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[CRITIQUE] : Inexorable


Réalisateur : Fabrice Du Welz
Avec : Benoît Poelvoorde, Mélanie Doutey, Alba Gaïa Bellugi, Anaël Snoek, …
Distributeur : The Jokers / Les Bookmakers
Budget : -
Genre : Thriller
Nationalité : Français, Belge
Durée : 1h38min

Synopsis :
À la mort de son père, éditeur célèbre, Jeanne Drahi emménage dans la demeure familiale en compagnie de son mari, Marcel Bellmer, écrivain à succès, et de leur fille. Mais une étrange jeune fille, Gloria, va s’immiscer dans la vie de la famille et bouleverser l’ordre des choses...



Critique :

Chaque cinéaste a son obsession propre, qu’il multiplie au gré de ses films. Celle de Fabrice Du Welz se dessine peut-être par le choix du prénom de ses héroïnes : Gloria. Une femme prête à tout par amour dans Alleluia, une adolescente s’échappant du joug des adultes dans Adoration, ses Gloria sont des personnages complexes et entiers. Dans son nouveau long-métrage, Inexorable, Gloria porte en elle un nouveau genre, celui du thriller psychologique auquel le cinéaste s’essaie brillamment.

Le réalisateur retrouve Benoît Poelvoorde et lui offre un rôle intense d’un écrivain en perdition. L’imaginaire d’un Jack Torrence plâne sur Marcel Bellmer tandis qu’il s’installe dans la maison familiale de sa femme, Jeanne (Mélanie Doutey), dans les Ardennes. Une maison immense, presque un château, où se faufile les fantômes de la famille de Jeanne : le père, grande ponte du monde de l’édition, dont Jeanne tient aujourd’hui le même rôle, mais aussi sa grand-mère, avec un portrait qui se tient souvent au second plan dans l’image — un personnage qui détient une histoire tragique que Marcel racontera à Gloria.

Copyright The Jokers / Les Bookmakers

Les inspirations de Fabrice Du Welz sont faciles à deviner : les thrillers érotiques des années 90, à la Paul Verhoeven ou Adrian Lyne, deux cinéastes portes-étendards du genre. Mais on peut y voir également une version détournée d’un home-invasion à la Pasolini dans une maison bourgeoise. Le visiteur est ici une visiteuse, dont l’enjeu n’est pas clair. Veut-elle la place de Jeanne ? Se venger ? Ou seulement appartenir à une famille ?

Le générique convoque une atmosphère d’angoisse et nous met en condition : il sera question de lettres, de secrets, possiblement de meurtre. Le cinéaste ne lésine pas sur les effets sonores et visuels. La lumière de Manuel Dacosse vient souligner le récit et installe une image facilement compréhensible. Le jeu sur le clair/obscur multiplie la notion de suspense, agrandit la maison déjà immense et permet d’instaurer une touche de couleur, le rouge, rappelant qu’un drame est un cours. Le rouge, couleur de la passion ou du sang, met le public en alerte et accentue l’attente, le moment où les secrets enfouis, ou les fantômes, se dévoileront au grand jour.

Copyright The Jokers / Les Bookmakers

Alba Gaïa Bellugi interprète Gloria, celle qui vient mettre du sel sur des blessures profondes et anéantir le couple Bellmer. Lui, écrivain, elle, éditrice, les Bellmer ont une parfaite alchimie sur le papier. Mais on peut déjà déceler les fausses notes entre eux. Ces lettres que Marcel s’empressent de cacher dans un tiroir de son bureau. La façon dont il détourne la conversation sur lui pendant une interview que le couple effectue ensemble. Jeanne perd vite la parole tandis que son mari se met en avant, révèle sa difficulté à vivre sans écrire, effaçant dans le même temps sa femme et son travail. Si on ose une métaphore littéraire, Gloria s’apparente à une virgule, avec pour but de séparer à l’écran et pourquoi pas, à jamais, Marcel de Jeanne. Son côté inoffensif, appuyé par sa voix chevrotante et par l’apparence frêle de l’actrice, donne un aspect trop facile à ce personnage, qui cache forcément quelque chose. Alors que Marcel, Jeanne et même leur fille Lucie (Janaïa Hallroy) possèdent des nuances, le scénario les refuse étrangement à Gloria. Peut-on voir dans Gloria une sorte de personnage-idée, personnifiant le mal que fait Marcel à son couple ? Ce qui est sûr, c’est que son but ultime est de briser les Bellmer : les briser en tant que couple, mais aussi briser leurs certitudes, leurs illusions et dévoiler au grand jour leurs faiblesses : l'incapacité d’écrire pour Marcel, la fausseté bourgeoise pour Jeanne.

Simple thriller ou étude acérée du couple, Inexorable est surtout un virage que s’offre Fabrice Du Welz dans sa carrière. Avec une volonté d’attraper un plus large public, il va au plus efficace mais ne perd pas son ambition visuelle. Dans la lignée de sa filmographie, ce nouveau film sublime le décor (ici cette immense maison qui dévore le désir du couple et leur alchimie) et joue avec notre imagination.


Laura Enjolvy

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