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[CRITIQUE] : De l’or pour les chiens


Réalisatrice : Anna Cazenave Cambet
Acteurs : Tallulah Cassavetti, Ana Neborac, Corentin Fila, ...
Distributeur : Rezo Films
Budget : -
Genre : Romance, Drame
Nationalité : Français
Durée : 1h39min

Synopsis :
Fin de l’été, Esther 17 ans, termine sa saison dans les Landes. Transie d’amour pour un garçon déjà reparti, elle décide de prendre la route pour le retrouver à Paris. Des plages du sud aux murs d’une cellule religieuse, le cheminement intérieur d’une jeune fille d’aujourd’hui.


Critique :


Tallulah Cassavetti brille dans son tout premier rôle, en première ligne de surcroît, où elle suit son amour de plage jusqu’à Paris.
Anna Cazenave Cambet signe son premier long-métrage avec De l’or pour les chiens, en projection au Festival du Film Francophone d’Angoulême, où la Semaine de la Critique nous présente quatre films ayant reçu leur label. Avec deux court métrages à son actif, dont l’un a été primé à Cannes pour la Queer Palm en 2016, la réalisatrice nous livre un coming of age particulier, où une jeune fille naïve, ballottée par la vie va faire la plus incongrue des rencontres, un groupe de nonnes en plein Paris.

Copyright Rezo Films

Esther est seule, vit seule dans une ville touristique où elle vend des glaces non loin de la plage. Elle est aussi amoureuse de Jean, le serveur d’en face. Elle vit pour cet amour, le respire, écrit dans son journal intime le nombre de leurs ébats, les positions, les lieux pour ne rien oublier. Une façon d’être encore plus proche de lui, quand il ne lui donne que des miettes de son être. Alors que de son côté, elle se donne corps et âme. La première scène du film caractérise leur relation en un seul plan séquence. Après un acte sexuel en plein jour, à peine caché par les dunes, Jean s’éloigne d’elle sans lui jeter un seul regard, tandis qu’elle le poursuit, s'habillant en vitesse. Le ton est donné, ce que nous voyons est un amour à sens unique. Un amour de vacances, qui n’a pas vocation à se poursuivre dans l’avenir. Elle le suivra jusqu’à un Paris froid, gris où la réalité reprendra le dessus sur l’idylle de plage. Elle emmène son cœur brisé jusqu’à un monastère de bonnes sœurs, qui la recueille et lui laisse le temps de réparer ce qui a été brisé.

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Anna Cazenave Cambet a voulu s’éloigner du code bien huilé du coming of age, où la jeune adolescente finit par s’émanciper par sa sexualité. Dans De l’or pour les chiens, ce serait plutôt l’inverse, Esther s’émancipe par le fait de prendre conscience de ce que son corps renvoie, de ce qu’on attend d’elle. Elle n’est pas obligée de tout donner, peut garder des choses rien que pour elle. Comme les jeunes filles de sa génération, Esther est consciente de la sexualisation de son corps, mais pense qu’elle peut retenir Jean de cette façon. Accepter des pratiques sexuelles, contrer sa froideur par des avances. Vivant dans une ville faite de plage et de sables, se dénuder lui semble logique, se fondant dans la masse de touriste. Quand elle quitte ce lieu, dans une petite robe à motif bonbons, le spectateur sent vite que ce style de vêtement n’est plus en adéquation avec son environnement. Le nouveau mari de sa mère la déshabille du regard, ce qui l’invite à faire du slut-shaming sur sa propre fille, jalouse du regard de convoitise de son homme. À Paris, elle détonne avec sa robe légère parmi les manteaux et écharpes, uniforme de fin d’été parisien. Jean la quitte de nouveau, définitivement cette fois, en lui donnant son manteau, non pas par pure générosité, mais par honte d’être dans un bar en compagnie d’une jeune fille habillée si légèrement. Son corps est désiré, méprisé, mais Esther ne s’en pas forcément compte. Elle pense que tout donner aux hommes est la seule solution et se retrouve démunie quand elle se rend compte que ça ne convient plus à celui qu’elle aime.

