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[CRITIQUE] : Le Blues de Ma Rainey


Réalisateur : George C. Wolfe
Avec : Viola Davis, Chadwick Boseman, Colman Domingo,...
Distributeur : Netflix France
Budget : -
Genre : Musical, Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h34min.

Synopsis :
Les tensions s'exacerbent et les esprits s'échauffent au cours d'une séance d'enregistrement, dans le Chicago des années 20, tandis que plusieurs musiciens attendent la légendaire Ma Rainey, artiste avant-gardiste surnommée "la mère du blues". Arrivant en retard, l'intrépide et volcanique Ma Rainey se lance dans un bras de fer avec son manager et son producteur blancs, bien décidés à lui imposer leurs choix artistiques. Tandis que les musiciens patientent dans la salle de répétition, l'ambitieux trompettiste Levee, attiré par la copine de Ma, est déterminé à faire sa place dans le milieu de la musique. Poussant ses camarades à se confier, il provoque un déferlement d'anecdotes, de vérités et de mensonges qui bouleverseront à jamais le cours de leur vie…

Adapté de la pièce d'August Wilson, lauréat du prix Pulitzer.



Critique :


De manière totalement involontaire de prime abord, Ma Rainey's Black Bottom est une célébration de plusieurs artistes et légendes : la chanteuse de blues Gertrude «Ma» Rainey, souvent appelée la «Mère du blues» (dont le nom et la chanson donnent son titre au film), feu le dramaturge August Wilson qui, inspiré par Rainey et l'époque où elle était au top de sa célébrité, a écrit sa pièce en 1984 autour de ce personnage bigger than life, et... Chadwick Boseman, parti bien trop tôt, qui a encaisser l'exigence de ce rôle tout en vivant au quotidien avec le cancer.
Difficile de savoir s'il avait choisi ce rôle en toute connaissance qu'il serait son champ du cygne, mais il se donne tellement corps et âme dans le rôle du trompettiste Levee, qu'il n'est pas trop exagéré de dire que sa dernière performance est peut-être sa meilleure.

Copyright David Lee / Netflix

À sa base, la pièce de Wilson est une allégorie tragique sur la nature extrêmement ténue du Black American Dream et comment, pour la majorité de la population afro-américaine, la prospérité ne se résume pas simplement à un travail acharné, mais aussi à corriger des torts plus importants et à surmonter des obstacles systématiques.
De ce constat on ne peut plus réel, un revers en apparence mineur peut tout faire basculer, d'autant plus chez une âme tourmenté par l'orgueil et un passé traumatisant, qui compte sur un succès considérable pour sa survie; soit tout le drame que Wilson explore à travers la figure de Levee qui perd tout en une poignée d'heures (travail, amour, création,...), le récit d'un talent prometteur qui obscurcit sans ménagement l'étoile montante à ses côtés.
Une oeuvre troublante à l'ironie particulièrement cruelle, flanquée dans une Amérique en pleine ségrégation - le Chicago des années 1920, à l'empreinte so Old Hollywood -, et dont la tragédie qui l'habite est furieusement renforcée par celle qui l'entoure (la mort de Boseman, encore une fois).
Le film fictionnalise la création de l'un de ses morceaux les plus importants, «Black Bottom», comme une session d'enregistrement cataclysmique sur une seule journée de 1927.
Alors que la Mother Of The Blues (jouée avec une aisance irrévérencieuse par une Viola Davis qui lui rend pleinement l'hommage qu'elle mérite), maintient une présence quelque peu spirituelle tout au long de la production, sa présence physique étant clairsemée par rapport aux hommes, les membres du groupe de jazz qui n'ont de cesse de bouillonner en attendant son arrivée.

