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[CRITIQUE] : Petite Fille


Réalisateur : Sébastien Lifshitz
Avec : -
Distributeur : Arte
Budget : -
Genre : Documentaire
Nationalité : Français
Durée : 1h25min

Synopsis :
Sasha, né garçon, se vit comme une petite fille depuis l’âge de 3 ans. Le film suit sa vie au quotidien, le questionnement de ses parents, de ses frères et sœur, tout comme le combat incessant que sa famille doit mener pour faire comprendre sa différence. Courageuse et intraitable, Karine, la mère de Sasha, mène une lutte sans relâche portée par un amour inconditionnel pour son enfant.


Critique :

Nous pensions que Sébastien Lifshitz avait déjà offert le documentaire poignant de l’année au travers du film Adolescentes, qui revenait sur ces années charnières autour de deux jeunes femmes en construction. Nous avions bien tort. Son nouveau documentaire, Petite Fille, ne pourra que vous bouleverser. Portrait édifiant et fort d’une petite fille transgenre, Sasha doit lutter avec l’aide de sa famille contre des normes sociales inflexibles face aux questions du genre. Si le premier documentaire avait pu passer entre les mailles du filet des confinements et sortir en salles, le deuxième n’aura pas cette chance. Mais il sera disponible sur le site Arte.tv dès le 25 novembre et sera diffusé sur la chaîne le 2 décembre.

Copyright Arte

La dysphorie de genre a rarement été abordée au cinéma avec autant de pédagogie et de bienveillance. Le regard doux et sans jugement qui nous avait plu dans Adolescentes se pose délicatement sur Sasha, huit ans, une petite fille née avec un corps de garçon, sur sa mère Karine et plus largement sur la famille tout entière. La première fois que nous découvrons Sasha, elle est toute seule dans sa chambre. Une chambre secrète comme nous l'apprendrons plus tard, sacrée car elle représente qui elle est et ce qu’elle doit cachée aux yeux de ses camarades de classe et de son école. Elle choisit méticuleusement les accessoires pour habiller sa robe, se regarde dans le miroir. Elle vit sa vie de petite fille, pleinement, dans un cocon de douceur. Ce cocon, c’est sa mère, Karine, qui le crée, à l’aide de ses trois autres enfants et de son mari, membre de la famille aimant mais absent de par son travail. Cette famille unie lui offre un rempart solide sur lequel elle peut s’appuyer, face à la violence sourde et parfois éclatante de malveillance du monde extérieur. L’enfant, qui vit une détresse intérieure, doit aussi affronter l'incompréhension de sa détresse dans le monde éducatif et culturel qui l’entoure. L’école refuse catégoriquement de la considérer comme une fille et la mégenre. Le conservatoire de danse continue de faire d’elle une exception, un garçon dans un cours de danse classique. Elle n’a donc pas droit aux mêmes costumes que ses camarades, un affront de plus à intégrer et à digérer.

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Pendant que Sasha subit, Karine attaque. Mère aimante et pétrie de doute, elle fait du bien être de ses enfants, avant tout celui de sa fille, un combat difficile mais nécessaire. Chaque question que l’on peut se poser sur la dysphorie de genre (surtout quand on est confronté à ces questions pour la première fois), cette mère se les est déjà posées depuis le début. Elle nous parle face caméra, avec confiance et nous livre ses réflexions, sa détresse mais aussi sa colère face aux réactions de l’Éducation Nationale. L’école, endroit censé aider l’enfant à se construire et à recevoir une instruction devient source de souffrance et d’abnégation. Sasha doit sacrifier son bien être au profit du ‘quand dira-t-on” et de la réputation du directeur. “Est-ce que c’est parce que j’ai tellement voulu une fille quand j’étais enceinte ?”, “est-ce que je fais bien de la laisser s’habiller en robe ?”, “est-ce que tout ceci est de ma faute ?”. La réponse de la pédopsychiatre, formée sur la dysphorie de genre, est sans appel : Karine n’est pas fautive. Ce rendez-vous, capital pour Sasha, devient aussi capital pour la mère. Des années de culpabilité s’envolent au profit de réponses simples et claires : les pensées des parents, l’éducation ne sont pas ce qui cause la dysphorie. Soulagée, Karine pourra d’autant plus affronter les combats qui les attendent. Car si la souffrance de Sasha est mise en avant par la caméra, Sébastien Lifshitz n’oublie pas les autres membres. La mère, pilier de la petite famille, soldat armé de courage, doit aussi combattre la charge mentale, ici décuplée. Le père, qui accepte sans mal sa fille et semble solide pour traverser les crises, reste cependant en retrait quand il s’agit d’agir au quotidien. Malgré ses efforts pour être partout, Karine privilégie Sasha. Dans une séquence fortement émouvante, consciente de cet état de fait, elle s’excuse auprès d’un de ses fils, qui lui répond avec une sagesse confondante qu’il comprend et qu’elle a de bonnes raisons pour être absente auprès de lui, auprès d’eux. Si le regard extérieur est plein de préjugés, Sasha est cependant entourée d’amour, de bienveillance et de compréhension.

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Petite fille aborde ce regard extérieur avec pédagogie. Ce qui lui faut, c’est être à l’écoute et apprendre. Et c’est là toute la difficulté de ce combat, quand on ne peut pas forcer quelqu’un à laisser tomber les œillères et à discuter. Karine ouvre pourtant le champ des possibles, quand elle invite la pédopsychiatre pour une conférence autour de la dysphorie de genre. Quelques parents d’élèves font le déplacement. Aucun enseignant. Aucun membre de la direction. Le chemin vers l’acceptation et la compréhension est semé d'embûches. C’est le constat effarant que nous partage Karine, les yeux pleins de larmes, face caméra : Sasha n’aura pas droit à une enfance innocente et cette injustice, même si on peut la combattre, n’en reste pas moins bouleversante. C’est là où le documentaire prend une importance capitale : cristalliser un regard intérieur sur l’identité et les normes. Petite fille est l’histoire d’un combat, mais surtout d’une enfance. Sasha est avant tout une petite fille, qui comme tous les enfants de son âge, ne rêve que d’être acceptée telle qu’elle est. Il serait alors inhumain de le lui refuser.


Laura Enjolvy



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