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[CRITIQUE] : The Wild One

Réalisatrice : Tessa Louise-Salomé
Avec : Willem Dafoe (voix-off)
Distributeur : New Story
Budget : -
Genre : Documentaire
Nationalité : Français
Durée : 1h34min

Synopsis :
Petit garçon des Carpates rescapé de la Shoah, metteur en scène à succès, poumon de l’Actors Studio, protégé d’Hollywood mais aussi exilé, conspué, oublié, Jack Garfein a vécu plusieurs vies. The Wild One nous fait découvrir la vision d’un homme dont la vie entière fut tournée vers l’idée que la création artistique est un acte de survie.




Critique :

Creuser dans les œuvres des cinéastes pour mieux les raconter, Tessa Louise-Salomé sait le faire. Après Leos Carax et Xavier Dolan, la réalisatrice s’intéresse à une figure oubliée du cinéma hollywoodien des années 50, Jack Garfein. The Wild One se veut un hommage à la mesure de l’homme rescapé de la Shoah et de l’artiste incompris, deux pôles majeurs pour comprendre le fil(m) de sa carrière et de sa vie.

Le New York des années 50 est le berceau de l'intelligentsia du théâtre. L’Actor Studio, créé en 1947, connaît son apogée grâce à l’enseignement de la “méthode” par Lee Strasberg, devenu le directeur de l’école en 1951, et cela jusqu’à sa mort en 1982. Des noms célèbres s’y inscrivent. Marlon Brando, James Dean, ou même Marilyn Monroe. En 1953, c’est un tout jeune homme (seulement vingt-trois ans) qui vient mettre en scène la pièce End as a man à l’Actor Studio. Un certain Jack Garfein, tchèque d’origine. Soutenu par Elia Kazan, par George Stevens ou encore Henry Miller, le jeune metteur en scène s’inscrit vite comme une figure incontournable off et on Broadway. Tant et si bien que Hollywood le veut, et lui fait miroiter une carrière dans l’ouest américain, là où naissent les stars et les rêves.


Copyright Petite Maison Production


En 1957, il réalise son premier long métrage, qui n’est autre que l’adaptation de sa première pièce, The Strange one, sorti en France sous le titre Demain ce seront les hommes. Mais déjà, une ombre se pose dans le tableau parfait du cinéaste, quand celui-ci se fâche avec le studio — et son producteur Sam Spiegel un “Harvey Weinstein avant l’heure” comme le présente un des interviewés du documentaire — à propos de la fin du film (Jack Garfein voulait à tout prix mettre à l’écran des personnages noirs) et pour l’ambiance crypto-gay de l’ensemble du métrage. Il arrive toutefois à réaliser un autre film en 1961, Something Wild (Au bout de la nuit en français), avec sa femme Caroll Baker dans le rôle de Mary Ann, le personnage principal. La controverse est encore plus forte car le film aborde d’une façon frontale et équivoque le viol et le suicide. Il ne réalisera plus. S’il fonde l’Actor Studio West en 1966 et y enseigne, Jack Garfein plonge dans l’oubli d’un système hollywoodien peut tendre face à ceux qui ne veulent pas entrer dans le moule.

Tessa Louise-Salomé aurait pu seulement se concentrer sur sa carrière, impressionnante bien qu'arrêtée brusquement. Cependant, la réalisatrice a autre chose en tête et voit que ses choix de films et de pièces de théâtre sont le fruit de son passé. The Wild One (contraction de ses deux films, The Strange One et Something Wild) veut comprendre l’essence de son œuvre en analysant sa vie intime. Le documentaire fait alors un va et vient entre la Tchécoslovaquie (là où il grandit), la Hongrie (là où il se cache), les différents camps de concentration où il est envoyé et sa vie aux États-Unis. Est-ce si bizarre si les personnages qu’il filme et/ou met en scène sont aux prises avec la barbarie humaine et souffrent de stress post-traumatique ? Si son regard met à nue les traumatismes enfouis et si la dignité se trouve au cœur de ses récits ?

Copyright Petite Maison Production

Avant sa mort, en 2019, la réalisatrice recueille la parole de cette figure hollywoodienne à part dans une interview-fleuve. The Wild One met en scène cette interview, révélant ainsi le talent d’un homme et les limites de l’industrie cinématographique américaine, pris dans leur propre piège du puritanisme. Grâce aux images d’archives et aux personnes proches de lui qui interviennent (notamment sa fille, Blanche Baker), le documentaire offre un nouveau regard sur Jack Garfein, un regard empli de lumière et de respect. Jouant sur la juxtaposition (entre les différentes vies du cinéaste, entre les intervenants et les images d’archives derrière eux, etc…) Tessa Louise-Salomé fait dialoguer l’art et la vie, l’un s’est nourri de l’autre chez Jack Garfein et l’a même sauvé, de ses propres dires.



Laura Enjolvy
 

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