[CRITIQUE] : Février
Réalisateur : Kamen Kalev
Acteurs : Dimitar Radoinov, Lachezar Nikolayev Dimitrov, Kolyo Ivanov Dobrev,...
Distributeur : UFO Distribution
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Bulgare, Français.
Durée : 2h05min.
Synopsis :
Le film fait partie de la Sélection Officielle Cannes 2020
Aux confins de la Bulgarie rurale, Petar traverse les saisons et le temps de sa vie humble : le travail, la terre, les brebis… À l'écart du monde des hommes, il suit son chemin et accepte son destin sans regret.
Critique :
Quelle est la fonction de l'homme au sein de ce monde aux paysages multiples, durant toutes les années de sa vie ? Kamen Kalev tente d'y répondre avec un récit en trois temps. Pour raconter la vie de son protagoniste Petar, le cinéaste explore trois périodes de sa vie. D'abord son enfance, à l'âge de huit ans, où il est obligé de vivre avec son grand-père et l'aider dans sa ferme et son élevage de brebis. Puis, il y a le service militaire à l'âge de dix-huit ans, comme une formation à la vie d'adulte, à sa dureté. Une période où il apprend la discipline, le dévouement et la vie en communauté. Enfin, il y a Petar en homme âgé de quatre-vingt deux ans, qui a pris la place de son grand-père. Cheveux et barbe blanches, le protagoniste est retourné à une vie rudimentaire, dans une ferme. Trois temps séparés par de grandes ellipses, qui permettent d'apporter des nuances sur la vie du protagoniste. Mais surtout trois temps connectés, parce qu'ils forment un seul et même cycle : celui de l'éprouvante solitude, où l'humain est face à la nature pour (sur)vivre. Pour parvenir à explorer le parcours de Petar dans le temps, à travers tous ces différents espaces, Kamen Kalev choisit une forme minimaliste. Peu importe l'économie de moyens qui s'impose, le choix de l'épuration permet de garder une unité esthétique entre chaque espace et entre chaque temps. Alors que le récit se présente sous forme chronologique, le cinéaste adopte une dimension abstraite pour se concentrer sur la manière dont Petar vit chaque moment, plutôt que forcer à fabriquer une dramaturgie.
Tout repose donc sur le lien entre Petar et ses mouvements dans les espaces, dans le temps. La forme épurée se caractérise par l'utilisation constante de longs plans-séquences, qu'il y ait des dialogues ou pas, et peu importe ce qu'il s'y passe narrativement. L'absence de coupe au montage montre des personnages qui ne peuvent échapper à cet espace-temps qui gravite autour d'eux. Ils ne peuvent pas s'extraire de ces conditions, étant en quelque sorte dépendants de l'environnement qui les maintient en vie. Ainsi, les plans-séquences permettent aussi de capter la vitalité, à travers ces espaces qui s'ouvrent dans des plans larges, mais aussi en prenant le temps de s'y accorder (mentalement et physiquement). Que ce soit par le silence, par la liberté des étendues, par le vent ou par la présence d'animaux, c'est la simple présence de l'humain dans des paysages qui s'imposent. Les plans-séquences sont alors la preuve du poids des espaces et du poids du temps sur les personnages. Février réponds à la fonction de l'homme au sein du paysage par ces plans-séquences : le monde est tellement plus grand que les êtres, que ceux-ci ne peuvent que se résoudre à s'y tenir, à le fréquenter. Avec ce rythme, Kamen Kalev construit une narration totalement livrée à elle-même, qui ne suit aucun objectif ou aucun chemin. Au contraire, la dramaturgie se laisse porter au gré des errances des personnages au sein des paysages qu'ils fréquentent.
