[CRITIQUE] : Wet Season
Réalisateur : Anthony Chen
Acteurs : Yann Yann Yeo, Christopher Ming-Shun Lee, Koh Jia Ler,...
Distributeur : Epicentre Films
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Singapourien, Taïwanais.
Durée : 1h43min.
Synopsis :
Des trombes d’eau s’abattent sur Singapour. C’est la mousson.
Les nuages s’amoncellent aussi dans le cœur de Ling, professeur de chinois dans un lycée de garçons. Sa vie professionnelle est peu épanouissante et son mari, avec qui elle tente depuis plusieurs années d’avoir un enfant, de plus en plus fuyant.
Une amitié inattendue avec l’un de ses élèves va briser sa solitude et l’aider à prendre sa vie en main.
Critique :
Sans la moindre concession, avec puissance et tendresse, #WetSeason croque la fragile union d'êtres empathiques qui cherchent à échapper à leur douleur et à leur solitude à travers l'illusion d'une connexion intime et isolée, aux désirs contradictoires. Une merveilleuse surprise. pic.twitter.com/A8p8sbfRas— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) February 14, 2020
On avait laissé le talentueux cinéaste singapourien Anthony Chen avec un merveilleux premier long plein de promesses, Ilo Ilo, parti avec une caméra d'or de la Croisette cuvée 2013.
Sept ans plus tard, et non sans une certaine attente, il nous revient avec un doux mélodrame au titre férocement évocateur, Wet Season, centré sur deux âmes en peine, une femme d'âge mûr et un de ses élèves adolescent (Yeo Yann Yann et Koh Jia Ler déjà de Ilo Ilo même si le second a bien, bien grandit), qui se rencontrent aux extrémités opposées de la solitude pour mieux conclure une connexion frustrée mais réparatrice, un acte de désirs incompatibles destructeur sous fond de double fracture familiale observée avec pudeur par le cinéaste.
Elle s'est Ling, une prof de mandarin dans un lycée singapourien, qui subit un traitement intensif de FIV avec son mari émotionnellement - mais pas que - distant, Andrew, dont la déception répétée de ne pas être père a sensiblement écorné son désir de soutenir son épouse, qu'il laisse lutter seule en clinique.
Mais comme si son quotidien n'était pas déjà assez douloureux, elle doit également s'occuper au quotidien du père alité d'Andrew (qui affiche clairement du mépris pour son fils et la distance lâche qu'il s'impose auprès de sa femme), qui se remet difficilement d'une crise cardiaque.
Malheureusement, Ling ne s'en sort pas forcément mieux dans sa vie professionnelle, elle est isolée dans un corps professoral majoritairement anglophone et ses élèves semblent désintéressés par sa matière - le mandarin -, tous sauf Wei Lun, dont l'intérêt soudain se manifeste depuis que Ling l'a raccompagné chez lui un soir.
Ses parents sont absents mais voient d'un bon oeil qu'il ait de bonnes notes en mandarin, histoire de penser à un avenir prospère pour lui en Chine.
Peu à peu, les deux âmes se rapprochent (il est le seul élève à s'inscrire aux cours de rattrapages, elle lui présente son beau-père), comblent un manque dans leurs existences (ils sont des substituts familiaux qu'ils n'ont jamais eu) mais se voient frappés par des attentes différentes : si leur solitude est partagée, il y a un conflit essentiel derrière, puisque Ling, volontairement ou non, reste inconsciente au béguin évident qu'à Wei Lun pour elle, et se qu'elle dégage envers lui se transforme en quelque chose de maladroitement maternel...
Sous une pluie battante incarnant un véritable personnage à part entière du métrage, Anthony Chen fait se confronter deux trajectoires à la collision inévitable, deux fractures au mal infranchissable.
Luttant contre son sentiment d'échec intériorisé en tant qu'épouse (son incapacité à porter un enfant, un mariage qui implose et l'impression marquée de ne jamais pouvoir s'échapper de tout ça) et professeur (le sentiment d'inutilité dans la matière qu'elle enseigne), Ling trouve du réconfort dans le besoin et le désir évident de Wei Lun (ce sentir voulue, tout en restant essentiellement maternelle), même s'il est le fruit d'une confusion adolescente ou les sentiments familiaux et romantiques se brouillent désespérément.
Sous une tempête continue, météorologique et sociale, qui fait écho au sentiment de désespoir anxieux qui imbibe le métrage, deux êtres s'abandonnent momentanément devant la caméra d'un Chen jamais inquisiteur (mais d'une maturité folle pour un second long), et laisse place à un avenir plus lumineux au moment ou la saison des pluies (d'où le titre) cesse de battre son plein.
Sans la moindre concession, avec puissance et tendresse, Wet Season croque la fragile union d'êtres empathiques qui cherchent à échapper à leur douleur et à leur solitude à travers l'illusion d'une connexion intime et isolée, aux désirs contradictoires.
Une merveilleuse surprise.
Jonathan Chevrier