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La réalisatrice ne juge jamais son personnage et lui donne parfois de l’espace pour s’exprimer par son corps, pour elle-même, comme le montre une séquence rupture où elle commence une danse lascive pour un barman mais termine par une danse intérieure, où elle exprime son chagrin. La lumière change, pendant un instant, elle se réapproprie sa vie, avant de revenir dans la réalité. Pourtant, on peut se poser la question du cœur central du film, où Esther passe d’un personnage ultra sexualisé à une vie monacale entourée de nonnes. Le scénario a l’intelligence de ne pas radicalement changé l'héroïne. Si Esther prend part au quotidien de ces femmes qui vivent pour Dieu, elle n’y croit pas elle-même. Mais elle peut penser à elle, vivre sans le regard des autres sur son corps et s’émanciper de son importance. Ce twist nous paraît cependant beaucoup trop abrupte, surtout au niveau du style vestimentaire, où nous passons d’une robe proche du corps et colorée, à un uniforme noir : pantalon, pull et petite chemise à col remonté. Le film cache son corps, comme s’il donnait raison aux jugements qu’elle a reçu depuis son départ. Ce choix est bien sûr expliquer par le lieu où elle se trouve, par l’enjeu donné par Anna Cazenave Cambet tout le long du métrage, mais le mal est fait et un malaise s’installe. Elle sort grandit pourtant de cette expérience, prenant conscience que les rapports humains, surtout avec les hommes, ne se résument pas à “je te donne, tu reçois”.

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Porté par la toute jeune actrice Tallulah Cassavetti, qui donne vie à ce personnage solaire et touchant, De l’or pour les chiens est un premier film fascinant, autant par son propos que par le malaise qu’il peut dégager par petite touche, conscient de son existence pour remettre en question le spectateur.


Laura Enjolvy 


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Dans un somptueux paysage littoral des Landes, à la fin de l'été, la jeune Esther vit une relation avec Jean, dont elle est follement amoureuse. Sauf que celui-ci lui annonce son départ. Il va s'installer à Paris, alors qu'elle est censée rester ici, près de cette plage où elle vit et travaille. Dirigée par ses sentiments, elle décidera de le rejoindre. De l'or pour les chiens est donc le récit de cette jeune femme, dont le parcours est à la fois physique et émotionnel, où le corps suit les désirs. Sauf que le long-métrage n'est pas une romance, c'est avant tout un drame intime, celui d'une jeune femme qui cherche sa place tout autant qu'elle se cherche. Pour raconter ce long chemin, Anna Cazenave Cambet élabore trois temps. Le premier est consacré à cette fin d'été, sur les plages du sud, où la chair s'enflamme au gré des désirs. Dans l'abstraction des sentiments, l'été d'Esther se conjugue à l'amour, entre les vagues qui s'échouent sur la plage et entre les dunes de sable. Un été abstrait parce que la protagoniste virevolte entre la plage, les soirées, le travail, etc. Ce premier temps est celui du rêve, de la chaleur organique où le cadre et la mise en scène font la part belle à l'ouverture des espaces. Le corps se livre dans un ton apaisé, pour offrir un temps et un espace de l'insouciance. On comprend très vite que la cinéaste s'intéresse d'abord aux espaces, tant la plage a des airs de rêve sans limite.

