[LES CARNETS DE L’ÉTRANGE] : Jour 2
Étrange Festival cuvée 2021 : J-2.
Le rendez-vous de la rentrée pour les cinéphiles parisiens est, comme chaque année, l’Étrange Festival et son lot de curiosités venues des quatre coins du monde. Né en 1993, l’évènement prend place, cette année et comme d’habitude, au Forum des images, dans le centre de la capitale. C’est un immanquable pour tous les passionnés d’horreurs, de genre, de bizarre, de tout ce qui sort des écrans conventionnels et qu’on ne verrait pas ailleurs. Cette année, le festival propose sa traditionnelle compétition, sa sélection Mondovision, ses découvertes de nouveaux talents et ses trouvailles de documentaires mais aussi des cartes et focus. La réalisatrice Lynne Ramsay a ainsi amené quelques œuvres avec elle, tout comme Pierre Bordage. On retrouve, enfin, des projections des films de Atsushi Yamatoya, un focus Fred Halsted et trois films de Yûzô Kawashima.
C’est un programme fort alléchant auquel on est ravi d’assister. Nos rédacteurs se font un plaisir de découvrir, pour vous, ces inédits ou ces rétrospectives.
C’était déjà difficile, pour nos humbles envoyés spéciaux au Forum des images, de sélectionner les films de leur deuxième journée de festival. Manon a commencé sa journée avec Ultrasound de Rob Schroeder, présenté dans le cadre de la compétition Nouveau Genre. C’est une œuvre de science-fiction états-unienne, qui démarre par une situation habituelle : Glen, un homme à priori sans histoire, trouve refuge, à la suite d’un accident de voiture, chez des inconnus plutôt sympathiques. Mais la situation devient de plus en plus étrange et cela ne s’arrange pas dans les jours à venir, d’étranges personnes observent et semblent calculer tout ce que Glen fait ou dit. Manon salue l’efficacité du scénario, qui se base sur les rapports de manipulation mentale entre les personnages, retournant, à chaque nouvelle situation, l’esprit du spectateur. Elle s’explique : « c’est plutôt bien ficelé, bien que le film traîne parfois un peu la patte. Il aurait peut-être gagné à être plus consistant mais ce serait mentir de dire qu’on boude son plaisir devant ».
Eléonore était aussi de la partie : « J'ai aimé me laisser perdre lors du premier tiers dans cette intrigue qui ne se révèle pas trop. Dommage que la suite soit trop explicative et bien molle. La fin fonctionne mais est quand même trop attendue. Une petite déception. »
Si vous souhaitez découvrir Ultrasound, sachez qu’il sera rediffusé mardi 14 septembre à 21h45.
Courtesy of Tribeca Festival |
Manon exprime son avis : « Prisoners of the Ghostland est un curieux objet post-moderne qui met en scène une version psychédélique (au sens étymologique du terme) de Mad Max : Fury Road entre Orient et Occident. Le film est extrêmement référencé et s’appuie de manière quasi-systématique sur des symboles. C’est formellement déroutant puisque Sono Sion ne se soucie guère, dans un premier temps, de la compréhension du spectateur et ne lui facilite pas la tache mais le fond est finalement relativement conventionnel quand on connaît un peu la filmographie du réalisateur. Le principal défaut de Prisoners of the Ghostland est, outre un appuie un peu trop fréquent sur ses symboles, la sensation qu’il est bloqué entre deux chaises, comme si Sono Sion avait peiné à s’approprier le scénario et trouver le ton directeur. C’est néanmoins une œuvre extrêmement riche, fascinante par tout ce qu’elle raconte. Elle joue sur son essence de réalisateur japonais travaillant pour la première fois sur un projet états-unien, avec les codes du film de gangsters, du western, mélangés à des motifs issus du pays natal de Sono Sion. Ce n’est ni le film le plus abordable ni le plus intéressant de Sono Sion mais il demeure extrêmement riche et propose le mélange détonnant de cultures, abordant les sujets du capitalisme, des conditions sociales, sur fond d’écologie – c’est finalement un pur produit de notre temps ».
