[CRITIQUE] : Où est Anne Frank !

Réalisateur : Ari Folman
Acteur : avec les voix de Ludivine Sagnier, Sara Giraudeau,...
Distributeur : Le Pacte
Budget : -
Genre : Animation, Drame, Biopic, Historique.
Nationalité : Belge, Français, Néerlandais, Luxembourgeois, Israélien.
Durée : 1h39min

Synopsis :
Kitty, l’amie imaginaire d’Anne Frank à qui était dédié le célèbre journal, a mystérieusement pris vie de nos jours dans la maison où s’était réfugiée Anne avec sa famille, à Amsterdam, devenue depuis un lieu emblématique recevant des visiteurs du monde entier. Munie du précieux manuscrit, qui rappelle ce qu’Anne a vécu il y a plus de 75 ans, Kitty se lance à sa recherche en compagnie de son nouvel ami Peter, qui vient en aide aux réfugiés clandestins ; elle découvre alors sidérée qu’Anne est à la fois partout et nulle part. Et dans cette Europe différente, désormais aux prises avec de nouveaux enjeux majeurs, Kitty trouvera le moyen de redonner au message d’Anne Frank sens, vie et espoir…



Critique :

#OuEstAnneFrank se fait autant un joli kaléidoscope de séquences somptueuses à l'animation léchée, qui ne trahit jamais ses bonnes intentions sincères et pédagogiques, qu'un double récit maladroit qui tente un parallèle douteux entre les horreurs humaines d'hier et d'aujourd'hui. pic.twitter.com/C4NBsgATDT

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) December 8, 2021

Pas une mince affaire que s'est imposé Ari Folman avec son dernier long-métrage, à savoir chercher à offrir un prisme nouveau et à travers l'animation, au Journal d'Anne Frank, récit douloureusement populaire nous ramenant à chaque lecture, à ce qui fut l'un des chapitres les plus sombres de l'histoire humaine.
En ce sens, lui redonner vie à l'écran via une animation 2D et de magnifiques arrière- plans à l'aquarelle, fait de son Où est Anne Frank ! un joli kaléidoscope de séquences somptueuses à l'animation incroyablement léchée, qui ne trahit jamais ses bonnes intentions didactiques et pédagogiques.
Malheureusement, c'est plus vers sa narration bancale que cet effort louable se tire lui-même ses propres balles dans la caméra, et peine à totalement convaincre un auditoire pourtant totalement acquis à sa cause.

Copyright Purple Whale Films

Tissé sur un double récit d'apprentissage, le film suit à la fois une Anne Frank dans le passé, et son amie imaginaire Kitty au présent (un éclair frappe son journal, l'encre s'envole des pages et donne vie à Kitty de manière tangible, en plein Amsterdam contemporain, même si elle ne peut vraiment être " vivante " qu'avec le livre entre ses mains), avec toutes les contradictions que cela impose : une narration au présent qui prend trop de temps pour s'installer mais surtout une chronologie bancale ou Anne parle constamment à Kitty dans le passé, sans que cela est d'incidence sur le présent (tant Kitty aurait dû, logiquement, avoir plus de connaissance qu'elle ne prétend en avoir).
C'est cette chronologie divisée, et surtout son pendant contemporain malgré quelques idées bien développées (comme celle substantielle de la transmission de l'histoire dans une société de l'instant, peut facilement transformer des personnages historiques en artefacts, tout en oubliant le cœur de leurs messages), qui pêche (et que dire de cette romance dispensable entre Kitty et Peter...), surtout quand Folman tente maladroitement un parallèle entre l'holocauste et les urgences humaines actuelles (le sort des migrants au XXIe siècle, et plus directement des réfugiés maliens), entre l'antisémitisme et les politiques anti-immigrés; un territoire sinueux rendu encore plus délicat avec les nombreux sauts temporels (une Anne poursuivie par les nazis face à Kitty poursuivie par la police néerlandaise, des juifs déportés dans des camps pour être exécutés et des réfugiés maliens poursuivis par la police pour être renvoyés dans leur pays), aussi louables soient ses intentions premières.

Copyright Purple Whale Films

Privilégiant (sa) vérité et l'imaginaire à la réalité, Où est Anne Frank ! pourrait pourtant, aussi contradictoire que cela puisse paraître, atteindre son objectif d'éducation des jeunes générations sur l'histoire de l'humanité et les problèmes sociétaux actuels, grâce à sa puissance et à sa sensibilité visuelle.
Plusieurs fois, Folman concocte de superbes séquences onirico-cauchemardesques que seule les possibilités illimitées de l'animation (transition, imaginaire foisonnant, conception sonore,...), peuvent rendre réelles, ménageant la dure réalité de la Shoah pour la rendre moins brutale (un train de la mort fonçant vers les camps de concentration visualisé comme un bateau descendant la rivière Styx; les nazis sont représentés comme des croque-mitaines au visage macabre, vêtus d'un long costume noir et d'insignes rouge sang; Anne qui rêve de ses idoles hollywoodiennes - comme Bette David, Cary Grant ou un Clark Gable chevauchant un Pégase - et d'autres êtres fantastiques, pour former une armée extraordinaire luttant contre l'armée nazie), de manière à ce qu'un jeune spectateur puisse autant comprendre qu'absorber les leçons d'un chapitre aussi sombre.
Si les adultes vont certainement tiquer face à l'aspect inabouti de cette actualisation de l'histoire ou même les chemins douteux qu'elle arpente pour parvenir à ses fins (sans oublier son sérieux déséquilibre tonal), l'important est que les plus jeunes eux, y soit sensible.
L'éducation à l'Holocauste et aux maux du monde est une chose importante à retenir tant si nous n'apprenons pas du passé, nous sommes tous condamnés à le répéter.

Copyright Purple Whale Films

Et à une heure ou la montée en puissance de l'antisémitisme et du nationalisme blanc, couplé aux sentiments anti-réfugiés et d'anti-immigration véhiculés par les politiques en place, font qu'Où est Anne Frank !, à défaut d'être totalement juste, arrive dans les salles sans doute au moment le plus pertinent qui soit.


Jonathan Chevrier