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[CRITIQUE] : Le ciel rouge


Réalisateur : Christian Petzold
Avec : Thomas Schubert, Paula Beer, Langston Uibel, Enno Trebs,…
Distributeur : Les Films du Losange
Budget : -
Genre : Drame, Romance
Nationalité : Allemand
Durée : 1h42min

Synopsis :
Une petite maison de vacances au bord de la mer Baltique. Les journées sont chaudes et il n'a pas plu depuis des semaines. Quatre jeunes gens se réunissent, des amis anciens et nouveaux. Les forêts desséchées qui les entourent commencent à s'enflammer, tout comme leurs émotions. Le bonheur, la luxure et l'amour, mais aussi les jalousies, les rancœurs et les tensions. Pendant ce temps, les forêts brûlent. Et très vite, les flammes sont là.


Critique :


Il n’existe pas plus égocentrique que la figure de l’artiste au cinéma. Le dernier film de Kelly Reichardt, Showing Up, en est un délicieux exemple. Après le spectral Ondine, où l’on plongeait dans les mythes aquatiques, Christian Petzold nous mène au cœur de la forêt, menacée par les incendies estivaux. Le ciel rouge, son nouveau film, se trouve être déroutant, entre le film de vacances (pas si) classique et le film de genre, hanté par une chose difficile à cerner.

Copyright Christian Schulz, Schramm Film


Aussi incroyable que cela puisse paraître, au vue des premières images, Le ciel rouge a quelque chose de Shining dans son approche. Une douleur indicible, une chose invisible à l'œil, une intuition qui nous fait dire que, malgré le cadre idyllique, tout ne se passera pas comme prévu. La première réplique annonce justement qu’il y a un problème, avec le bruit que produit la voiture. À l’image du film de Kubrick, une voiture (rouge) se fond dans la forêt pour atteindre une destination loin de toute commodité. C’est le début auquel on s’attend dans tous films d’horreurs qui se respectent : le problème, la panne, l’imprévu qui fait prendre un autre chemin aux personnages, vers leur propre perte. Si le cinéma de Petzold a toujours eu une part de mysticisme, c’est peut-être la première fois qu’il joue aussi frontalement avec les codes du genre. C’est ici pour mieux nous berner. Tel le petit chaperon sans défense, munie de son inimitable manteau rouge, le réalisateur allemand nous incite à rentrer dans sa forêt des tourments, à nos risques et périls ….

Les deux personnages, un écrivain débutant et un futur étudiant aux beaux-arts arrivent toutefois à leur destination, une maison à la lisière de la mer Baltique, protégée des regards par la forêt. Tous deux y passeront leur été à travailler. Le premier, pour corriger son manuscrit. Le deuxième, pour préparer son dossier d’admission. La maison est hantée par Nadja (Paula Beer, une habituée chez Christian Petzold), jeune femme invisible mais qui envahit l’espace (visuel et sonore) de sa présence, impromptue pour les deux hommes qui n’en savaient rien. La cohabitation va se révéler difficile pour Léon (Thomas Schubert), en recherche de calme et de motivation pour mener à bien son deuxième roman. Car Nadja, malgré son absence au début du film, n’est pas ce qu’on appellerait une femme discrète. Aussi solaire que Léon est taciturne, elle illumine le cadre par la chanson qu’elle sifflote en partant au travail, dans sa robe rouge qui ne la quittera que rarement dans le film.

Copyright Christian Schulz, Schramm Film


Il serait difficile de mettre Le ciel rouge dans une case. Ni complètement un film de genre, ni aussi léger que ce que l’on attend d’un film dit de vacances, le film navigue sur les flots de l’indescriptible, pour notre plus grand plaisir. Rien de tel que de ne pas savoir où va se diriger la narration et de se laisser porter par la proposition de Christian Petzold. Celui-ci joue sur les apparences afin d’exploiter au mieux le regard de Léon, plein de mépris pour ce qui l’entoure, et de lui dévoiler toutes ses insécurités d’artiste qui sait que ce qu’il vient de produire n’est pas bon. Comme tous films, Le ciel rouge se regarde mais il s’interroge sur la portée du regard. Qu’est-ce qui se cache derrière, quelle est sa volonté, qu’est-ce qu’on projette sur l’objet de notre regard ? C’est toute la réflexion de Félix (Langston Uibel) dans son travail photographique sur la mer, étrange rideau bleu, contrepoint du rouge leitmotiv et du vert forêt. C’est peut-être ce qui énerve Léon, cette limpidité azur (de face ou de dos) qui tranche avec son douloureux accouchement livresque. En creux, le film interroge la solitude dans la création, bien que celle de Léon soit une solitude non pas en raison d'un génie créatif mais celle de l'écrivain imbu de sa personne, celle qui crée l'amertume et l'envie de détruire les rêves et idéaux des autres. 

Cruel sans en avoir l’air, Le ciel rouge déploie une narration simple que seul Christian Petzold pouvait conjurer en une œuvre singulière.



Laura Enjolvy

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