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[CRITIQUE] : Il Buco


Réalisateur : Michelangelo Frammartino
Avec : Claudia Candusso, Paolo Cossi, Mila Costi, Carlos José Crespo, Jacopo Elia, Federico Gregoretti, Antonio Lanza, Nicola Lanza,...
Distributeur : Les Films du Losange
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Allemand, Français, Italien.
Durée : 1h33min

Synopsis :
Dans les années 1960, l'Italie célèbre sa prosperité en érigeant la plus haute tour du pays. En parallèle, un groupe de jeunes spéléologues décident eux, d'en explorer la grotte la plus profonde. À 700 mètres sous-terre, ils passent inaperçus pour les habitants alentours, mais pas pour l’ermite de la région. Ils tissent avec lui des liens d'un genre particulier. Les chroniques d'Il Buco retracent les découvertes et parcours au sein d'un monde inconnu, celui des profondeurs, où se mêlent nature et mystère.



Critique :

 
Un groupe de spéléologues originaire du nord de l'Italie s'aventure dans le sud du pays pour découvrir de nouvelles grottes. C'est en Calabre qu'ils vont s'intéresser à l'une des plus profondes du monde, de 700 mètres sous Terre. Une grotte qu'aucun homme n'a réussi à aller jusqu'au fond. Le cinéaste Michelangelo Frammartino, dont il s'agit du troisième long-métrage, raconte minutieusement le parcours de ce groupe dans leur exploration. C'est l'occasion pour une caméra et un micro de s'engager dans un espace hostile, clairement pas propice à un tournage. Sauf que Il Buco n'est pas un documentaire, mais bien une fiction. Le cinéaste a alors tout le temps de reconstituer ce voyage dans les profondeurs de la Terre, pour construire sa propre exploration. Toutefois, ce n'est pas une fiction à la narration linéaire. Le film n'a pas de structure définie, les images se déploient petit à petit tel un œil qui s'ouvre doucement au matin. Le regard de Michelangelo Frammartino est une révélation modeste et délicate, qui ne cherche pas d'orientation, mais se laisse porter par les éléments qui surviennent.

Copyright Les Films du Losange

Le long-métrage est même plutôt proche d'un travail expérimental. En allant explorer une grotte, il faut concevoir qu'il s'agit de visiter un espace sombre et rempli d'incertitudes. Ce trou gigantesque dans la Terre n'est pas censé être quelque chose de vu, il n'est normalement pas à la portée de vision. Ni même à portée physique. Michelangelo Frammartino montre en permanence les aspects dangereux de cette grotte. C'est un espace oppressant pour le corps, constitué d'épreuves physiques à chaque instant, construit sur la sinuosité et l'angoisse de l'étroitesse. Ce n'est pas un paysage auquel il est possible de s'accrocher durablement, tout est furtif. Dans cette obscurité et cette épreuve, l'expérience cinématographique prend tout son sens. La lumière est le moteur de la vision, ce qui permet à la caméra de construire sa perception. Face à l'obscurité, le cinéma impose sa lumière, pour que la Terre continue de révéler ses secrets. Évidemment elle ne prend pas tout le cadre ni tout l'espace, ce sont comme des altérations dans le paysage de la grotte. Dans cette exploration de l'inconnu de la Terre, dans cette aventure au sein d'un biosystème lointain, la lumière est telle la recherche d'une vie. Ce n'est pas innocent alors que le travail sur l'éclairage du mouvement s'effectue sur la notion de lueurs, car il est juste nécessaire d'éclaircir le mouvement et l'espace présent.

Copyright Les Films du Losange

Dans son côté expérimental, Il buco pose même des questions sur la gestion de l'espace et du temps au sein même du cinéma. A quel point le corps dépend t-il du temps ? Comment se définit le temps entre deux images ? Quel impact a-t-il sur le mouvement, et inversement ? Comment l'espace entre-t-il dans le cadre ? Qu'est-il nécessaire de montrer et de garder caché ? Quel est le pont entre l'immersion et l'imaginaire d'un espace ? Quelle est la perspective d'un espace dans le temps ? Autant de questions qui se posent avec cette grotte qui appartient au hors-champ, avant d'être visitée. Le sombre n'a pas vocation à entrer dans le cadre, même si l'invisible est l'essence même de celui-ci. Comme la profondeur de la grotte, il s'agit d'un horizon qui dépasse les limites de la perception simple de l'Homme. Peu importe l'angle de vue, le paysage n'a de cesse de s'ouvrir et de porter des ambiguïtés, des angoisses. Le hors-champ d'un cadre se capte par son incertitude, sa surprise, son ouverture infinie. C'est ce que construit Michelangelo Frammartino avec la grotte : il met en lumière son inconnu, révèle les ombres qui renferment des pièges, trouve son déploiement constant. S'aventurer dans cette grotte (et par extension s'immerger dans les images du film) est comme se laisser porter par l'obscurité d'une salle de cinéma. Tout le réel qui se trouve autour disparaît, pour divulguer un corps auparavant opaque.

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Ainsi, dans l'exploration cinématographique de la grotte, il y a toujours une distance faite d'obscurité entre les spéléologues et le cadre. Au-delà de la marge spatiale évidente entre un corps et la caméra, bien marquée ici, il y a cette impression de perspective presque infranchissable. Sans l'apport de la lumière, le mouvement devient impossible, comme au cinéma. Le plus étonnant est l'opposition construite avec les habitants locaux de ce paysage de Calabre. Parce que Michelangelo Frammartino ne filme pas uniquement la grotte et le groupe de spéléologues. Il met également en scène les personnes qui vivent dans cette région, telle une chronique de leur quotidien dans ces lieux lointains. Alors que la grotte nécessite de la lumière pour ouvrir la perception sur elle, les habitants locaux ont besoin du cadre pour que ce soit le cas sur eux (ils vivent déjà sous une grande lumière quotidienne). Pendant que des gens s'évertuent à explorer les profondeurs de la Terre, la vie calabrienne en surface est dure. Alors que les spéléologues se mettent eux-mêmes dans des conditions dangereuses, la vie en surface côtoie la mort sans nécessairement le vouloir. Dans ces vastes paysages, il y a des fermiers, des personnes âgées qui meurent, des villages qui comptent sur la débrouillardise. L'humain fait partie de ce décor et y façonne sa vie. De l'autre côté, avec toute son obscurité, la grotte s'efforce sans cesse de vouloir rejeter l'humain qui tente de l'apprivoiser. Dans ce parallèle entre les spéléologues et les habitants de la Calabre, le contraste est frappant : Il Buco regarde les relations entre l'Homme et la nature. La mort rôde dans cette surface illuminée, tandis que la vie est recherchée dans les sombres profondeurs. Dans la transformation et la densité des paysages, le trouble obscure qui les habite est mis en lumière par des soubresauts enchantés.


Teddy Devisme


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