Il est même possible de croire à une forme d'incantation dans la mise en scène. Parce que Kamen Kalev alterne régulièrement entre le concret et l'onirisme. Il y a un gros travail sur les regards qui fixent le paysage, qui se perdent dans le hors-champ, qui semblent découvrir petit à petit les sensations des espaces traversés. Mais surtout, au-delà de ce concret, il y a comme une forme d'hypnose où les personnages s'abandonnent face au paysage. Les corps sont souvent absorbés dans l'immensité de ce qui les entoure. Comme si le poids de l'espace et du temps est une fatalité, dont l'étendue en dehors du périmètre du cadre est inflexible : à tel point que la caméra (comme les personnages) est soumise à ses formes. Peu importe la période et les saisons, les corps semblent magnétisés par le paysage, sans jamais pouvoir révéler une quelconque intimité. Les personnages ne sont pas des coquilles vides, mais leur présence si minime face au monde ne permet pas de les sonder. Les êtres sont impénétrables, laissant leur complexité et leur ambiguïté épouser le poids du temps et de l'espace. Ils ne peuvent être définis si facilement, il faut les observer dans leur abandon pour comprendre ce qui se libère chez eux.
Le cinéaste ne pouvait donc pas arborer une photographie extrêmement solaire, lumineuse, radieuse. Malgré la beauté des paysages et le côté onirique de leur poids sur les personnages, la lumière est loin du contemplatif. Il y a même des passages où la lumière est plutôt grisâtre, ou alors très atténuée. Une manière de créer la distance entre les personnages et les espaces, pour atteindre une forme d'organique rude. Parce que l'hypnose sur les personnages n'est pas une poésie. Alors que Petar navigue entre le concret et l'onirisme dans son rapport aux espaces qu'il fréquente, la caméra perçoit cela comme une percée dans la chair des paysages. Le rêve reste bien dans le lointain, parce que l'organique est une domination imperturbable du paysage et son relief. Comme si chaque espace se dresse devant les corps, pour faire rêver d'un espace de liberté tout en regardant un réel abrupt. L'humain est ici tel un animal qui suit le court du temps, évolue dans une fatalité dont il ne peut s'extraire, livré à lui-même face à un paysage qui ne lui fera aucun cadeau. Parce qu'au final, la fonction de l'homme au sein de ce monde aux paysages multiples, est dans le simple fait d'exister et de le fréquenter. Dans le poids du temps et de l'espace, il y a le concret organique de la vie et l'onirisme d'une perception qui s'étend.
Teddy Devisme
Acteurs : Dimitar Radoinov, Lachezar Nikolayev Dimitrov, Kolyo Ivanov Dobrev,...
Distributeur : UFO Distribution
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Bulgare, Français.
Durée : 2h05min.
Synopsis :
Le film fait partie de la Sélection Officielle Cannes 2020
Aux confins de la Bulgarie rurale, Petar traverse les saisons et le temps de sa vie humble : le travail, la terre, les brebis… À l'écart du monde des hommes, il suit son chemin et accepte son destin sans regret.
Critique :
Naviguant constamment entre concret et onirisme dans son rapport aux espaces, #Février montre l'humain tel un animal qui suit le court du temps, évolue dans une fatalité dont il ne peut s'extraire, livré à lui-même face à un paysage qui ne lui fera aucun cadeau. (@Teddy_Devisme) pic.twitter.com/7u7ygVa5to
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) June 25, 2021
Quelle est la fonction de l'homme au sein de ce monde aux paysages multiples, durant toutes les années de sa vie ? Kamen Kalev tente d'y répondre avec un récit en trois temps. Pour raconter la vie de son protagoniste Petar, le cinéaste explore trois périodes de sa vie. D'abord son enfance, à l'âge de huit ans, où il est obligé de vivre avec son grand-père et l'aider dans sa ferme et son élevage de brebis. Puis, il y a le service militaire à l'âge de dix-huit ans, comme une formation à la vie d'adulte, à sa dureté. Une période où il apprend la discipline, le dévouement et la vie en communauté. Enfin, il y a Petar en homme âgé de quatre-vingt deux ans, qui a pris la place de son grand-père. Cheveux et barbe blanches, le protagoniste est retourné à une vie rudimentaire, dans une ferme. Trois temps séparés par de grandes ellipses, qui permettent d'apporter des nuances sur la vie du protagoniste. Mais surtout trois temps connectés, parce qu'ils forment un seul et même cycle : celui de l'éprouvante solitude, où l'humain est face à la nature pour (sur)vivre. Pour parvenir à explorer le parcours de Petar dans le temps, à travers tous ces différents espaces, Kamen Kalev choisit une forme minimaliste. Peu importe l'économie de moyens qui s'impose, le choix de l'épuration permet de garder une unité esthétique entre chaque espace et entre chaque temps. Alors que le récit se présente sous forme chronologique, le cinéaste adopte une dimension abstraite pour se concentrer sur la manière dont Petar vit chaque moment, plutôt que forcer à fabriquer une dramaturgie.
