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[CRITIQUE] : Compétition officielle


Réalisateurs : Gaston Duprat et Mariano Cohn
Avec : Penelope Cruz, Antonio Banderas, Oscar Martinez, José Luis Gomez, Nagore Aramburu, Irene Escolar, Koldo Olabarri, Manolo Solo, Pilar Castro, Carlos Hipolito,...
Budget : -
Distributeur : Wild Bunch Distribution
Genre : Comédie.
Nationalité : Espagnol, Argentin.
Durée : 1h54min

Synopsis :
Un homme d'affaires milliardaire décide de faire un film qui laisse son empreinte dans l'histoire. Pour ce faire, il engage la célèbre cinéaste Lola Cuevas, la star hollywoodienne Félix Rivero et le comédien de théâtre radical Iván Torres. Ils forment une équipe brillante qui ne peut pas travailler ensemble. Rivero et Torres ont peut-être un énorme talent, mais ils ont un ego encore plus grand. Pour leur inculquer un peu d'humilité, Lola leur lance une série de défis de plus en plus imaginatifs...



Critique :


Comme l'indique le titre du film, il y a une mise en abîme évidente dans le récit proposé par Gaston Duprat et Mariano Cohn. Ce long-métrage parle en partie de cinéma, et plus particulièrement de la construction d'un film dans les « coulisses ». Il n'est pas question de tournage, mais d'abord de rassembler une équipe sur le projet d'un film, puis surtout des préparations qui amèneront finalement au tournage. Parce qu'il serait bien trop long de revenir sur toute la chaîne de construction. Sauf que Compétition Officielle est une satire, et une comédie pas très agressive. Plutôt bon enfant, les deux cinéastes s'amusent de leurs personnages pour ironiser sur la célébrité et sur le besoin de produire un grand film qui déchainera les passions. Avant de rencontrer le public, ce sont les passions des personnes qui travaillent sur le film qui sont explorées. Il s'agit là d'un récit à trois têtes et trois points de vue : la cinéaste Lola Cuevas (Penelope Cruz) qui a remporté une Palme d'Or, la star hollywodienne Félix Rivero (Antonio Banderas) et le comédien de théâtre Ivan Torres (Oscar Martinez). Evidemment, les trois personnalités vont entrer en choc. Même si le film s'ouvre sur un homme d'affaires qui décide de produire un film pour laisser une trace dans l'Histoire, il n'est ensuite plus au cœur du récit.

Courtesy: Manolo Pavon/The Mediapro Studio

Il y a trois forts caractères qui se rencontrent, essayant de travailler ensemble. La cinéaste est une personne exigente et délurée à la fois. La star hollywodienne est prétentieuse et a besoin de toute l'attention. Puis le comédien de théâtre est plutôt discret, terre-à-terre et radical dans ses idées. Au-delà de leurs talents respectifs supposés, c'est une bataille d'egos qui s'effectue dans cette comédie. Qui dit trois points de vue, dit trois univers différents. C'est tout l'intérêt de ce long-métrage. Duprat et Cohn utilisent chaque détail qu'ils peuvent pour identifier l'univers de chacun, afin d'ironiser et d'apporter un peu de burlesque quand ils doivent se connecter ensemble. Chaque personnalité a sa propre projection dans le décor et dans la mise en scène. Le personnage de Penelope Cruz y projette son excentricité et son sens de la démesure (une scène avec un gros rocher suspendu au-dessus des deux acteurs est très drôle), le personnage d'Antonio Banderas y projette son raffinement et sa décadence permanente, le personnage d'Oscar Martinez y projette une sensation de savoir (de connaissance) et de discrétion. Avec ces trois univers qui se projettent dans un seul et même champ du cadre, c'est tout le processus de création qui passe de l'imaginaire au réel.

Courtesy: Manolo Pavon/The Mediapro Studio

Le film possède un humour mordant et une analyse plutôt acerbe de la création cinématographique, mais il s'en sert justement pour célébrer la vocation d'artiste. Peu importe la forme dont elle prend : que ce soit cinéaste, actorat, ou même à travers les apparitions de responsables costumes, décors, etc. Les espaces sont ainsi très importants dans le rythme du récit. Quand bien même il s'agisse d'une comédie avant tout, il y a une réelle volonté de laisser de l'espace à l'imaginaire des personnages pour étudier leur processus de création ancré dans le réel. C'est-à-dire : l'imaginaire est toujours plus grand que le réel, il possède un espace toujours plus dense. Alors, pour lui donner toute la place nécessaire quand il s'agit de montrer les préparatifs d'un film, il faut donner les moyens au réel pour qu'il pousse à être dépassé. Par exemple, en transformant des espaces. Quand une scène de théâtre devient un lieu de destruction plutôt que de création, quand un lieu de réception devient une scène de danger, quand un studio sombre et vide devient un monde (presque) entier, etc. Que ce soit à travers les personnages (et leur ego) ou à travers les espaces qu'ils occupent pour préparer ce tournage, tout est question d'image. Celle qu'ils cherchent à donner et à créer, pour déterminer la place qu'ils prennent.

Courtesy: Manolo Pavon/The Mediapro Studio

C'est pour cela que les attitudes de Penelope Cruz, Antonio Banderas et Oscar Martinez sont très importantes. A chacun leur personnalité, à chacun leur manière d'occuper l'espace. Le comédien de théâtre est plutôt discret, et le plus âgé des trois. Il est donc celui qui ne cherche pas à transcender l'espace, mais à s'y imposer par la force des mots. Au contraire de la star hollywodienne, qui invite à plusieurs contre-plongées, car il aime être vu et se montrer. Toujours avec beaucoup de couleurs, contrairement à son partenaire du film, il cherche à rayonner et à aveugler comme il aime rappeler tous les prix qu'il a gagné. C'est aussi un personnage qui s'agite beaucoup, plutôt colérique (et facilement), tellement son corps est un outil plus important pour lui que son esprit. Puis il y a la cinéaste. Exigente mais délurée, elle ne cherche pas à occuper tout l'espace ou à s'y imposer comme une chef d'orchestre ou un coach sportif. Elle est plutôt celle qui initie les mouvements, qui indique les directions de la caméra de Duprat et Cohn. Elle permet d'avoir des scènes très décalées et drôles, mais elle est surtout au cœur de la spontanéité. C'est parce que la folie imaginaire de cette cinéaste se construit petit à petit, que la satire est solide. Une folie qui révèle une grande sensibilité, parce que son sens de la démesure est aussi important que les émotions qu'elle exprime à propos de tout ce qu'elle témoigne dans sa vie. Des images où l'imaginaire d'un artiste sort de sa coquille, mais qui ne vont pas beaucoup plus loin que cet esprit de satire, sans en retirer son côté divertissant.


Teddy Devisme