Copyright David Lee / Netflix

Une session de répétition productive jusqu'à ce que le vantard Levee et ses collègues chevronnés font éclater leurs longs différends concernant la version de «Black Bottom» qu'ils joueront (Sera-ce l'arrangement original plus lent, ou la mise à jour rapide de Levee, qui, selon lui, le mettra carrément sur la voie de diriger un jour son propre groupe ?)
Finalement, les hommes reçoivent la visite de Sturdyvant (Jonny Coyne), le propriétaire du studio pour qui les artistes noirs n'ont que peu de valeurs - ou presque.
Lorsque Levee, désireux d'enfoncer son pied dans la porte proverbiale de la renommée avant qu'elle ne se referme, lance sans vergogne sa musique pour avoir la chance d'enregistrer son propre disque, son interaction est totalement ridiculisée par ses compagnons plus âgés, l'accusant de sacrifier sa dignité pour des hommes blancs racistes.
Un échange explosif qui mène à un monologue révélateur et déchirant sur le passé de Levee, qui démontre que si son attitude égoïste le met en complet désaccord avec Ma Rainey, il ne cherche qu'à aspirer à la même chose : être un leader, capable de vampiriser la lumière sur sa propre personne et avoir une autonomie totale sur sa propre musique.
Mais il y a beaucoup trop de personnes entre Levee et son rêve (le groupe, Ma Rainey, Sturdyvant,...) et chacune de ses rencontres ne fait que révéler davantage son tourment intérieur : la musique est pour lui à la fois une passion et un moyen d'échapper désespérément à ses démons.

Copyright David Lee / Netflix

Avec sincérité, le film retranscrit la notion de but ultime dans une vie, et la chanson «Black Bottom» en est le catalyseur symbolique.
Pour Ma Rainey, cette chanson solidifie son contrôle sur sa propre carrière (un luxe souvent/uniquement accordé uniquement à ses homologues blancs) alors que pour Levee, la chanson est l'occasion de s'élever au-dessus de ses circonstances, d'atteindre la grandeur malgré le racisme toxique qui a coûté la vie à ses parents; aucun des deux artistes n'est prêt à renoncer au pouvoir marginal que ce moment peut leur confèrer (ils inspirent autant la crainte que le respect), imbibant aloes l'atmosphère d'une intensité désespérée aussi captivante qu'effrayante.
Conçu dans un hyperréalisme théâtrale aussi rafraîchissant que couillu (surtout dans la production Hollywoodienne actuelle), terreau parfait et presque féerique (les décors artificiels ont quelques choses d'aussi enchanté et d'hors du temps qu'oppressant, huis clos oblige) pour que les lignes de dialogues de Wilson puisse exprimer leur plein potentiel, et que le jeu des comédiens soit des plus dynamique, la péloche est un sublime et respectueux hommage à la fois au médium du théâtre qu'à l'impact indélébile de Wilson sur celui-ci.
Bouleversant et électrisant, Le Blues de Ma Rainey s'éteint sur une note frustrante : imaginer combien de belles choses avaient encore à nous donner Levee et Boseman


Jonathan Chevrier


Copyright David Lee / Netflix

Il est toujours étrange de visionner le dernier rôle d’un acteur décédé au pic de sa carrière. Le blues de Ma Rainey, tiré de la pièce de théâtre de l’écrivain August Wilson, filme les derniers soubresauts du talent de Chadwick Boseman, qui nous a quittés le 28 août dernier d’un cancer. Disponible depuis le 18 décembre sur la plateforme Netflix, le film réalisé par George C. Wolfe nous invite un jour de canicule à Chicago, en 1927 dans un studio d’enregistrement. La célèbre Ma Rainey, la “mère du blues” est sur le point d’y enregistrer son nouveau disque. Une journée longue, intense, moite, déchaînant les passions et le drame.

Copyright David Lee / Netflix


La plateforme de SVOD a décidé de nous gâter en cette fin d’année. Mank qui marque le retour de David Fincher, six ans après Gone Girl. The Prom de Ryan Murphy, qui veut nous faire danser (sans grand succès). Et maintenant Le blues de Ma Rainey, huis clos tendu, où émane les interprétations intenses de Boseman, mais aussi de Viola Davis, qui prête ses traits à la chanteuse de blues. Le film suit à la lettre l'œuvre d’origine, de l’auteur primé non pas une mais deux fois du prix Pulitzer pour La leçon de piano et Fences, adapté au cinéma en 2016 par Denzel Washington (que l’on retrouve ici en tant que producteur). D’une durée de 1h34, le réalisateur rythme son film par la musique, mais surtout par des dialogues percutants, dictés comme des paroles d’une chanson par le casting. En restant à l’intérieur du studio, à part pour de rare passages dans les rues d’un Chicago reconstitué à la sauce Hollywoodienne old school (image sépia et décors en carton pâte), Wolfe ne s’égare pas et garde son atmosphère poisseuse, bouillonnant par la tension ardente entre les différents protagonistes. Le stress d’un enregistrement, des lourds passés qui resurgissent, un racisme latent et des espoirs déchus, il fallait que le film garde son dynamisme à tout prix.

