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[CRITIQUE] : Limbo


Réalisateur : Ben Sharrock
Avec : Amir El-Masry, Vikash Bhai, Ola Orebiyi, Kwabena Ansah, Sodienye Ojewuy,…
Distributeur : L’Atelier Distribution
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Britannique
Durée : 1h44min

Synopsis :
Sur une petite île de pêcheurs en Écosse, un groupe de demandeurs d’asile attend de connaitre son sort. Face à des habitants loufoques et des situations ubuesques, chacun s’accroche à la promesse d’une vie meilleure. Parmi eux se trouve Omar, un jeune musicien syrien, qui transporte où qu’il aille l’instrument légué par son grand-père.



Critique :

Ben Sharrock construit un regard doux et acerbe sur son pays au sein de son œuvre. Son premier long métrage, Pikadero, est resté inédit en France. Mais son deuxième, Limbo, sort dans nos salles obscures après un tour triomphant dans les meilleurs festivals. Le réalisateur écossais suit un jeune réfugié syrien dans son quotidien tandis qu’il attend ses papiers.

Omar ne se départit jamais de son oud et de son manteau bleu. Depuis son arrivée dans les terres britanniques, il a été envoyé sur une petite île écossaise le temps que l’administration décide de son sort. C’est pour briser leur espérance qu’ils sont envoyés si loin, dans une terre désertique et hostile aux étrangers d’après un de ses colocataires. Le quotidien d’Omar est millimétré comme du papier à musique. Sa semaine est ponctuée par l’appel hebdomadaire à ses parents, dans l’une des seules cabines téléphoniques de l’île. Puis c’est l’attente. L’attente d’une lettre qui décidera si oui ou non, il pourra rester. S’il pourra partir à Londres pour travailler et envoyer de quoi subvenir aux besoins de sa famille.

Copyright Dark Star Presse

Ben Sharrock signe avec Limbo une sorte de satire. Il choisit le format carré pour enfermer ses personnages dans ce cycle infernal de l’attente. Alors que les plaines traversent le cadre, à perte de vue, la mise en scène préfère se resserrer sur Omar et ses colocataires. Les choix de cadrages, le rythme du montage et la direction d’acteur forment un équilibre entre humour noire et critique acerbe, délicieusement absurde pour mieux confronter nos regards et nos préjugés. Le début du film s’inscrit totalement dans cette lignée où l’humour goguenard rencontre un certain malaise. On y voit Sidse Babett Knudsen donner un cours aux réfugiés sur la manière de traiter les femmes en Europe. Par son côté frontal et absurde, le cinéaste provoque un rire jaune tandis qu’il met à mal les stéréotypes sur les immigrés, souvent vus par les occidentaux comme des hommes violents.

L’humour de Limbo vient surtout des autochtones et leur façon de se mouvoir autour du camp des réfugiés. Les regards sont éloquents, une hostilité latente s’installe. En cela, la scène du facteur est parlante et dévoile l’ampleur des préjugés. La voiture postale roule tout autour de leur maison, sans s’arrêter devant eux. Omar et ses amis regardent cette drôle de façon de distribuer le courrier, ni très subtile, ni très écologique.

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Mais c’est surtout le tendre regard que porte Ben Sharrock sur ses personnages qui fait de Limbo un petit bijou. Amir El-Masry interprète Omar et lui donne une dimension douce et mélancolique. La caméra suit le jeune homme, qui n’a pas choisi d’être un réfugié, ni de vivre aussi loin de ses parents. Le récit approfondit ses doutes, son amour pour sa famille, son pays, sa culture. Le film suit son quotidien mais surtout son déracinement.

Il erre sur ces terres écossaises, avec le vent pour seule musique. Son oud est comme une extension de son être et de son identité. Mais il est incapable d'en jouer pour une raison encore obscure. Il traîne son instrument partout où il va, non pas pour apporter avec lui sa passion, mais pour porter le poids de la culpabilité qu'il ressent envers la famille qu'il a laissé derrière lui. Sa solitude est comme un reflet déformé des stéréotypes que les médias ne cessent de porter sur les réfugiés. Il est jeune, célibataire, seul, le parfait coupable pour tous les crimes qu’on pourrait lui écrire. Une des habitantes de l’île vient même lui demander s’il compte poser une bombe. Mais sous son air nonchalant se cache des traumatismes, des chagrins et une tristesse universelle : celle de ne pas se sentir à sa place.

Limbo déploie un récit actuel dans un écrin singulier. Avec un ton élégiaque et absurde, Ben Sharrock s’emploie à bouleverser nos regards sur les immigrés et à rétablir une représentation plus juste et plus humaine, sans basculer dans le pathos pour autant.


Laura Enjolvy