[TOUCHE PAS À MES 80ϟs] : #111. The Witches of Eastwick
© Warner Brothers Pictures |
Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 80's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios (Cannon ❤) venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 80's c'était bien, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, mettez votre overboard dans le coffre, votre fouet d'Indiana Jones et la carte au trésor de Willy Le Borgne sur le siège arrière : on se replonge illico dans les années 80 !
#111. Les Sorcières d'Eastwick de George Miller (1987)
L'arrivée en terre US du vénéré George Miller, n'aurait pu mieux se faire.
Adulé grâce au carton immense de son dyptique Mad Max, et auréolé d'une contribution angélique sous la tutelle experte de Steven Spielberg, sur le film à sketches La Quatrième Dimension (un remake appliqué de l'épisode Cauchemar à 20 000 pieds de Richard Donner), le bonhomme allait pourtant vite déchanter pour son vrai baptême du feu Hollywoodien; Les Sorcières d'Eastwick, une expérience douloureuse qui va tellement le lessiver et le dégouter qu'il va retourner illico en Australie... ou presque (passé la promo, il reviendra quelques années plus tard pour signé le solide Lorenzo's Oil).
Lutte intestine de tous les instants, un chaos total ou, victime de sa gentillesse (comprendre : sa naïveté face aux rouages du business), il affrontera continuellement les producteurs au sujet du scénario (qu'ils saccageront, de ses propres dires), des effets spéciaux (qu'ils ont ajoutés en masse, comme dans un final aujourd'hui daté et à la limite du ridicule), ou de la moindre de ses demandes (même personnelles, des figurants aux caméras allouées), ne trouvant une épaule solide qu'en l'aura populaire d'un Jack Nicholson avec qui il s'entendra à la perfection.
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Malgré tout, et même s'il n'est absolument pas satisfait du résultat, The Witches of Eastwick reste pourtant... un excellent film, et pas qu'un peu, qui s'avère même bien meilleur que le roman de John Updike dont il est l'adaptation/réinterprétation.
Et Updike à beau être une figure vénérable de la littérature américaine contemporaine, le tandem Miller/Michael Cristofer transcende pourtant sans forcer sa prose facile - et à la limite de la misogynie -, pour en faire une parabole délicate et délirante, de la guerre des sexes, enrobé dans une bonne dose d'irrévérence et de vulgarité géniale.
Catapulté au coeur de la Nouvelle-Angleterre, à Eastwick (tout est dans le titre), petite ville paisible et puritaine ou jadis furent brûlées maintes sorcières accusées de commerce avec le Diable - un détail hein -, on y suit les aléas de trois amies célibataires endurcis, Jane, Suzie et Alexandra, se réunissent une fois par semaine pour une partie de bridge thérapeutique parsemé de martinis, ou elles se morfondent et déplorent le manque d'hommes célibataires et attrayants autour d'elles.
Au cours d'une de ces séances, elles commencent à fantasmer sur leur amant parfait, et quelque chose dans l'intensité de leurs désirs partagés appellera une réponse : l'arrivée de Daryl Van Horne, un homme férocement riche qui achète le manoir colonial restauré au sommet de la colline de la ville, et se lancera dans une quête de séduction des trois femmes, séparément (en renforcant leur confiance en soi pour mieux déceler leurs points faibles) puis ensembles...
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Explorant à nouveau son étude de la complexité des relations de pouvoirs (déjà au coeur des deux premiers Mad Max, en moins intime et moins nourrie par des égories bibliques), en se penchant sur son pendant sexuel, même métaphoriquement (l'usage du surnaturel offre même une extension prenante de la magie et du mystère qui existent dans chaque relation, ainsi que la cruauté et le ressentiment qui peuvent intervenir parfois dans la course à la "domination" de l'autre), sans forcément apporter une quelconque résolution à son affrontement homme/femme ou les rôles sont subtilement inversés (on ne sait pas véritablement qui domine l'autre, est-ce les femmes, dont le pouvoir inconscient a convoqué Daryl, et qui au final, le dominent outrageusement... ou est-ce Daryl, dont le génie diabolique de la séduction maintient les femmes, jusqu'à un certain point, dans la paume de sa main, et aura même droit à une descendance); Les Sorcières d'Eastwick est une pépite de comédie fantastique qui construit son humour et sa dramaturgie sur une désinvolture, un sarcasme et une insolence totalement assumées.
Un film d'un autre temps, pessimiste (ou plutôt lucide, tant il converge vers un pragmatisme relationnel réaliste) et savoureux dans sa prise en grippe du puritanisme exacerbé du pays de l'Oncle Sam, cinématographiquement vivant (toute la dynamique visuelle du film est voué à l'ampleur imposante du jeu de ses comédiens, tous géniaux) et dont les multiples niveaux de lecture, s'avèrent toujours aussi savoureux à décortiquer.
Jonathan Chevrier