ah, c’est un moment de bonheur ! ». Je me disais que si on voulait une preuve que c’était un moment de bonheur, c’est qu’en fait, ce n’en était pas un. La mémoire suffit au bonheur. Pour moi, la preuve était fausse. C’est la même chose que lorsqu’on est dans une fête et que quelqu’un dit « Qu’est-ce qu’on est bien là ! ». Pour moi, ça détruit tout. C’est comme si on invitait la mort. Je crois encore maintenant que ça me met très mal à l’aise car ça sent la représentation. Ce que Thomas voit, c’est la représentation. Les gens, dans une situation d’expatrié du colonialisme encore plus, sont dans une représentation. On décide de jouer, surjouer, le bonheur, le bien-être. La photo faisait tomber cet artifice-là. Vous savez que cette photo existe ? Ce qui est touchant, c’est notre désir de paraître heureux. Et je dis ça mais c’est vrai de plein de photos de famille.
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Par rapport à la bascule dans la
narration, de quelle façon était-ce préparé et comment opérer pareille
transition ?
C’est marrant car je voulais vraiment jouer du bonheur de la cruauté coloniale. Pas faire semblant, dire tout de suite qu’on ressent la discrimination envers les malgaches, non, jouer du bonheur colonial. On voit très peu les malgaches. Première scène : on congédie un malgache hors du cadre. Pour moi, le cinéma a à voir avec la cruauté. Ça rend plus justice quand on parle de cruauté que quand on l’évite. Pour moi, c’était évident que le film allait fonctionner si on allait dans les coulisses de tout cela. Et en même temps, il faut être honnête qu’on ne sait pas ce que le gamin perçoit de tout ça. Il n’a pas de conscience politique. C’est quelque chose que j’aime dans le cinéma en général et dans ce film, c’est quand, par exemple, il regarde la soirée chez ses parents et les gens qui dansent, il est derrière un verre cathédrale qui transforme la réalité. On ne sait pas ce qu’il perçoit de la jalousie de son père.
On voit qu’il observe et quand sa mère l’aperçoit en train de regarder la scène, elle se dit qu’il a vu son père danser avec la jeune femme mais on ne sait pas exactement. J’en reviens à ce truc-là car, quand je suis sorti dans la nuit habillé en personnage féminin -donc il y a déjà une traversée, une transgression très forte-, je passe par la fenêtre et je vais dans la nuit. Fantômette pour moi, il y avait un désir de nuit et de clandestinité. Et qu’est-ce qu’il observe ? Il observe un couple qui fascinait sa mère. Ce sont des personnages qui vont devenir relais dans la fiction. Pour moi, c’est toujours important que cela passe par des personnages, par des êtres, plus que par un désir de réalisateur. On passe par Bernard, qui est un personnage très ambigu, car il est bercé d’une fille à l’autre, comme si rien ne s’était passé et il est de la même sincérité au début du film qu’à la fin. Il se révèle en même temps sur un désir naïf, on part sur un slow sensuel et romantique, et en fait, c’est quand même un désir de possession. Ça se métamorphose sous les yeux du gamin et ce désir de possession, c’est comme l’armée qui s’accroche à l’île, avec ce désir de dire « C’est mon frère », « Nous sommes les meilleurs amis du monde ». En fait, on découvre d’un seul coup la lucidité de Miangaly. Là, le film se met à parler en malgache donc l’enfant ne peut pas comprendre. Ce qu’il perçoit, c’est la grotte de Platon, il voit des ombres qui se reflètent sur les murs mais il ne sait pas très bien ce qu’il se passe. Ça m’intéresse qu’il y ait un regard mais que celui-ci ne puisse pas tout saisir. Chacun a sa perception de ce qu’il se passe sans savoir ce que pense l’autre ou ce qu’il dit réellement . Cette jeune femme se révèle alors, elle n’est pas militante mais elle a une lucidité par rapport à la situation, par rapport à ce jeune homme avec qui elle a une aventure, sincère je pense mais avec une distance tout autant. Et quand elle découvre que ce gamin la suit -et je ne sais même pas si elle se dit que c’est un gamin français habillé en Fantômette, je pense qu’elle voit un petit esprit de la nuit- elle le congédie et avec lui, elle congédie les français. Pour moi, ça, c’était dans le film depuis le départ : l’idée que les gens qui étaient de la figuration dans la féérie coloniale reprennent le film dans son ensemble avec leur propre langue et congédient les français. C’est vraiment marrant car ma productrice aimait ça mais quand on a cherché de l’argent, on a des gens qui regrettaient qu’on ne revoyait pas les français après. Je trouvais que la cruauté se retournait et que le fait qu’ils prennent tout l’espace avant d’être congédiés, c’était comme un claquement de porte au nez de la France qui me paraissait beaucoup plus fort.
La révolution malgache ne s’est d’ailleurs
pas prise directement à tous les français mais au gouvernement, en disant qu’il
faut arrêter les alliances avec la France et à ce post-colonialisme qui n’est
qu’un colonialisme qui se survit à lui-même, et les français sont partis. Donc
pour moi, quand cette jeune femme sort de la base, elle voit passer le train de
l’histoire, c’est-à-dire la révolution, et cela ne marche que si les militants
ont créé un mouvement et que les gens prennent le train de ce mouvement, la
révolution devient possible. C’était le projet du film. Les films sont des
bascules, il y a cette bascule de passer dans la nuit et aussi de passer vers
l’autre regard.
Propos recueillis par Liam Debruel.
Merci à Heidi Vermander et
Cinéart pour cet entretien.