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[CRITIQUE] : De grandes espérances


Réalisateur : Sylvain Desclous
Avec : Rebecca Marder, Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot,...
Distributeur : The Jokers / Les Bookmakers
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français.
Durée : 1h45min

Synopsis :
Madeleine, brillante et idéaliste jeune femme issue d'un milieu modeste, prépare l'oral de l'ENA dans la maison de vacances d'Antoine, en Corse. Un matin, sur une petite route déserte, le couple se trouve impliqué dans une altercation qui tourne au drame. Lorsqu'ils intègrent les hautes sphères du pouvoir, le secret qui les lie menace d'être révélé. Et tous les coups deviennent permis.



Critique :


À une heure résolument troublée où les mouvements de contestations répondent avec virulence aux actions gouvernementales opérées par un pouvoir en place méprisant toute idée de décence démocratique, où la scission entre une grosse majorité de la population française et ses gouvernants semble de plus en plus consommée, le second long-métrage de Sylvain Desclous, De grandes espérances (qui n'a de Dickens que le titre) n'arrive peut-être pas, involontairement évidemment, à un moment opportun pour attirer le spectateur dans les salles, même si son contexte politique n'est pas tant le sujet central du film qu'un véhicule pour dresser un passionnant portrait de femme déterminée et complexe.

Connaissant sensiblement son sujet, que ce soit à l'écran (il avait déjà abordé la politique à travers son documentaire La Campagne de France) où dans l'intimité (il a étudié à Sciences-po), le cinéaste conçoit - et ce dès son titre furieusement évocateur - ici la politique comme un vecteur de changement social, comme le véhicule d'un espoir sain et ambitieux d'un lendemain meilleur.

Quand bien même celui-ci confronte très vite cette idée de bousculement politique et social radical que porte ses personnages, à une tragédie intime qui, justement, les attaque et les bouscule avec la même radicalité qu'ils espèrent appliquer, au moment même où ils tutoient du bout des doigts leur rêve de carrière politique (leur oral d'admission à l'ENA prévue une poignée d'heures plus tard).
Comme si un idéal politique ne pouvait pas exister sans être perverti par la réalité, comme si la justice ne pouvait être portée et défendue que par ceux n'ayant pas peur de franchir les limites de la loi; comme si une cause, même la plus noble, devait impliquer de se salir les mains pour la faire exister dans le monde d'aujourd'hui.

Copyright The Jokers Films

Cette dichotomie est au coeur même du fascinant personnage qu'est Madeleine, une brillante et idéaliste jeune femme appelée à devenir une future figure importante du paysage politique hexagonal, un avenir où elle espère ramener les questions de l'écologie, du féminisme et d'une économie solidaire et plus équitable au centre des débats.
Une figure droite (mais pas de droite) et volontaire, jamais complémentement arriviste ni totalement innocente, confrontée à la fois à la rigidité des élites dirigeantes mais également à sa propre culpabilité (elle a accidentellement tuée un homme), tiraillée entre ses sentiments et son déterminisme social assumé.

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Une pure héroïne de tragédie grecque ambigüe et captivante, dont le cinéaste scrute avec justesse et empathie autant la détermination révolutionnaire (avec des valeurs et des motivations on ne peut plus nobles) que la détresse émotionnelle (ses relations difficiles avec son père et son ancien amant, son propre rapport à sa culpabilité), au coeur d'une narration à l'écriture aussi ciselée qu'habile, qui peut se voir autant comme un thriller politico-social sous-tension mâtiné de romance avortée, qu'un drame dynamique façon plongée au plus près des moeurs et des manoeuvres politiques et économiques des élites.

Le tout dominé de la tête et des épaules par un formidable trio vedette (Rebecca Marder/Benjamin Lavernhe/Emmanuelle Bercot) faisant de De grandes espérances une séance qui vaut clairement son pesant de pop-corn, même au sein d'un mois de mars ciné particulièrement riche (mais pas exempt de grosses déconvenues non plus) en films de qualité.


Jonathan Chevrier