John était aussi dans la salle (pleine à craquer). Il s’explique à son tour : « La rencontre - inéluctable - entre Sono Sion et Nicolas Cage accouche donc d'une grosse bisserie hybride louchant gentiment sur Escape from Los Angeles, tout autant que sur la fureur post-apo/post-nuke de Mad Max 2, le tout avec une grosse pointe de fièvre multidimensionnelle à la Terry Gilliam. Une confrontation bancale mais généreuse entre l'Est et l'Ouest dans une sorte de mélange entre le thriller post-apocalyptique à l'humour idiosyncratique, le western spaghetti-gonzo sous néons et le récit rédempteur sauce samouraï-occidental, avec un Nic tout de cuir vêtu et à l'entrejambe - littéralement - piégé. C'est fou, mais ça méritait clairement d'être moins sage. »
Copyright XYZ Films |
Manon, en grande fan de Sono Sion, a largement fait état de son impatience quant à la diffusion de Prisoners of the Ghostland. Léa n’a pas échappé à ses paroles puisqu’elle décrit le film comme une de ses plus grosses attentes du festival en raison de « la hype contagieuse » de sa collègue. Elle poursuit : « je ne peux pas dire que je sois déçue par cette kermesse digne de l’imagination d’un enfant de 7 ans, avec des gros méchants bien méchants, des visuels impressionnants et une progression de récit cauchemardesque (en gros ça n’a aucun sens et on voudrait que ça s’arrête quelque part). Mêlant samouraï et cowboy comme dans Westworld avec encore plus de générosité, on sentait toute l’ambition de son réalisateur de proposer un récit hors-norme. Le résultat ne parvient pas à décoller malgré l’implication de Nicolas Cage et quelques gags bien réussis. Le jeu du reste du casting s’apparente à une pièce de fin d’année à cette même kermesse. Par contre, je veux bien y être invitée. »
Enfin, Eléonore exprime son enthousiasme : « Mais qu'est-ce que c'était bien ! J'avoue avoir redouté l'association Nicolas Cage/Sono Sion, de peur de me retrouver face à un objet excessivement bordélique. Alors, effectivement, c'est le bordel, mais ça a si bien fonctionné sur moi. Sono Sion mâche du western, du post apocalyptique, un peu d'histoire japonaise/états-unienne et une pointe de philosophie et recrache un monstre de folie jouissive à l'univers minutieux et fascinant. Il est comme un gamin (ce gamin coloré aux boules de chewing gum ?) qui se fiche pas mal des conventions d'écritures - de scénario et de personnages, et pense juste à s'amuser, et à nous amuser si on se laisse porter. »
Prisoners of Ghostland (en compétition dans la sélection Nouveau Genre), très attendu par la communauté des fans du réalisateurs, affiche complet pour sa seconde diffusion le 18 septembre à 21h30, sur le site du Forum des images. Vous pouvez cependant, si vous êtes déterminé, tenter votre chance directement au guichet avant la séance.
Copyright XYZ Films |
Les choix de nos chers rédacteurs se séparent ensuite, Manon choisit de découvrir Riders of Justice de Anders Thomas Jensen. Le réalisateur de Men and Chicken met en scène un groupe de nerds, obsédés par les statistiques et génies incompris qui va croiser le chemin d’un militaire rustre (Mads Mikkelsen), qui doit s’occuper de sa fille à la suite du décès de son épouse dans un accident de train. Manon salue l’humour de cette comédie extrêmement noire, au déroulement bien écrit, tout en regrettant les scènes purement dramatiques : « les personnages attachants se rassemblent tous autour de traumatismes et, par son aspect comique qui fonctionne très bien, le film qui traite de la fatalité et son acceptation devient d’autant plus sombre et tragique. Le spectateur se retrouve vite plongé dans un thriller décalé, drôle et dérangeant. Le défaut du film est sa perte de rythme et tonalité sur l’intégration des (rares) scènes dites « sérieuse ». Elles brisent, paradoxalement la tristesse du film qui s’exprimait à travers le rire. Riders of Justice reste, malgré tout, un film mordant, qui s’inscrit dans la lignée des derniers Anders Thomas Jensen et qui aurait mérité une sortie dans les salles françaises ».
© Anders Overgaard |
De son côté, Léa a choisi le patrimoine japonais avec la diffusion unique d’une copie neuve de L’Etang du démon, présenté dans le cadre de la sélection « les pépites de l’Etrange ». Le film fantastique de Masahiro Shinoda, date de 1979 et avait bénéficié d'un passage à Cannes Classics lors de la dernière édition du Festival de Cannes. En 1913, en route vers Kyoto, un professeur traverse un village frappé par la sécheresse. Selon la légende une malédiction pèse, liée à l’étang du démon non loin de là : si le dragon qui y sommeille était libéré, un déluge engloutirait tout.
© D.R. |
C’est sur ces jolies paroles que nous quittons le Forum des images le temps d’une nuit, car une nouvelle journée de films nous attend demain…
La Fucking Team (Manon Franken)