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[CRITIQUE] : Kokon


Réalisatrice : Leonie Krippendorff
Avec : Lena Urzendowsky, Jella Haase, Lena Klenke, …
Distributeur : Outplay Films
Budget : -
Genre : Drame, Romance
Nationalité : Allemand
Durée : 1h35min

Synopsis :
Un de ces étés caniculaires où l’on grandit si vite : premiers amours et premiers déboires, Nora cherche sa voie dans le Berlin populaire de Kreuzberg, entre une mère absente et une grande sœur protectrice. Mais du haut de ses 14 ans, Nora se moque des injonctions sociales, de genre et des modèles instagramables : elle veut vivre, briser son cocon et prendre son envol.


Critique :


2018, la canicule et Berlin en recherche de fraîcheur. Nora, quatorze ans, suit sa sœur comme son ombre. Pour son deuxième long métrage, Leonie Krippendorff filme la jeunesse berlinoise livrée à elle-même. Les corps moites, les jeux pour se tester et chercher l’appartenance du groupe, les cuites et les fêtes. La réalisatrice allemande transcrit dans Kokon ses réminiscences de la puberté tout en l’adaptant au miroir déformant que renvoie les réseaux sociaux, en recherche de la perfection : corps parfait, peau parfaite, vie de rêve.

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C’est avec le format horizontal (9:16), caractéristique du téléphone, que débute Kokon, où Jule, la grande sœur de Nora, s’amuse avec sa meilleure amie. La présence technologique traverse le film. Jule et ses amies sont soudées à leur téléphone. Le téléphone impose un cadre de comportement bien distinct, que doit suivre quiconque veut être dans le coup. Nora ne fait pas exception. Adolescente plutôt discrète et timide, elle semble vouer de l’admiration pour sa sœur et son style de vie. La narration ne lui donne aucun ami⋅es de son âge et un prétexte pour rester coller à sa sœur. Suite à un jeu qui tourne mal, elle se casse un os de la main et ne peut plus aller au stage de kayak avec sa classe. Elle intègre la classe de Jule le temps du stage pour le plus grand malheur de celle-ci (la honte de traîner avec sa petite sœur hors de la maison). Alors qu'elle ne jure que par la conformité de son groupe d’ami⋅es, Nora s’en détache peu à peu quand elle prend conscience que son attirance pour les filles la fait sortir des cases. Et, on la comprend. Qui voudrait vivre avec autant de pression, où tout est scruté et analysé sous le prisme de la normalité (avec des accents homophobes très marqués de la part des adolescents du groupe, particulièrement attachés au culte de la virilité) ? Quand la puberté la frappe jusqu’au sang (abondant) des règles, quand le désir se fait sentir, Nora réalise qu’elle n’a aucune envie de suivre les pas de sa sœur et même, qu’elle veut affirmer sa différence (en arborant un costume licorne lors d’une fête).

Nous comprenons assez vite la métaphore du titre. Le cocon, comme la chrysalide de la chenille que garde Nora dans sa chambre. Des gros plans de l’insecte reviennent constamment, à mesure que Nora sort de sa coquille, jusqu’à sa transformation en magnifique papillon (pile au moment où le personnage s’assume complètement). Kokon n’est alors pas très original dans son propos sur l’adolescence, sur la différence, sur la découverte de soi. On voit vite où le film veut en venir, grâce à la symbolique du papillon (un peu trop appuyée pour vraiment fonctionner), ou à la récurrence de l’eau dans le cadre qui, grâce à sa fluidité, change les formes et les perceptions (pour le coup, cette symbolique donne lieu à quelques scènes poétiques).

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Cependant, Leonie Krippendorff évite les écueils du coming of age queer en refusant la violence et le rejet dans son récit. Si Nora se détache du groupe de sa sœur, c’est parce qu’elle revendique sa différence et son style propre. La sexualité naissante de Nora ne prend pas autant de place que prévue dans ce genre de récit. La découverte du désir est montrée comme un des symptômes de la puberté et non pas comme le cœur de son évolution. La nudité dans le film se compose plus comme une revendication d’un corps qui se défait peu à peu des normes culturelles (une vision appuyée par le choix de montrer à l’écran l’essai de Judith Butler, Ces corps qui comptent) que comme le passage obligé du début de la vie sexuelle à l’adolescence. La réalisatrice choisit une caméra portée très proche de son personnage, pour vivre autant que l’on suit son évolution. La photographie privilégie la douceur de la lumière, diffuse et naturelle, lors des moments d’intimité et de tendresse entre sœurs, peut-être pour marquer un contrepoint avec d’autres scènes plus émotionnelles ou peut-être pour signifier que la puberté n’est pas qu’une affaire de douleur et de mal-être.

Limité dans ses choix symboliques, Kokon n’en reste pas moins un film solaire et sensible sur l’adolescence.


Laura Enjolvy