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[TOUCHE PAS NON PLUS À MES 90ϟs] : #110. The Portrait of a lady

Allstar/Cinetext/Propaganda Films


Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 90's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 90's c'était bien, tout comme les 90's, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, prenez votre ticket magique, votre spray anti-Dinos et la pillule rouge de Morpheus : on se replonge illico dans les années 90 !


#110. Portrait de femme de Jane Campion (1996)

En 1996, Jane Campion sort son nouveau film. Un long métrage d’époque, en costume. Encore pourrait-on penser. Il est vrai que Portrait de femme succède au bienheureux La leçon de piano. Une palme d’or au Festival de Cannes de 1993, la première et seule femme à cette date à obtenir ce prix. De nombreuses nominations aux Oscars 1994, avec l’obtention de l’oscar du meilleur scénario original, de la meilleure actrice et du meilleur second rôle féminin. Après ce succès, on attendait sûrement de la réalisatrice un virage à 180 degrés, un film moderne loin des corsets et de l’austérité des films en costumes. Pourtant, Jane Campion embrasse de nouveau ce genre et va même encore plus loin, en adaptant le célèbre classique de Henry James, Portrait de femme. Une adaptation qui cependant s’éloigne du pavé de plus de six cent pages de l’auteur, comme l’explique la cinéaste dans une interview que l’on peut retrouver dans le livre Jane Campion par Jane Campion de Michel Ciment : “ [...] nous nous sommes même demandé au départ s’il était tout à fait possible de faire une telle adaptation, jusqu’au moment où je me suis rendu compte, en relisant le roman que nous n’allions pas tourner Portrait de femme, mais simplement Portrait de femme interprétée par moi”. Le film s’inscrit parfaitement dans sa filmographie, l’héroïne Isabel Archer s’éloigne des mots de Henry James, pour devenir par l’image un personnage uniquement “campionien”, une femme flamboyante qui essaye d’étendre davantage les limites de sa liberté. Le film connut l’échec le plus cuisant de sa carrière et un accueil critique extrêmement mitigé. Est-ce parce que, malgré l’impression d’académisme que le film dégage, il s’éloigne avec beaucoup de passion et d’envie des cadres ? Jane Campion n’en a que faire des beaux décors, des beaux costumes, de la beauté en elle-même et filme le mouvement du corps féminin, enfermé dans une rigueur emphatique. Un refus des conventions qu’elle partage avec son héroïne. Mais elle crée un matrimoine détonnant, loin d’un regard superficiel sur la condition des femmes de son époque. Portrait de femme porte alors bien son nom, ce n’est pas seulement d’Isabel dont il est question. Voici le portrait d’un film d’une cinéaste d’importance.

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Le film commence comme un poème. Des femmes racontent l’histoire de leur premier baiser, devant la caméra fluide de Campion. Une introduction qui sert de lien entre l’histoire victorienne qui va nous être racontée et notre monde contemporain. Malgré les siècles qui séparent Isabel Archer de ces femmes, leurs aspirations sont les mêmes, leur désir est le même. Leur voix nous emplit, Portrait de femme sera un voyage des sens, un éveil de la sexualité, très proche de la peau que nous empêche de voir les costumes d’époque. Le titre est écrit justement à même la peau, sur une main de femme, qui passe de droite à gauche de l’écran. Ce bras nous emmène vers le passé, vers Isabel cachée sous un arbre, sur le point de refuser la demande en mariage de Lord Warburton, un anglais noble et riche. Elle est aussi courtisée par un industriel américain, Caspar Goodwood, par son cousin et ami Ralph Touchett. Mais cette jeune orpheline ne rêve que d’une chose, voir le monde. Les affaires maritales ne l'intéressent peu. Farouchement indépendante, pourquoi aller s’enfermer dans un mariage alors que la vie vient de lui offrir ce dont elle aspirait : assez d’argent pour voyager. C’est Ralph qui a comploté avec son défunt père pour qu’elle puisse réaliser son rêve. Cependant, le voyage tournera vite court en Italie, quand elle rencontre sa nouvelle amie veuve, Mme Merle. Via cette femme, qui partage son amour de la liberté, elle rencontre un collectionneur d’art, Gilbert Osmond, dont le charisme sexuel et dangereux qu’il dégage, l’éblouit.
À contrario de Ada, silencieux personnage de La leçon de piano, qui est parvenue à s’échapper de sa prison maritale par le plaisir, Isabel se met elle-même en cage. Une cage dorée qu’elle ne voit pas tout d’abord. Personnage de lumière grâce à sa jeunesse et à sa richesse, elle ne cesse de faire le choix de l’ombre. Par ses vêtements sombres et simples, loin de la dentelle sophistiquée de ses collègues. Par son choix de mari, un homme ténébreux, égoïste, animal. Jane Campion ne nous cache pas les intentions de cet homme et l’inscrit dans sa mise en scène. Ainsi, la première séquence de séduction se situe dans une crypte, qui baigne dans une demi-obscurité. Des tâches de lumières parsèment le sol et Isabel, venue y chercher son ombrelle, se met instinctivement dans la lumière. Osmond, qui a subtilisé l’ombrelle, se cache dans la pénombre et la laisse venir à lui. Malgré son aveuglement, c’est un choix conscient qu’elle fait. L’ombrelle symbolique ne sert plus à rien, face à ce personnage. C’est dans une étable, encore dans l’ombre, qu’Isabel mettra au courant son cousin de son mariage imminent. Les barres d’un box deviennent le signe de son futur emprisonnement.

