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[CRITIQUE] : Les nuits de Mashhad


Réalisateur : Ali Abbasi
Acteurs : Mehdi Bajestani, Zar Amir Ebrahimi, Arash Ashtiani,...
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Budget : -
Genre : Thriller, Policier, Drame,
Nationalité : Français, Danois, Suédois, Allemand.
Durée : 1h56min.

Synopsis :
Iran 2001, une journaliste de Téhéran plonge dans les faubourgs les plus mal famés de la ville sainte de Mashhad pour enquêter sur une série de féminicides. Elle va s’apercevoir rapidement que les autorités locales ne sont pas pressées de voir l’affaire résolue. Ces crimes seraient l’œuvre d’un seul homme, qui prétend purifier la ville de ses péchés, en s’attaquant la nuit aux prostituées.



Critique :


On avait laissé Ali Abbasi avec une sacré claque dans la caboche, le bouillant Border, fable nordique déstabilisante et fascinante à la fois, subtil mélange de laideur, de noirceur réaliste et d’une poésie magique et sensorielle, qui avait déjà fait son petit boucan sur la Croisette dans la section Un Certain Regard.
Trois ans et demi plus tard, c'est dans la Compétition Officielle qu'il est revenu à Cannes avec le thriller Les Nuits de Mashhad, mise en images de l'histoire vraie d'un tueur en série de prostituées sévissant dans la cité iranienne de Mashhad, au début des années 2000 - et pendu pour ses seize crimes en 2002.
Un homme - Saeed Hanei - qui n'aimait pas les femmes, dans un pays où l'opinion publique s'est outrageusement rangée de son côté, voyant en lui une sorte de héros rétablissant la justice dans les recoins sombres de la ville - à tel point qu'il a fait quelques émules -, agissant au nom de Dieu pour enlever le péché et la corruption de son pays.

Copyright Metropolitan FilmExport

Abbasi reprend ce douloureux fait divers au pied de la lettre (en y ajoutant le personnage d'une journaliste pugnace et libre, déterminée à coincer le tueur) par le prisme du thriller/polar noir cru et profondément nihiliste, offrant une nouvelle cartographie bouillante de la déliquescence d'une Iran gangrenée par les inégalités, la pauvreté de plus en plus criante, une violence totalement décomplexée (à la lisière de la folie) et la drogue; une vision amère dont la brutalité prend aux tripes et ce dès son ouverture aussi cruelle qu'évocatrice, symptomatique de la misogynie, du fanatisme religieux de certaines strates de la population qui considèrent les femmes comme inférieures où encore du désintérêt abject des autorités.
Dans sa première moitié passionnante, le cinéaste s'attache autant à capter l'intimité du bourreau, Saeed (intense Mehdi Bajestani), que celui de la journaliste, Rahimi (magnifique Zar Amir-Ebrahimi).
Lui, est un père de famille chiite pieux et impétueux, le tueur est un vétéran de la guerre Irak-Iran qui, dans son délire psychotique, pense que se débarrasser des femmes qui font commerce de leur corps est un moyen d'accomplir la volonté de Dieu exactement comme la lutte qu'il a mené.
Elle, est une journaliste volontaire vivant dans la capitale, qui ne porte le tchador que parce qu'elle doit et qui fume comme un pompier.
Elle comprend très vite que la police et pas même les reporters sont particulièrement préoccupés ni intéressés à résoudre l'affaire, elle va donc individuellement et émotionnellement s'impliquer dans la résolution de l'affaire et interrompre ce cycle de violence, devenant quasiment la seule opposition à ses féminicides fanatiques.

Copyright Metropolitan FilmExport

Plus cruelle encore même si un brin plus conventionnelle, la seconde moitié emprunte les codes familiers du drame judiciaire avec un procès où la morale populaire s'obscurcit au point de laisser planer le doute quant à l'impunité de Saeed, laissant à penser que Mashhad est une cité digne du Far West ricain où la loi du plus fort - l'homme - peut laisser parler ses pulsions meurtrières sans être inquiété.
S'il ne met pas autant en évidence la difficile condition des femmes au sein de la société iranienne, que le fantastique Leila et ses Frères de Saeed Roustaee - lui aussi passé par la dernière Croisette -, Les Nuits de Mashhad n'en reste pas moins un captivant et perturbant thriller, une nouvelle plongée brutale, désespérée et sans concessions dans les méandres troublés du côté obscur du cinéma de genre iranien, dont personne ne ressort pas indemne.


Jonathan Chevrier