[TOUCHE PAS NON PLUS À MES 90ϟs] : #62. Vénus beauté (institut)
© COLLECTION CHRISTOPHEL © Arte France Cinema / David Koskas |
Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 90's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 90's c'était bien, tout comme les 90's, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, prenez votre ticket magique, votre spray anti-Dinos et la pillule rouge de Morpheus : on se replonge illico dans les années 90 !
#62. Vénus beauté (institut) de Tonie Marshall (1999)
Tonie Marshall nous a quitté le 12 mars dernier et avec elle le souvenir d’un cinéma sans artifice, de dialogues langoureux ou percutants comme l’acier, des figures féminines fortes et naturelles. Son film le plus connu et plébiscité est Vénus Beauté (institut), avec lequel elle a obtenu en 2000 le César de la meilleure réalisation, devenant également la seule femme à ce jour, à gagner ce prestigieux prix. Son dernier film, Numéro Une, était passé inaperçu en 2017, offrant pourtant à Emmanuelle Devos un formidable rôle d’une femme devant jongler entre son travail et son rôle d’épouse et mère, filmant avec justesse une charge mentale spécifiquement féminine, avant même que ces mots deviennent vitaux dans la lutte féministe. Mais Vénus Beauté restera son film phare, brillant de sa lampe led rose bonbon, dans sa filmographie, comme un succès commercial inattendu en 1999, face pourtant à de grosses productions, comme le Jeanne D’arc de Luc Besson et gagnant quatre récompenses au César, face à Jean Becker et son film Les Enfants du Marais.
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Quand on pense institut de beauté, nous avons bien entendu en tête un espace très féminisé : rose poudré, produits aux différentes senteurs, une musique délicate, des esthéticiennes au ton doucereux. La réalisatrice choisit ce cadre pour installer sa comédie de mœurs, bien plus sombre qu’elle n’en a l’air. De lourds sentiments se cachent derrière les rideaux du vestiaires, une certaine naïveté, de la sensualité parfois, la peur de finir seule, de vieillir, de voir son corps changer sans pouvoir rien n’y faire. On y suit Angèle (Nathalie Baye) dans son quotidien, entre la ronde de ses clientes (et rare client) et sa recherche de relation avec des hommes, pour oublier l’amour, qu’elle ne veut plus vivre. Trop douloureux. Femme d’une quarantaine d’année, Angèle est capable de se livrer sans filtre à la terrasse d’un café et d’envoyer bouler le premier homme qui viendrait s’approcher trop près de son cœur. Squelettique, mine pâle, ces mots sortent de la bouche de son entourage et ne la quittent pas, montrant la pression quotidienne d’être au mieux de nous-même, surtout quand on est une femme et que nous travaillons dans un espace où l’apparence est capital. Personne ne fait des réflexions à Antoine (Samuel Le Bihan), malgré son allure négligé.
Les cabines du salon font offices de fauteuil de psychanalyse. Les clientes défilent, chacune avec un caractère différent et se confient sous les mains des esthéticiennes. Autour d’elles défilent Nadine (Bulle Ogier, princière), qui dirige l’institut, Marie (Audrey Tautou), l’ingénue du groupe et Samantha (Emmanuelle Seigner), brute de décoffrage. Entouré d’une fausse douceur, cette institut cache la peur des femmes, celle de vieillir, de ne plus être désirable. Elles y cherchent de quoi retarder l’échéance, de la fameuse horloge interne, qui un jour sonnera pour nous dire “tu ne pourras plus plaire et être désirée”. Parfois joyeuses, cruelles, ou tout simplement au naturel, elles se donnent, corps et esprit, aux esthéticiennes, qui recueillent leur peau qu’elles doivent repulper, lisser, parfumer, ainsi que leur confidence. Cette idée toute simple, ce croisement entre la salon et la vie des esthéticiennes, celle de Angèle en particulier, Tonie Marshall arrive à en créer un rythme dynamique et prenant. Le montage est percutant, tout comme son personnage principal qui ne tient pas en place. Elle enferme Angèle dans des grands espaces, avec une profondeur de champs conséquente, saturés de détails, ce qui rend plus tangible sa solitude.
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Vénus Beauté (institut) est un produit de son temps. De nos jours, une histoire d’amour entre une femme et un homme déjà fiancé qui ne respecte pas son consentement et qui la suit jusqu’à son lieu de travail serait beaucoup plus critiquée. Heureusement, la comédie de la réalisatrice veut creuser au-delà de la simple histoire d'amour. Le film n’évite pas cependant quelques écueils stéréotypés, de ses clientes un peu trop caractérisées à un sentimentalisme un peu forcé du côté du couple que finiront par former Angèle et Antoine. Passé ces détails, le film est une comédie plaisante, montrant la fine écriture de Tonie Marshall, acerbe, où une certaine ironie se dessine, loin de la superficialité qu’installe son décor. Un film qui marquera les esprits, si profondément, qu'une série a vu le jour quelques années plus tard, Vénus et Apollon, faisant suite au long-métrage.
Laura Enjolvy