Copyright David Lee / Netflix


Le personnage de Viola Davis donne son nom au film, Le blues de Ma Rainey (Ma Rainey’s Black Bottom pour son titre VO, le nom de la chanson qui est en jeu). Même si au final le film ne tourne pas uniquement autour d’elle, ce personnage est essentiel au récit et donne le coup d’envoi aux enjeux. Le film commence par elle et se termine quand elle part du studio, son nouveau disque enregistré avec difficulté. Au cœur d’une forêt, deux jeunes noirs courent comme si leur vie en dépendait. Un accent dramatique vite mis de côté quand le spectateur se rend compte que c’était l'excitation d’écouter la chanteuse qui les poursuivait et non un destin plus tragique. Par cette séquence, George C. Wolfe tend à montrer que ce sont les noirs qui ont fait de Ma Rainey un tel succès et qui l’ont proclamés mère du blues, une musique que les blancs ne tarderont pas à s’approprier. Elle est source de discorde entre les managers (blancs) qui doivent gérer ses “caprices de star”. Caprices qui, comme nous l’apprendra le personnage au cours du métrage, sont totalement conscients. Malgré le tapis rouge fictif déroulé devant ses pieds à son arrivée au studio, le racisme entoure les lieux par de petits détails. Ma Rainey, qui pourtant fait gagner de l’argent à ses messieurs, est traitée avec un respect forcé. Un coca leur coûte trop cher, seule exigence de la chanteuse avant d’entamer sa session. Habituée à ce régime, elle jouit du peu de pouvoir qu’elle possède, sachant qu’une fois l’enregistrement terminé, elle ne sera plus une star célèbre mais seulement une femme noire qui prend trop de place. Une femme noire et ouvertement lesbienne de surcroît. Son arrogance est ancrée dans sa souffrance et son chant devient le témoignage de sa vie. Un personnage intense, interprété avec talent par Viola Davis.  


Copyright David Lee / Netflix


De son côté, Chadwick Boseman n’est pas en reste et offre une prestation marquée par la profondeur de son personnage, Levee. Du jeune homme plein de rêve et d’entrain, son destin semble dessiner celle d’une communauté tout entière, subissant les affres d’une nation qui promet le succès, pour les privilégiés seulement. Les autres ne recevront que des miettes, ou même rien du tout. Entre exaltation, traumatismes d’enfance et illusions, sa rage explose à l’aide de monologues débités avec emphase. Visage aminci et yeux qui portent la douleur du personnage, on se rappelle que l’acteur combattait déjà la maladie au moment du tournage, ce qui rend la souffrance de Levee encore plus réelle. Quand la fiction rejoint la réalité. 

Malheureusement, Le blues de Ma Rainey souffre de ce ton théâtrale, malgré une direction artistique et d’acteur remarquable. La mise en scène de Wolfe ne vient jamais souligner les séquences et sa caméra manque de vigueur, restant dans un classicisme qui ne rend pas justice au casting, qui de son côté donne tout. Nous avons l’impression que le réalisateur a peur de laisser souffler son récit, comme s’il allait perdre son spectateur. Pourtant, le film gagnerait en tension si on nous laissait l’occasion d’appréhender toutes les informations recueillies par les dialogues.

Copyright David Lee / Netflix


Chant du cygne d’un acteur parti trop tôt, Le blues de Ma Rainey ne s’affranchit jamais de l'œuvre originale, ce qui finit par lui faire défaut. C’est d’autant plus dommageable alors que son fort propos et les interprétations formidables de son casting aurait pu en faire un film remarquable et important en cette fin d’année 2020. Un rendez-vous manqué.


Laura Enjolvy