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[CRITIQUE] : Les amants sacrifiés

Réalisateur : Kiyoshi Kurosawa
Avec : Yu Aoi, Issey Takahashi, Masahiro Higashide, Ryota Bando, …
Distributeur : Art House
Budget : -
Genre : Drame, Historique
Nationalité : Japonais
Durée : 1h55min

Synopsis :
Kobe, 1941. Yusaku et sa femme Satoko vivent comme un couple moderne et épanoui, loin de la tension grandissante entre le Japon et l’Occident. Mais après un voyage en Mandchourie, Yusaku commence à agir étrangement… Au point d’attirer les soupçons de sa femme et des autorités. Que leur cache-t-il ? Et jusqu'où Satoko est-elle prête à aller pour le savoir ?


Critique :


Cinéaste de l’étrange et du malaise, Kiyoshi Kurosawa s’associe avec Ryusuke Hamaguchi, cinéaste des rencontres et des relations, pour son nouveau long métrage Les amants sacrifiés. Il part pour la première fois vers le passé et l’Histoire du Japon pendant la Seconde Guerre Mondiale, à travers le récit d’un couple bourgeois, Yusako, un chef d’entreprise et sa femme, Satoko.

Ce sont deux anciens élèves du réalisateur, Tadashi Nohara et Ryusuke Hamaguchi (Drive My Car) qui lui proposent le scénario, basé sur une histoire vraie. L’histoire d’un espion et sa femme, tentant de partir pour les États-Unis avec des documents sensibles prouvant les méthodes inhumaines de l’armée japonaise. Filmé en 8k, une technologie de pointe, Les amants sacrifiés possède une image lisse et neutre, où la suspicion et le suspens prend de l’ampleur.

Copyright Art House

La première fois que nous voyons Satoko, elle joue dans un court métrage réalisé par son mari, projeté aux employés de son entreprise. Film d’espionnage, dont les similitudes avec le film que nous voyons seront au cœur de la narration, elle interprète une femme fatale qui, masquée d’un loup, essaie de voler dans un coffre-fort. Mais un homme (son amant ?) la prend sur le fait et la tue, dans un bouleversant climax tragique. Cette femme, présentée dans un noir et blanc granuleux, est sensuelle et n’hésite pas à regarder malicieusement les spectateurs par en-dessous, l’enfermant dans le fantasme de la femme fatale de films d’espionnage américains. La véritable Satoko est loin de cette image érotique. Cardigan pastel impeccable, cheveux ondulés et manière affectée, elle est la parfaite épouse d’un homme riche. Alors que sa beauté explosait dans le regard de son mari, elle apparaît comme une femme lisse et superficielle devant la caméra de Kurosawa. Tantôt une enfant quand elle rencontre un ami d'enfance, tantôt amoureuse transie de son mari, dont elle attend avec impatience le retour, Satoko n’a rien d’une espionne. La narration s’engouffre dans l’attente du suspens annoncé. Mais le cinéaste prend son temps et nous propose un portrait peu glorieux d’un Japon paranoïaque, nationaliste et idéaliste, qui transforme les individus en pion politique.

Alors que c’est Yusako qui enclenche les hostilités, avec ses voyages et ses mensonges, Satoko devient belle est bien le personnage principal de cette étrange histoire d’espionnage. Quand elle apprend les plans de son mari (il s’apprêtait à la laisser au Japon pour partir avec une femme), elle décide de ne plus être l’épouse passive et de participer aux plans de Yusako, quelque soit les risques. Il y a presque une joie enfantine de se retrouver au cœur d’un projet d’ampleur et de partager les secrets d’un mari peu présent et mystérieux. D’une femme privilégiée sans conviction politique, elle devient le personnage qu’elle jouait dans le petit film amateur, la femme fatale prête à tout pour un homme, quitte à berner et à jouer sur les sentiments que son ami d’enfance, Taiji, ressent pour elle.

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Les amants sacrifiés joue sur le dédoublement et une fausse placidité, où se joue la duplicité. Satoko se multiplie, passe de l’épouse à l’espionne, de femme trompée à complice. Les films sont doubles, celui que l’on regarde et celui qui est montré aux employés. Même les documents sont multipliés, trompant ainsi les personnages et le public. On finit par ne plus savoir ce qui est vrai ou faux, ce qui est mensonge et ce qui est franc parlé. L’ambivalence est telle que nous sommes pris dans les méandres de la duplicité des personnages, renforcée par une mise en scène intelligente, jouant sur une lumière crue pour mieux cacher l’obscurité.

Plus qu’un film d’espionnage ou un récit historique, Les amants sacrifiés est une histoire de transformation. Un pays qui se mue en bourreau, une femme qui, par la force des choses, devient lucide sur son couple et sur le monde qui l’entoure. D’un personnage secondaire peu intéressant, Satoko prend la forme d’un personnage complexe et douloureusement romanesque, digne des plus grands récits tragiques.


Laura Enjolvy

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