[C’ÉTAIT DANS TA TV] : #22. Nana
© Ai Yazawa / Madhouse Studios |
Avant de devenir des cinéphiles plus ou moins en puissance, nous avons tous été biberonnés par nos chères télévisions, de loin les baby-sitter les plus fidèles que nous ayons connus (merci maman, merci papa).
Des dessins animés gentiment débiles aux mangas violents (... dixit Ségolène Royal), des teens shows cucul la praline aux dramas passionnants, en passant par les sitcoms hilarants ou encore les mini-séries occasionnelles, la Fucking Team reviendra sur tout ce qui a fait la télé pour elle, puisera dans sa nostalgie et ses souvenirs, et dégainera sa plume aussi vite que sa télécommande.
Prêts ? Zappez !!!
Les shôjo sont des mangas destinés à des jeunes filles. Ils reprennent souvent les mêmes codes : une héroïne, dont le caractère prédestine à être une parfaite femme au foyer, tombe amoureuse d’un garçon. L’histoire qui se tisse autour de la romance change selon les œuvres mais la majeure partie du temps, la relation amoureuse se termine bien. En France, on retient deux shôjos qui ont connu un grand succès et que vous avez peut-être lu en format papier ou regardé l’animé : Tokyo Mew Mew, dans lesquelles un groupe d’adolescentes sauve le monde grâce à de super-pouvoirs, ou encore Fruits Basket dans lequel une lycéenne tombe sous le charme d’une famille victime d’une malédiction.
Nana a connu le même destin que ces mangas précédents puisqu’il a été adapté en animé, passant du papier au petit écran (avec au passage une adaptation en film live mais nous nous garderons bien d’en parler). Si l’animé a débuté en 2006, l’histoire se déroule au début des années 2000, tout comme en date le manga. C’est la création d’Aï Yazawa, déjà auteure de Paradise Kiss et Je ne suis pas un ange, deux œuvres déjà fort recommandables.
On découvre, dans Nana, Nana Komatsu, 20 ans, qui va rejoindre Shoji, son petit-ami à Tokyo. Elle a auparavant fait le deuil d’une relation amoureuse avec une homme bien plus âgé, lorsqu’elle était lycéenne. Nana Komastu rencontre, dans le train, Nana Osaki. Elles ont le même âge, le même prénom mais sont très différentes. Nana Osaki, orpheline, se rend à Tokyo avec l’ambition de percer dans la musique. Elle appréhende sa possible retrouvaille avec Ren, son grand amour qu’elle a perdu lorsque ce dernier est parti, deux ans auparavant, tenter également sa chance en tant que guitariste à Tokyo. Une fois arrivées dans la capitale les deux filles se mettent, un peu par hasard et par la force des choses, en colocation. L’une aime les choses tendances et girly, l’autre a un look punk, il n’empêche que les deux Nana vont devenir très amies et très unies, au point que la nature de leur relation devient parfois presque ambigü : est-ce de l’amitié, de l’amour, de la sororité ou les deux filles sont-elles finalement les deux parts d’un même tout ?
© Ai Yazawa / Madhouse Studios |
S’il est présenté comme étant un manga pour adolescentes, Nana est finalement davantage adapté aux plus grandes d’entre-elles. Les thèmes sont sombres, on y retrouve des relations abusives et des personnages qui se prostituent. L’histoire est loin de l’idéal romantique auquel aspire certaines autres œuvres : si la trajectoire des Nana est parsemée de paillettes et de rêve accomplis, les coulisses sont plutôt tristes. Au final, l’amitié entre les deux filles finit par les présenter comme étant un tout et construit une identification qui n’est pas sans rappeler quelques principes féministes.
Nana Komatsu est présentée comme étant la parfaite héroïne de shôjo. C’est un cœur d’artichaud qui n’aspire qu’au mariage et aux beaux vêtements (imaginés par la redoutable plume d’Aï Yazawa). A l’inverse, Nana Osaki rejette tout cet univers en bloc. Elle n’a jamais connu le cocon familial et refuse de dépendre de Ren, en dépit de ses forts sentiments. Les deux Nana présentent une ambivalence féminine forte, redorant l’intériorité de celle qui a pu être considéré comme stupide et soumise, et travaillant son contraire. Dans cette histoire mélancolique, Nana Komastu ne peut trouver l’amour si facilement. Ses rêves de devenir la parfaite épouse sont mis à rudes épreuves et la réalité comme ses imperfections la rattrapent très vite. Le manga comme l’animé semblent répondre à une question précise : “à quoi rêvent les jeunes femmes japonaises au début des années 2000 ?”. La lectrice ou spectatrice est confrontée à ses propres sentiments et sa vision du shôjo. Il est difficile pour elle de ne pas se retrouver quelque part entre les deux héroïnes tant leurs ressemblances et leurs contradictions sont riches. Le lecteur ou spectateur, lui, se doit de dépasser urgemment ses à priori, pour découvrir une œuvre à l’indéniable sensibilité. Les deux Nana font face à un sentiment de solitude grandissant, accédant pourtant à leurs rêves, dans une ville qui est leur idéal. Ce sentiment est par ailleurs partagé par les personnages secondaires, chacun se trouvant isolé dans sa bulle, en quête de l’âme sœur, sur les voix off des deux filles que l’on sait séparées par leur destin futur, sans ne jamais en connaître les raisons.
© Ai Yazawa / Madhouse Studios |
Le monde de Nana est aussi celui du show-buisness japonais, à base d’idols devant respecter des contrats très précis et des traditionnels paparazzis. D’abord idéalisé à travers le regard de Nana Komastu, fan de première heure du groupe Trapnest auquel appartient désormais Ren, le milieu finit par imposer, dans les derniers épisodes, un aspect plus morne.
Pour revenir strictement sur l’animé, il est disponible en plusieurs langues, ce qui laisse un bon choix quant au doublage choisi. Les interprètes français peuvent peut-être traditionnellement un peu dérouter en fonction de l’imagination de ceux qui auraient déjà lu le manga mais la performance finit par habiter l’esprit. Les génériques (de début comme de fin) ont l’avantage de proposer des morceaux des groupes imaginaires Blast et Trapnest, grands protagonistes du manga. L’habillage musical des épisodes est plutôt bien pensé, grâce à une triste ritournelle qui noue toujours un peu la gorge dans les instants mélancoliques. Finalement, les tubes de Blast et de Trapnest s’inscrivent dans la continuée de l’histoire et s’incluent à merveille dans le récit.
© Ai Yazawa / Madhouse Studios |
S’il ne possède pas la beauté visuelle du manga, tout en contrastes, l’animé Nana permet de se replonger d’une autre façon dans l’univers des deux jeunes femmes. Vingt ans plus tard, les thématiques sont toujours d’actualité et le destin inachevé, en raison d’une maladie de l’auteure, des héroïnes sert toujours le cœur. On attend toujours, avec la même naïveté que Nana Komastu recherchant l’amour, une suite et une fin à l’histoires douce-amer des deux jeunes femmes.
Manon Franken