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[CRITIQUE] : Queen & Slim



Réalisateur : Melina Matsoukas
Acteurs : Daniel Kaluuya, Jodie Turner-Smith, Bokeem Woodbine,...
Distributeur : Universal Pictures International France
Budget : -
Genre : Thriller, Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h12min.


Synopsis :
En Ohio à la suite d’un rendez-vous amoureux, deux jeunes afroaméricains qui se rencontrent pour la première fois, sont arrêtés pour une infraction mineure au Code de la route. La situation dégénère, de manière aussi soudaine que tragiquement banale, quand le jeune homme abat en position de légitime défense le policier blanc qui les a arrêtés.
Sur la route, ces deux fugitifs malgré eux vont apprendre à se découvrir l’un l’autre dans des circonstances si extrêmes et désespérées que va naître un amour sincère et puissant révélant le coeur de l’humanité qu’ils partagent et qui va changer le reste de leurs vies.




Critique :



Si l'on s'amusait à jouer la carte du cliché facile en ne se basant que sur sa campagne promotionnelle plus que timide - pour ne pas dire fantomatique - dans l'hexagone, on pourrait facilement dire que le bien nommé Queen & Slim, premier long-métrage de l'une des figures les plus importantes du monde du clip, Melina Matsoukas, incarne un remake moderne à peine masqué du cultissime Bonnie & Clyde - jusque dans son titre forcément évocateur -; une proposition marketing irrésistible et accrocheuse, dégainant autant la banderole du so cool, avec deux comédiens transpirant le charisme de tous leurs pores - Daniel Kaluuya et Jodie Turner-Smith.
Ce serait évidemment stupide, mais beaucoup le feront, à n'en pas douter (c'est même une certitude).



Pourtant, sans trop s'échiner à gratter sa surface, on réalise très vite que cette fausse relecture gribouillée sur un bout de serviette en plein apéro (un couple de criminels traversent les États-Unis pour survivre et fuir les autorités), a une résonance bien plus importante qu'elle ne laisse le présager de prime abord, mais surtout une richesse proprement estomaquante pour un premier film.
Co-écrit par James Fray et la géniale Lena Whaite, Queen & Slim est un road movie qui en a méchamment sous le capot - et le mot est faible -, traçant les contours d'une fuite en avant démarrant comme le plus traumatisant premier rendez-vous de l'histoire des dates Tinder (un dîner banal suivi d'un contrôle policier de routine qui débouche sur une bagarre et le meurtre d'un policier blanc au coeur de l'Ohio), avant de subitement virer sur une quête de survie dangereuse et palpitante, ou les deux héros, inconnus l'un pour l'autre, se retrouvent comme les sujets déconcertés et effrayés d'une mythification publique totalement incontrôlable et démesurée.
C'est là ou la filiation facile avec Bonnie & Clyde perd tout son sens, mais ou celle avec le chef-d'oeuvre de Ridley Scott Thelma & Louise, devient incroyablement limpide, et encore plus accoudé à un esprit de Black Lives Matter qui ne fait que rendre sa vision importante et fascinante (même si elle omet pleinement d'offrir un regard consistant au camp opposé, ce que ne manquait pas de faire le bijou de Scott).



Constamment - ou presque - sous pression, le film aborde des sujets urgents et difficiles avec bravoure, soin et une décontraction rare, noue l'estomac tel un jet d'adrénaline jazzy aux signaux musicaux exaltants, qui se laisse parfois le temps de reprendre son souffle, via des séquences intimes et calmes qui s'orientent autour des questions raciale, de perception (celles qu'ils ont d'eux-mêmes, que le monde à d'eux, etc.., d'héritage ou encore de l'amour naissant entre les deux personnages centraux.
Des anti-héros empathiques car formidablement bien croqués (la caractérisation est formidablement évolutive), des êtres stables qui existaient pleinement avant leur arrivée à l'écran, et dont on n'apprend finalement que très peu de chose (suffisamment pour déceler ce qui les oppose), la narration dévoilant astucieusement, au fil des discussions personnelles et des rencontres qui émaillent leur voyage, les traits de caractère divergents qui les opposent.
Deux figures bien distinctes mais complémentaires, dont le basculement brutal du côté obscur n'est jamais prémédité et encore moins désiré, tant ils sont autant les victimes que les coupables d'une situation à la banalité effarante (une bavure...) au coeur d'une Amérique profonde qui n'a de cure que de régler ses problèmes raciaux, et qui est douloureusement gangrené par une présence étouffante des médias déformant tout dans sa course à l'immédiateté.



Engagé, théâtral et ironique à la fois (notamment dans quelques joutes verbales Tarantinesque à souhait), incarné à la perfection (Daniel Kaluuya, tout en émotion et en retenue, explose tout sur son passage, tandis que Jodie Turner-Smith est brillante et touchante en bourreau de travail fier et solitaire qui s'ouvre progressivement à la possibilité de l'amour et du lâcher prise) et mise en boîte avec ferveur (Matsoukas à une caméra curieuse et agile, et offre un regard profondément pictural à sa fuite en avant onirique); plus qu'un simple road movie initiatique, Queen & Slim est un bouillant et nécessaire plaidoyer sur les fêlures béantes d'une société Américaine à l'agonie.
Un premier essai magnétique, sans fioritures, débordant de générosité et à la colère urgente, dont la prévisibilité s'avère plus souvent une force qu'un défaut.
On appelle ça un coup de maître.


Jonathan Chevrier

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