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[CRITIQUE] : Les sentiers de l’oubli

Réalisatrice : Nicol Ruiz Benavides
Acteurs : Rosa Ramírez Romana Satt Gabriela Arancibia Claudia Devia Raúl López Leyton Cristóbal Ruiz,...
Distributeur : Outplay Films
Budget : -
Genre : Drame, Romance
Nationalité : Chilien
Durée : 1h11min.

Synopsis :
Après le décès de son mari, Claudina se retrouve dans une routine solitaire. Elle décide de quitter la campagne pour rejoindre son petit-fils Cristóban et sa fille Alejandra, avec qui la communication est compliquée. C’est ici qu’elle fait la connaissance d’Elsa, une femme indépendante et mariée qui chante dans un bar caché appelé « Porvenir » (L’avenir). Une rencontre qui va lui permettre de s’émanciper d’une vie religieuse et conservatrice.


Critique :



Pour son premier long métrage, la réalisatrice chilienne Nicol Ruiz Benavides nous propose une belle émancipation féminine. Les sentiers de l’oubli forme une ode à la liberté après une vie de don de soi. Nous suivons Claudina, soixante-dix ans, dans la découverte de ses limites, bien plus élargies qu’elle ne le pensait. Le récit prend la métaphore de l’alien avec d’étranges lumières vives venues du ciel pour établir un renouveau, pour fractionner le réel et le pousser à accepter l’inconnu. Exactement comme les habitants du village doivent accepter ce qui n’est pas dans la norme.


Copyright Outplay Films

Claudina a eu un destin similaire aux femmes de sa génération, dont les opportunités étaient aussi fines que du papier de soie. La mariage, sacro-sainte institution, non-obligatoire officiellement, devait cependant faire partie des projets des jeunes femmes de son époque. Elle a donc suivi le chemin marital sans vraiment réfléchir à ses envies, à ses désirs. Au début du film, quand la police vient lui annoncer la mort de son mari, elle est une femme silencieuse, imposée par la mise en scène étouffant les sons. Le choc qu’elle ressent peut expliquer en partie ce choix sonore, mais il démontre tout aussi bien son statut de femme mariée, qui a du se plier silencieusement à une vie rangée. Cette mort subite lui laisse un grand vide. Les cadres sont larges, la laissant toujours sur un côté, seule. Le manque se ressent, son deuil est visible. En plus de sa tristesse, elle se rend compte qu’elle n’est rien pour la communauté. Leur maison, là où elle a construit sa vie familiale ne lui a jamais appartenu, «leur» maison n’est en fait que «sa» maison. Lui partie, elle doit la rendre. Elle se rend également compte de sa dépendance. Elle ne sait pas conduire, ne peut pas s’acheter une maison à elle-toute seule. Sa fille, Alejandra, doit alors la prendre chez elle, n'ayant nulle autre solution. Si la communication mère/fille est difficile — Alejandra n’a de cesse de houspiller sa mère comme si elle était une enfant — Claudina jouit d’une relation privilégiée avec son petit-fils, Cristóbal, qui semble la comprendre et l’accepter telle qu’elle est. Une vieille femme rêveuse, dans son monde, qui doit maintenant s’adapter à une nouvelle vie moderne sans mari, ni soutien. L’air de rien, Cristóbal l’aide à s’ancrer dans cette réalité, à tisser un lien vers son émancipation. Elle apprend même à jouer à la ps4, sous son regard amusé.
Nicol Ruiz Benavides creuse le côté enfantin de Claudina dès lors qu’elle rencontre la voisine de sa fille (par extension sa nouvelle voisine), Elsa. A contrario, Elsa est une femme du monde, terrienne, d’une classe folle avec son long manteau de tweed et ses pulls col-roulés. Mariée, elle admet sans honte avoir eu plusieurs aventures. Toutes deux vont vite se lier d’amitié et s’amuser comme des collégiennes, avant que Claudina lui avoue son secret : bien qu’elle a eu de la tendresse pour feu son mari, son seul véritable amour était une camarade de classe. À partir de ce moment-là, Claudina et Elsa transforment leur amitié en aventure, qui a tout l’air d’un amour de jeunesse. Elles se lancent des cailloux entre maisons interposées pour savoir si elles sont libres, elles vont dans un bar queer en dehors de la ville, où Elsa chante. Elles se promènent dans la rue, bras-dessus, bras-dessous, comme si elles étaient seules au monde. Dans un village très pieux, très religieux, où l’homosexualité est tabou, elles s’aiment librement, dans leur douce bulle d’amour. Mais les amours de jeunesse sont éphémères et la fin est abrupte.

Copyright Outplay Films

La réalisatrice joue habilement avec la mise en scène, qui reste très proche de son héroïne principale Claudina (impeccable Rosa Ramirez). Là où le début est vide, dans les tons bleus froid pour marquer l’absence, la suite est chaude, orange, le vide du cadre comblée par Elsa. La cinéaste utilise des jeux de miroir pour établir la métaphore d’un renouveau chez Claudina, qui accepte son reflet, se réapproprie son corps. Quand on la voit se regarder dans le miroir une première fois, elle juge son corps, se palpe le gras du bras avant de se masturber. Mais alors qu’elle descend sa main vers son entrejambe, la caméra se détourne du miroir pour ne cadrer que sa tête, refusant de nous transformer en voyeur mais refusant également à Claudina d’accepter son reflet, ou même de ne pas avoir honte de son désir. La deuxième fois que nous voyons son reflet, la caméra est loin mais nous montre l’intégralité de son corps, en train de faire du sport, juste après avoir passé sa première nuit avec Elsa. Elle s’accepte alors entièrement, désir et corps, sourit dans le vide, amoureuse. La métaphore de l’extraterrestre, dont nous voyons uniquement les lumières, n’est peut-être pas très subtil, cependant elle offre au récit une base solide pour s’épancher sur ce qui intéresse Les sentiers de l’oubli : la recherche de soi, qu’importe son âge et/ou sa sexualité.


Laura Enjolvy