[SƎANCES FANTASTIQUES] : #6. Don’t Look Now
Allstar/Casey/StudioCanal |
Parce que les (géniales) sections #TouchePasAMes80s et #TouchePasNonPlusAMes90s, sont un peu trop restreintes pour laisser exploser notre amour du cinéma de genre, la Fucking Team se lance dans une nouvelle aventure : #SectionsFantastiques, ou l'on pourra autant traiter des chefs-d'oeuvre de la Hammer, que des pépites cinéma bis transalpin en passant par les slashers des 70's/80's; mais surtout montrer un brin, la richesse d'un cinéma fantastique aussi riche qu'il est passionnant à décortiquer.
Bref, veillez à ce que les lumières soient éteintes, qu'un monstre soit bien caché sous vos fauteuils/lits et laissez-vous embarquer par la lecture nos billets !
#6. Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg (1973)
Elles sont rares les bandes horrifiques, à subtilement résister à l'épreuve du temps tel que peut le faire le chef-d'oeuvre de Nicolas Roeg, Don't Look Now, monument du genre horrifique à la puissance évocatrice sans pareil.
Adapté de la nouvelle Pas Après Minuit de Daphné du Maurier, le film incarne autant une réflexion fantomatique et mélancolique sur la culpabilité et le deuil, qu'une opposition étonnante entre l'homme et la femme; les hommes - surtout le héros - sont rationnels (leurs esprits analytiques les piègent dans le déni, et les empêche de " voir "), tandis que les femmes ont des connexions intuitives avec le surnaturel.
Pas besoin de préciser avec qui Roeg s'amuse le plus, détruisant tout scepticisme en travaillant non pas avec la peur, mais bien avec les sentiments plus tortueux du chagrin, de l'espoir et de l'appréhension.
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Dans une patine grisâtre et gothique replaçant le cadre de son histoire, au coeur de la plus triste des saisons (l'automne ou tout est gris, froid et humide), Ne Vous Retournez Pas ne provoque jamais une seule seconde, un sentiment de sérénité à son auditoire, et ce dès son ouverture sombre et déchirante.
Dans un chalet au coeur de la campagne britannique, une petite fille, Christine, vêtue d'un imperméable rouge brillant, joue près d'un étang, alors que ses parents, John et Laura Baxter, sont dans leur salon, le père étudiant des diapositives d'églises vénitiennes.
Alors qu'il renverse un verre de vin et qu'une tache ressemblant à du sang se répand sur la surface d'une diapositive (montrant la capuche rouge d'un imperméable dans une église vénitienne), elle jette sa balle dans l'étang, tente de la rattraper et le pire arrive... elle n'en ressortira jamais vivante.
En une simple ouverture, Roeg installe non seulement la perte insondable qui ravagera les Baxter, mais aussi et surtout son cadre thématique et psychologique, impliquant une fascination hypnotique sur le temps, des flashbacks/flashforwards subliminaux, des déambulations obscures dans un Venise ou sévit un tueur en série, et une connection viscérale avec la perte de leur petite fille, et de son si brillant imperméable rouge.
Le rouge, une couleur chère à Roeg, qui incarne autant la mort que le lien entre le passé et le présent dans le film, tout comme l'eau, censé représenter la vie et qui subit ici le même processus d'inversement que ces cadres idylliques (Venise, la campagne anglaise), passant d'accueillant à morbide.
Loin de n'être qu'une commodité de l'intrigue - ce qui est souvent le cas dans le cinéma de genre -, le mariage qui lie le couple Baxter est sincère et réel, et si la mort de leur progéniture les dévaste, leur union tient bon, même si elle les fait glisser peu à peu dans une tristesse abyssale.
En restaurant les ruines antiques des églises de Venise, John échappe à son chagrin et, à mesure que le récit fait son office, semble se rapprocher pourtant dangereusement de son propre destin tragique et inévitable.
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En sortant pour un dîner, Laura rencontrera deux jumelles anglaises âgés dans un restaurant, Wendy et la mystérieuse Heather, une femme aveugle mais doté d'un pouvoir psychique lui permettant de voir les morts et en particulier Christine, qu'elle dit avoir vu près d'eux quelques instants plus tôt.
Entre doute et croyance, Laura s'effondre avant que le couple plus tard, et probablement pour la première fois depuis la mort de leur enfant, fera l'amour.
Une scène passionnée (mais furieusement démodée aujourd'hui) au montage d'une incroyable subtilité, appuyant autant la duplicité entre les deux adultes (à la fois ensemble et séparés, passionnés et préoccupés), que la nécessité de trouver et jouir du bonheur au présent - le seul endroit où il existe pleinement pour eux -, continuer à vivre en somme.
Malheureusement, ce rapprochement fugace ne pourra en rien réparer leur incapacité à vivre dans le présent, et la continuité tragique de leur destin...
Jouant constamment la carte de la décrépitude lanscinante et de la perte totale de repère (nous sommes toujours aussi incertains de ce que John Baxter croit voir, ce qui a existé, existe et existera), dans une Venise aussi poisseuse qu'inquiétante, presque inhospitalière (une nécropole hantée et mélancolique, sublimée par la photographie brumeuse d'Anthony B. Richmond, semblant tout droit sortie d'un cauchemar enivrant), Don't Look Now invoque plus qu'il ne montre, et articule sa terreur palpable sur une appréhension (visuelle et physique de par son cadre, l'ambiance kaléidoscopique, une caméra énergique et insaisissable, le jeu des acteurs ou le score enivrant de Pino Donaggio) ne trahissant jamais son cadre réaliste - malgré sa logique paranormale -, et grimpant crescendo jusqu'à un final so Hitchcockien, hallucinant et surtout inattendu.
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Radical dans son aspect déconstruit et férocement expérimental - qui demande une attention totale de son spectateur -, tout en citant admirablement ses pairs (Hitchcock, Delvaux, Fulci), christique - les symboles sont légion - et spirituel (notamment au travers de sa mise en images de l'acceptation du deuil et de l'inéluctabilité de la mort), totalement vissée sur les prestations habitées du couple Donald Sutherland/Julie Christie; le troisième long de Nicolas Roeg est un pur labyrinthe vénitien au coeur d'une boîte de pandore bouleversante et troublante, un quasi-giallo sauce british sur des âmes blessées dont on se délecte de manière malsaine, de leur lente perdition endeuillée.