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[SƎANCES FANTASTIQUES] : #10. Les Yeux sans Visage

© Photo courtesy of Rialto Pictures/Janus Films

Parce que les (géniales) sections #TouchePasAMes80s et #TouchePasNonPlusAMes90s, sont un peu trop restreintes pour laisser exploser notre amour du cinéma de genre, la Fucking Team se lance dans une nouvelle aventure : #SectionsFantastiques, ou l'on pourra autant traiter des chefs-d'oeuvre de la Hammer, que des pépites cinéma bis transalpin en passant par les slashers des 70's/80's; mais surtout montrer un brin, la richesse d'un cinéma fantastique aussi riche qu'il est passionnant à décortiquer. Bref, veillez à ce que les lumières soient éteintes, qu'un monstre soit bien caché sous vos fauteuils/lits et laissez-vous embarquer par la lecture nos billets !


#10. Les Yeux sans Visage de Georges Franju (1960)

Si l'on peut décemment compter sur les doigts d'une main férocement amputée, les cinéastes hexagonaux à avoir imposer leur marque dans le giron fantastique, le trop peu cité Georges Franju y a une vraie place de choix - certainement le majeur, vu son esprit doucement pulp -, gagnée au forceps par la maestria d'un seul et unique chef-d'oeuvre : Les Yeux sans Visage, une adaptation du roman éponyme de Jean Redon (avec le tandem Boileau/Narcejac au scénario, les têtes pensantes derrières les merveilleux Les Diaboliques et Vertigo), qui incarne l'une des uniques incursions made in France dans le cinéma de genre... et sans doute la meilleure.
Distillant tout du long une ambiance plus anxiogène que macabre, imbibée de mystère (et ce dès une introduction qui annonce clairement la couleur) et appuyée par un élegant noir et blanc signé Eugen Schüfftan, l'histoire fantastico-réaliste d'un médecin qui, rongé par la culpabilité de l'accident qu'il a lui-même provoqué, multiplie avec une froideur implacable les tentatives folles de greffe de peau sur le visage de sa fille défigurée.
Une progéniture aussi douce que fragile, elle-même horrifiée par l'horrible vérité : les " donneuses " ne sont absolument pas volontaires, mais bien toutes des victimes de son paternel, piégées par sa fidèle assistante...

© Photo courtesy of Rialto Pictures/Janus Films

Détournant les contours Dr Jekyll et Mr Hyde du matériau d'origine (on se focalise plus sur le docteur Génessier que sur l'enquête, on le montre plus comme un père de famille fou mais aimant - sa seule obsession est sa fille -, l'enquête est passé au second plan et l'assistant du doc ne se pique plus à la morphine et ne viole plus des cadavres,...), pour mieux les faire prendre ceux du Dr Frankenstein (l'enfer est toujours pavé de bonnes volontés); Franju réinvente les codes du cinéma de genre - ce qui va de pair avec sa réticence pour celui-ci -, pour mieux prendre à revers son auditoire en mêlant habilement épouvante et polar noir agrémenté de subtils touches d'humour.
Une inquiétante et poétique étrangeté onirique, parsemée de scènes terrifiantes sans trop en montrer (là ou, étrangement à l'époque, on lui reprochait d'être extrême et sanglant), et d'un questionnement troublant sur l'identité, sublimée dans un final bouleversant et cruelle.
Gothique jusqu'au bout des ongles - et surtout dans toutes les notes du score enivrant de Maurice Jarre -, constamment entre expressionnisme et réalisme (parfois à la lisière du documentaire, comme dans l'éprouvante scène d'une extraction de peau de visage), d'une précision chirurgicale dans son esthétique et sa mise en scène baroque (la gestion des cadres est d'une maîtrise absolument indécente), Les Yeux sans Visage inspire une sympathie malsaine pour son protagoniste principal (on ne défend pas ses crimes, autant que l'on désire intimement que ceux-ci paye et que sa fille retrouve à nouveau, son visage), et impressionne aussi et surtout grâce à la prestance de ses interprètes, dirigés avec minutie; que ce soit le charismatique et inquiétant Pierre Brasseur, la glaciale Adila Valli ou encore la douce et angélique d'Edith Scob, dont le regard sous le masque diaphane, véhicule toutes les émotions et la détresse du monde (sa grâce hante encore longtemps après la vision du film).

© Photo courtesy of Rialto Pictures/Janus Films

Déstabilisant, mélancolique, beau et fascinant à la fois, proche de Cocteau (on pense évidemment à La Belle et la Bête) et porté - légitimement - aux nues par toutes les générations suivantes (Carpenter, Carax et Almodovar - La Piel que Habito - en tête, qui lui ont rendu des hommages sincères et marqués), Les Yeux sans Visage est une merveille d'épouvante, qui démontre que les monstres ne sont pas toujours ceux qui se cachent derrière un masque...


Jonathan Chevrier


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