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[CRITIQUE] : Men


Réalisateur : Alex Garland
Avec : Jessie Buckley, Rory Kinnear, Paapa Essiedu,...
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Budget : -
Genre : Epouvante-horreur, Drame, Science fiction.
Nationalité : Britannique.
Durée : 1h40min.

Synopsis :
Après avoir vécu un drame personnel, Harper décide de s’isoler dans la campagne anglaise, en espérant pouvoir s’y reconstruire. Mais une étrange présence dans les bois environnants semble la traquer. Ce qui n’est au départ qu’une crainte latente se transforme en cauchemar total, nourri par ses souvenirs et ses peurs les plus sombres.



Critique :


La simplicité évidente du titre furieusement évocateur du nouvel effort d'Alex Garland, Men, a presque tout du pied de nez malicieux de la part d'un cinéaste qui jusqu'ici a toujours su déjouer les attentes de son auditoire en concoctant des trips SF surréalistes et savamment denses.
Que les spectateurs familiers au parc à thèmes Garlandien se rassurent, ce n'est pas parce qu'il abandonne la science-fiction sophistiquée pour une horreur plus folklorique - voire même une bonne louche de body horror dans le dernier tiers -, que le bonhomme a perdu une once de sa verve (même s'il en laisse cette fois la subtilité au placard) au coeur d'une oeuvre qui ne se veut pas tant comme une diathribe sur la masculinité toxique qui gangrène notre société, qu'une nouvelle pièce de son puzzle fascinant sur l'affirmation et la définition de soi dans une société répressive.

Copyright Kevin Baker/A24 Films

Préférant jouer la carte de l'ambiguïté plus que celle de l'élucidation de maux aussi ancestraux que cruellement modernes, Garland catapulte dès les premières secondes du long-métrage le spectateur dans la perception du monde qu'en à son héroïne, une jeune veuve à l'esprit torturé - Harper -, créant une sorte de songe étrange et viscéral se faisant l'expression déglinguée des menaces - bien réelles - auxquelles les femmes sont confrontées au quotidien.
Un cauchemar allégorique où chaque homme arbore le même visage décliné à foison, une uniformisation malade comme autant de représentations des tendances particulièrement odieuse de la virilité patriarcale qui prend racine dans le mal(e) depuis toujours.
Pas subtil pour un sou dans ses références bibliques (ce qui le rapproche du cinéma - gentiment - provocateur - de Lars Von Trier), c'est dans l'origine même du monde que le cinéaste trouve la justification (pour le coup évidente et pertinente à la fois) du rapport vicié entre l'homme et la femme : le jardin d'Eden.
Harper se fait ici Eve, cueille une pomme d'un arbre à son arrivée dans son airbnb au coeur du Gloucestershire, alors que le propriétaire des lieux la réprimande en la taquinant.

Copyright Metropolitan FilmExport

L'homme nu qui la pourchasse est un rappel on ne peut plus clair d'Adam dans la Genèse, et la pièce de résistance en son coeur (cet Adam moderne donne naissance à un autre homme, qui donne naissance à un autre et ainsi de suite jusqu'à ce que le mari de Harper apparaisse) ne fait qu'exprimer - très - graphiquement, autant les terreurs intimes de son héroïne que la redondance et la persistance agressive d'une misogynie héréditaire, une mauvaise herbe toxique qui ne cesse de pousser et proliférer.
Les hommes sont-ils finalement tous les mêmes ? Ne sont-ils des monstres qu'au contact des femmes ? Garland suggère-t-il que la masculinité toxique est systèmique et vouée à se répéter ad vitam aeternam dans le temps ? Suggère-t-il que cette attitude toxique n'est que le fruit d'une punition héréditaire pour avoir goûter au fruit défendu ? Où le traumatisme vécu par Harper (un accident tragique qui n'en est peut-être pas un, puisqu'il ne fait que mettre en exergue sa menace - un suicide - face à sa demande de divorce) a-t-il réduit elle comme d'autres de violences physiques et psychologiques, à considérer tous les hommes comme identiques, fermant tout espoir de bonheur voire même d'une hypothétique réconciliation ?

Copyright Metropolitan FilmExport

Dans un cadre faussement idyllique qu'il souille continuellement par une violence sourde (comme l'âme d'Harper, dont la solitude est rongée par une culpabilité sournoisement nourrit par une société patriarcale qui la renvoie constamment à sa - supposée - propre responsabilité), le cinéaste, malgré le pouvoir furieusement évocateur de sa mise en scène, ne donne jamais réellement de réponses à ses questionnements essentiels, laissant son spectateur tout comme Harper baigner dans un malaise viscéral, et façonner par elle-même sa propre quête de reconstruction et de compréhension d'elle-même.
Paradoxalement insaisissable et peu subtil à la fois, nébuleux (une impression renforcée par la partition étrange de Geoff Barrow et Ben Salisbury) autant qu'il apparait thématiquement moins fouillé que ses précédents efforts, Men, porté par les partitions intenses du tandem Jessie Buckley (magnifique, jonglant habilement entre terreur et mélancolie)/Rory Kinnear (merveilleusement inquiétant et pathétique à la fois), va plus loin que la simple théorisation sur l'omniprésence de la misogynie et incarne une oeuvre profondément métaphorique et dérangeante peut-être pas aussi vertigineuse qu'espérée, mais vraiment fascinante.


Jonathan Chevrier