Copyright UFO Distribution |
Tout repose donc sur le lien entre Petar et ses mouvements dans les espaces, dans le temps. La forme épurée se caractérise par l'utilisation constante de longs plans-séquences, qu'il y ait des dialogues ou pas, et peu importe ce qu'il s'y passe narrativement. L'absence de coupe au montage montre des personnages qui ne peuvent échapper à cet espace-temps qui gravite autour d'eux. Ils ne peuvent pas s'extraire de ces conditions, étant en quelque sorte dépendants de l'environnement qui les maintient en vie. Ainsi, les plans-séquences permettent aussi de capter la vitalité, à travers ces espaces qui s'ouvrent dans des plans larges, mais aussi en prenant le temps de s'y accorder (mentalement et physiquement). Que ce soit par le silence, par la liberté des étendues, par le vent ou par la présence d'animaux, c'est la simple présence de l'humain dans des paysages qui s'imposent. Les plans-séquences sont alors la preuve du poids des espaces et du poids du temps sur les personnages. Février réponds à la fonction de l'homme au sein du paysage par ces plans-séquences : le monde est tellement plus grand que les êtres, que ceux-ci ne peuvent que se résoudre à s'y tenir, à le fréquenter. Avec ce rythme, Kamen Kalev construit une narration totalement livrée à elle-même, qui ne suit aucun objectif ou aucun chemin. Au contraire, la dramaturgie se laisse porter au gré des errances des personnages au sein des paysages qu'ils fréquentent.
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Il est même possible de croire à une forme d'incantation dans la mise en scène. Parce que Kamen Kalev alterne régulièrement entre le concret et l'onirisme. Il y a un gros travail sur les regards qui fixent le paysage, qui se perdent dans le hors-champ, qui semblent découvrir petit à petit les sensations des espaces traversés. Mais surtout, au-delà de ce concret, il y a comme une forme d'hypnose où les personnages s'abandonnent face au paysage. Les corps sont souvent absorbés dans l'immensité de ce qui les entoure. Comme si le poids de l'espace et du temps est une fatalité, dont l'étendue en dehors du périmètre du cadre est inflexible : à tel point que la caméra (comme les personnages) est soumise à ses formes. Peu importe la période et les saisons, les corps semblent magnétisés par le paysage, sans jamais pouvoir révéler une quelconque intimité. Les personnages ne sont pas des coquilles vides, mais leur présence si minime face au monde ne permet pas de les sonder. Les êtres sont impénétrables, laissant leur complexité et leur ambiguïté épouser le poids du temps et de l'espace. Ils ne peuvent être définis si facilement, il faut les observer dans leur abandon pour comprendre ce qui se libère chez eux.
Copyright UFO Distribution |
Le cinéaste ne pouvait donc pas arborer une photographie extrêmement solaire, lumineuse, radieuse. Malgré la beauté des paysages et le côté onirique de leur poids sur les personnages, la lumière est loin du contemplatif. Il y a même des passages où la lumière est plutôt grisâtre, ou alors très atténuée. Une manière de créer la distance entre les personnages et les espaces, pour atteindre une forme d'organique rude. Parce que l'hypnose sur les personnages n'est pas une poésie. Alors que Petar navigue entre le concret et l'onirisme dans son rapport aux espaces qu'il fréquente, la caméra perçoit cela comme une percée dans la chair des paysages. Le rêve reste bien dans le lointain, parce que l'organique est une domination imperturbable du paysage et son relief. Comme si chaque espace se dresse devant les corps, pour faire rêver d'un espace de liberté tout en regardant un réel abrupt. L'humain est ici tel un animal qui suit le court du temps, évolue dans une fatalité dont il ne peut s'extraire, livré à lui-même face à un paysage qui ne lui fera aucun cadeau. Parce qu'au final, la fonction de l'homme au sein de ce monde aux paysages multiples, est dans le simple fait d'exister et de le fréquenter. Dans le poids du temps et de l'espace, il y a le concret organique de la vie et l'onirisme d'une perception qui s'étend.
Teddy Devisme