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[CRITIQUE] : Reality


Réalisatrice : Tina Satter
Avec : Sydney Sweeney, Josh Hamilton, Marchant Davis, …
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Budget : -
Genre : Drame, Biopic
Nationalité : Américain
Durée : 1h22min

Synopsis :
Le 3 juin 2017, Reality Winner, vingt-cinq ans, est interrogée par deux agents du FBI à son domicile. Cette conversation d’apparence banale parfois surréaliste, dont chaque dialogue est tiré de l’authentique transcription de l’interrogatoire, brosse le portrait complexe d’une milléniale américaine, vétérane de l’US Air Force, professeure de yoga, qui aime les animaux, les voyages et partager des photos sur les réseaux sociaux. Pourquoi le FBI s’intéresse-t-il à elle ? Qui est vraiment Reality ?



Critique :


Le docu-fiction a décidément le vent en poupe cet été 2023. Après l’incroyable Les filles d’Olfa, nouveau long métrage de Kaouther Ben Hania en compétition officielle cette année à Cannes, c’est au tour du tout premier film de la dramaturge Tina Satter. Basé sur les retranscriptions de l'interrogatoire de Reality Winner, juste avant son arrestation en 2017, le film, sobrement intitulé Reality, interpelle grâce à un dispositif efficace.

Les médias en avaient fait des gorges chaudes en juin 2017. Alors que des documents classés confidentiels sur les récentes élections américaines font le tour du monde, une jeune femme de vingt-cinq ans, Reality Winner, est arrêtée puis jugée coupable d’espionnage en 2018. Ce fameux 3 juin, à Augusta (en Géorgie), Reality rentre de courses pour trouver deux agents du FBI devant chez elle — bientôt rejoint par une dizaine d’autres agents — afin de fouiller son domicile et de l’interroger sur son travail de linguiste chez un prestataire de la NSA (National Security Agency). À la fin d’un incroyable interrogatoire (que l’on voit en entier dans le film), Reality part de chez elle avec le FBI pour n’y revenir que quatre ans plus tard, après un jugement et une peine de prison. Une histoire que l’on dirait faite pour la fiction, rien que pour le nom (réel) de son héroïne principale.

Copyright Mickey & Mina LLC


La dramaturge et cinéaste américaine Tina Satter ne s’y était pas trompée quand elle vit dans les retranscriptions une matière brute à créer une histoire forte. Elle commence d’abord par une pièce de théâtre (inédite en France), Is this a Room, véritable succès off-Broadway en 2019. C’est maintenant un film, où l’on retrouve Sydney Sweeney (Euphoria) dans le rôle de Reality Winner.

Reality ne nous cache rien de son procédé original. À la manière d’une reconstitution, un texte nous explique, au début du film, que tous les dialogues sont issus de l’enregistrement audio effectué par le FBI ce 3 juin 2017. Nous entendons d’ailleurs les voix des réels protagonistes, calées sur les images, avant d’entendre les véritables voix des acteur⋅ices. Dans cette même veine de reconstitution, quelques images d’archives se glissent dans le montage, ainsi que des images de la retranscription à l’écran, afin que le public ne soit jamais pris de court. Comme si la réalisatrice, par le montage, voulait nous dire “tout ceci n’est pas une fiction, tout ceci s’est véritablement passé, oui cette phrase a vraiment été prononcée, en voici la preuve.” Par ce procédé, nous sommes des témoins privilégiés des méthodes du FBI, en application de la loi Espionnage Act, sans en faire les frais. La discussion est bonne enfant. On demande si tout va bien, ce qu’on a acheté aux courses, si on a des animaux, quels sont leurs noms. On parle crossfit, yoga. On fait des blagues. On sert des verres d’eau. Le ton est gentiment paternaliste et marque, malgré l’aspect sympathique de la conversation, un déséquilibre du pouvoir. Dix hommes, aux blagues légèrement misogynes, contre une seule femme qui ne sait même pas ce qui se passe, ni ce que lui veut le FBI. Si les dialogues suivent un cours alambiqué, au raclement de gorge près de la réalité, le cadre de la réalisatrice cherche des indices. La caméra, principalement portée, scrute les moindres mouvements du FBI (les regards de connivence) mais ne perd jamais de vue son héroïne. Le but n’est pas d’avoir une longueur d’avance mais d’accompagner l’expérience de Reality, de la vivre intensément, avec nos interrogations et avec la tension qui accompagne l’ignorance.

Copyright Mickey & Mina LLC


Vient ensuite une seconde partie, l’interrogatoire pur et dur, dans la pièce du fond de sa maison, inoccupée, une véritable scène de théâtre que va utiliser Reality tandis que le FBI dévoile enfin leurs dès. C’est dans cette pièce, blanche, sale, vide, que se scelle le destin de Reality Winner, première lanceuse d’alerte condamnée sous le mandat de Trump. C’est dans cette pièce que nous découvrons une autre femme, celle qui a vu l’extrême droite de très près et qui n’en peut plus. Celle qui, chaque jour, doit voir autour de sa propriété les jouets des enfants voisins aux couleurs du drapeau confédéré. Celle qui, chaque jour, entend des mensonges sur Fox News, la chaîne de télévision qui passe en boucle à son travail sans qu’elle puisse l’éteindre. Alors qu’on rentre dans sa psyché, des glitchs à l’image s'insèrent quand on s’approche de la vérité (censés représenter les informations confidentielles censurées dans la retranscription). Une distorsion du son vient également secouer le film quand Reality ne peut plus contenir ses émotions. Représentée par les médias comme une “anti-américaine”, une “islamiste”, Reality Winner n’est, aux yeux de Tina Satter, qu’une jeune femme qui en a eu marre, victime d’un immense engrenage, et érigée en monstre pour suivre un agenda politique.


Laura Enjolvy