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Jane Campion met en exergue le désir de son personnage et en fait le point central de son film. Le toucher prend une place de choix dans sa mise en scène. Ces affleurements, loin d’être chaste, subliment la recherche érotique d’Isabel, qui veut vivre sa vie en femme libre. Libre d’aimer, mais aussi libre de sa sexualité et de son corps. Ainsi, contrairement au livre de Henry James, un entretien douloureux avec Caspar Goodwood, se transforme en fantasme. Loin de s’apitoyer sur son sort, Isabel rêve d’être touchée par tous les hommes qui lui font la cour. Il lui est facile de leur résister, car leur envie de la posséder est trop claire. Osmond, lui, joue un jeu plus insidieux et lui donne l’impression qu’il n’attend rien d’elle. Monstre avide de pouvoir et de richesse, il se sert des femmes qui l’entourent, sa maîtresse Mme Merle, sa fille Pansy et sa femme Isabel pour arriver à ses fins. Il leur donne l’illusion d’être libre, d’être aimées, d’avoir le choix, mais tel un serpent, il s’enroule autour d’elles, jusqu’à épuisement. Lessivées, elles ne peuvent plus lui tenir tête.
Portrait de femme est lui-même un film d’illusions, que Jane Campion dévoilent petit à petit. De film académique, il devient un film de mouvement, loin d’être pétrifié par une beauté visuelle factice. Si les dorures et les objets victoriens sont bien présents, ils n’ont rien de beau. Soit dans l’ombre, soit synonyme de prison, ils entourent Isabel pour mieux exprimer son mal être. L’Italie, que le cinéma adore baignée d’une lumière douce, devient ici un endroit mortifère, désert, où le soleil est interdit de briller pour les personnages, à l’instar de Pansy qui ne peut pas aller dans un jardin parce qu’elle doit obéir à son père et rester à l’ombre. La caméra, l’on pense qu’elle exprime le côté fantasque d’Isabel, devient le symbole de son emprisonnement, l'encerclant incessamment. Le scénario instaure des situations de dédoublements. L’arbre que l’on voit au printemps au début, marque l’épilogue également, par ses branches nus d’hiver. La fin est d’ailleurs marquée par son ambiguïté. On ne sait pas ce que va faire Isabel, retourner chez elle, auprès d’un mari qui lui avait strictement interdit de venir en Angleterre ? Ou retourner vers Goodwood, avec qui elle vient d’échanger un baiser passionné ? Ironique, Jane Campion donne alors à son personnage la liberté qu’elle désire dans ce non-choix. Isabel n’est plus sous la coupe du récit, ni du désir du spectateur et peut se décider de son plein gré, hors du cadre cinématographique.

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Sous l’égide de la musique de Schubert, “La jeune fille et la mort”, Portrait de femme n’est pourtant pas édifié par la pulsion de mort. Au contraire, chaque plan est le témoin d’une énergie farouche qui traverse Isabel Archer. Comme tous les personnages de Jane Campion, les malheurs d’Isabel proviennent de ses désirs, qui sous le règne du patriarcat sont sans cesse étouffés. Mais ses héroïnes n’abandonnent jamais le combat.


Laura Enjolvy

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