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Le paysage ici influe directement sur l'ambiance et sur la construction du récit. D'où la présence de trois temps à la narration. Le premier se concentrant sur le désir, le deuxième est cet abandon de l'espace de rêve, représenté par les plages du sud. Désormais, il s'agit pour Esther de se livrer à l'urgence des retrouvailles avec Jean. Les ellipses ne manquent pas dans le voyage de la protagoniste entre le sud et la capitale. Le premier temps permet de respirer aux sons des vacances et de la beauté des désirs. Mais dans Paris, c'est la perdition du corps et de l'esprit qui apparaissent. À chaque espace son temps, et Esther se perd aussitôt dans ce nouvel espace qu'elle découvre par elle-même. Cette arrivée d'Esther à Paris est une chute de l'imaginaire (les rêves, l'amour de vacances) vers la cruauté du réel. Dans la jungle parisienne, la jeune femme est en pleine désillusion. Face à l'ouverture des espaces du sud, elle se confronte aux portes fermées des immeubles parisiens, à l'exigence des horaires de fermeture de bar, à la voix qui doit s'efforcer de crier pour se faire entendre, à la dangerosité de chaque rue. Entre la capitale et les plages du sud, c'est l'obscurité de la nuit qui fait face à l'envoûtement des journées ensoleillées. Dans la nuit, Esther semble se réveiller de son rêve, et prendre conscience du mirage qu'étaient les vacances.
Ce deuxième temps est aussi rapide que l'urgence cherchée par Esther pour retrouver Jean. Parce que face à cette désillusion, la jeune femme doit réagir. Anna Cazenave Cambet ne la fait donc pas attendre longtemps. Il y a quelques rencontres plus ou moins joyeuses, grâce auxquelles la protagoniste peut convertir sa chute en une liberté, peut se détacher de l'emprise de ses désirs pour voguer par elle-même. Dans le troisième temps, elle se retrouve à vivre au sein d'un monastère, en compagnie de plusieurs nonnes. Contrairement à l'urgence qui accompagnait son quotidien, Esther doit maintenant faire preuve de patience. Dans cette ambiance d'enfermement, c'est une nouvelle approche de l'espace et du corps qui commencent. Comme dit auparavant, la cinéaste s'empare d'abord des espaces pour construire son récit et donc l'évolution de son personnage. Ici, le monastère est évidemment un enfermement, une coupure avec le monde extérieur. C'est alors un temps pour l'introspection, pour un corps qui s'isole derrière des vêtements plus sombres et qui le couvrent davantage. Dans ce troisième temps, c'est l'évolution naturelle de la chair vers l'esprit, de l'organique vers le théorique. Entre les trois temps, il suffit de voir à quel point les espaces se referment autour d'Esther, comme si ses désirs la propulsent petit à petit vers la nécessité de découvrir sa liberté individuelle.

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Des plages sans limite et grandes ouvertes pour les corps, jusqu'aux murs des couloirs étroits et des chambres austères du monastère, les espaces sont une manière de se recentrer sur le vertige émotionnel ressenti par Esther. Les trois temps sont un enchaînement du rêve vers la libération, en passant par la tragédie. Donc, dans ce chemin, chaque espace est une nouvelle source d'énergie. On regrettera cependant l'opacité inflexible de la jeune femme, qui ne se dévoile ni à aux personnes qu'elle rencontre, ni à la caméra. Prisonnière de son désir et de sa liberté, elle elle semble se cacher derrière ses désirs en ne dévoilant rien. Alors qu'il doit s'agir d'un cheminement intérieur (intime) pour Esther, la mise en scène est davantage focalisée sur le chemin physique que la caractérisation des émotions. Face à cette carapace de la jeune femme, les attitudes sont plus proches de la métaphore et l'illustration émotionnelle. Parce que Esther semble figée dans sa vulnérabilité, dans une mise en scène qui regarde un peu trop de loin, qui ne semble pas vouloir percer le trouble de la jeune femme, tant les espaces absorbent son être. Toutefois, si les espaces s'imposent autant quitte à créer de la distance avec Esther, c'est parce que le film prend le temps de regarder et d'accompagner. Le cadre est comme sa protagoniste, aimant flâner dans les paysages traversés, notamment avec la succession des plans-séquence. Dans ce rythme envoûtant qui fait preuve de la fragilité du parcours, De l'or pour les chiens montre que la mélancolie et les émotions naviguent eux-aussi entre entre l'obscurité et la lumière.


Teddy Devisme



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