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[TOUCHE PAS NON PLUS À MES 90ϟs] : #117. Snake Eyes

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Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 90's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 90's c'était bien, tout comme les 90's, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, prenez votre ticket magique, votre spray anti-Dinos et la pillule rouge de Morpheus : on se replonge illico dans les années 90 !


#117. Snake Eyes de Brian De Palma (1998)

Contrairement à bon nombre d'anciens A-listers d'Hollywood, désormais condamnés à faire de la figuration plus ou moins importantes dans des DTV ou des direct-to-VOD, en ruminant ce que pouvait être leur lustre d'antan (voir Cusack, Willis, Whitaker ou encore Liotta, se perdre dans ses productions, fait un put*** de pincement au coeur), ce bon vieux Nicolas Cage lui, aborde ce pan du marché cinématographique avec une énergie et une détermination funky qui force presque l'admiration, sublimant ce que l'on pourrait prendre comme des rôles routiniers, en cabotinant joyeusement comme un sagouin.
Gageons
 même que sans lui, la majorité des petits plaisirs coupables qui inondent nos plateformes VOD auraient décemment moins de saveur, puisqu'il se fait une mission presque homérique à traîner sa caboche et sa chevelure de plus en plus dégarnie, dans un maximum d'entre-eux.

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Mais rien n'est plus enthousiasmant pourtant que de mirer ses glorieuses heures sous l'égide des plus grands cinéastes de ces quarante dernières années (tonton Coppola, De Palma, Scorsese, Lynch, Scott,...), époque bénie où, oscar aidant, il pouvait laisser briller son talent dans les meilleures dispositions possibles.
Peut-être le dernier grand métrage de son orfèvre de cinéaste (non, pas Femme Fatale et encore moins Le Dahlia Noir, malgré leurs qualités évidentes), Snake Eyes de Brian De Palma, qui tisse volontairement des liens forts avec son plus bel essai - Blow Out -, est un formidable effort virtuose, un jeu de dupe habile constamment mis au service autant de l'obsession du cinéaste (la manipulation extrême du regard) que d'une analyse désenchantée de notre société contemporaine pourrie de tous ses pores, de l'industrie du spectacle au monde sportif - représenté par le plus noble des sports individuels -, en passant par les institutions politiques et policières.
Bâti sur un plan séquence inaugural qui n'en est pas réellement un (tout est illusion, à tous les niveaux), le film est l'épuisement minutieux de cette prodigieuse intronisation des enjeux, une mécanique à deux niveaux ayant chacun leurs mises en scènes (un match de boxe expéditif surplombé par l'assassinat du secrétaire d'Etat à la Défense, le second influençant - conditionnant même - continuellement le déroulement et l'issue du premier, puis l'enquête qui suit à la réal plus traditionnelle); tout en présentant simplement chacun des protagonistes de l'intrigue, dont les deux grains de sables à cette structure faussement parfaite : le flic corrompu et " dans le système " Rick Santoro, et l'agneau pourchassé par les loups Julia Costello, employée de la même firme qui a fomenté l'opération criminelle.

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Une mécanique intelligente et techniquement irréprochable (toute l'oeuvre est condensée dans ces dix premières minutes) qui prend son temps pour dévoiler toute la puissance de sa dramaturgie, égrainée au sein d'un puzzle théorique paranoïaque et donc, évidemment, Hitchcockien en diable, dans lequel De Palma s'amuse à questionner autant la morale de la société contemporaine (le facisme médiatique, la corruption institutionnelle, l'annihilation des valeurs sportives et humaines,...) que le pouvoir (la dictature ?) démesuré de l'image et, plus directement, du septième art : toute vérité est visible pour celui qui accepte de la voir, sans forcément suivre le regard manipulateur de la caméra.
À la fois huis clos fantasque et thriller politico-paranoïaque (aux enjeux politiques pourtant volontairement réduit à peau de chagrin) au rythme frénétique, parcourant avec gourmandise l'espace (clôt) et le temps dans un enchevêtrement d'images dont il faut en extraire la vérité, Snake Eyes (tout est dans le titre : la caméra est un serpent qui serpente tout autour du cadre, faisant de la quête de vérité sa proie) est une véritable tragédie grecque ou son antihéros, faux roi d'un univers de vices ou il n'est qu'un pion interchangeable, doit subir un chemin de croix tortueux (humiliation, trahison, abandon des siens et de ceux qui faisait son monde, passage à tabac et même frôler la mort), pour se retrouver et tutoyer du bout des doigts une potentielle rédemption (il commence en bouffon à la télévision, il y termine en héros de la nation), que même les dernières secondes ne semblent que partiellement lui offrir.
Un personnage pathétiquement magnifique qui a toujours un wagon de retard, sublimé par la performance extrême d'un Nicolas Cage savoureusement excentrique et volubile, à laquelle répond la froideur hypnotique et méthodique du brillant Gary Sinise, et la douceur fragile de Carla Gugino.

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Ironique (le film est bâti autour d'un combat pipé d'avance qu'il faut payer pour voir - un " pay per view " -, Rick Santoro est un homme que l'on paye pour ne rien voir, et qui payera de sa personne dans son désir de regarder la vérité en face), d'une inventivité formelle grandiose (De Palma revisite son propre cinéma et sa propre manière de filmer dans une auto-réflexion en constante évolution) et profondément mordant dans ce qu'il convoque (même si la révélation majeur est férocement prévisible, tronquant de facto son final, que le maestro booste heureusement par un vertige virtuose - une mise en abyme via une caméra de télévision), même s'il n'échappe pas à une certaine facilité grotesque dès lors que son mystère est totalement éventé (puisque expurgé de tout point de vue détourné/contradictoire/manipulateur venant troubler la vision du spectateur); Snake Eyes est à la fois un pur produit Hollywoodien (plus facile d'accès et explicatif qu'il n'en a l'air) et une vraie oeuvre d'un artiste singulier et talentueux, artefact sur pellicule d'un temps où ceux-ci pouvaient encore s'exprimer sans (trop) être brimé.
Une époque où, justement, Nicolas Cage brillait... et sur grand écran.


Jonathan Chevrier


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