[CRITIQUE] : La fille au bracelet
Réalisateur : Stéphane Demoustier
Acteurs : Melissa Guers, Roschdy Zem, Chiara Mastroianni, Annie Mercier, Anaïs Demoustier, Pascal-Pierre Garbarini,...
Distributeur : Le Pacte
Budget : -
Genre : Drame, Judiciaire
Nationalité : Français
Durée : 1h36min
Synopsis :
Lise, 18 ans, vit dans un quartier résidentiel sans histoire et vient d'avoir son bac. Mais depuis deux ans, Lise porte un bracelet car elle est accusée d'avoir assassiné sa meilleure amie.
Critique :
#LaFilleauBracelet apparaît plus comme une loupe qui scrute nos adolescents (qui en prenant possession de leurs individualités, deviennent de véritables étrangers) qu’un véritable procès pour meurtre. Les masques tombent et le clivage des générations est mis à nu (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/YSQPSuTUNx— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) February 13, 2020
Parce que les titres peuvent parfois nous induire en erreur et nous inspirer, La fille au bracelet, le troisième long-métrage de Stéphane Demoustier n’est pas un film en costume du XVIIème siècle , ni même une peinture, mais bien un film de procès, ancré dans notre époque actuelle. Le bracelet fait ici référence à celui que doit porter l'héroïne, Lise, jeune fille de dix-huit ans, assignée à résidence en attendant son procès qui doit décider, si oui ou non elle a poignardé sa meilleure amie. Loin de l'esbroufe que l’on peut s’attendre d’un procès pour meurtre (et l’imaginaire que l’on a, très américanisé), le cinéaste s’applique à mettre en scène d’une façon quasi chirurgicale une cour d’assise française, allant jusqu’à confier le rôle du président du tribunal à un véritable avocat.
Le parti pris du réalisateur est très simple : il ne veut pas prendre un point de vue marqué, caractérisé par la scène d’ouverture. Nous voyons au loin la famille Bataille à la plage et Lise se faire arrêter devant ses parents et son petit frère. La caméra ne s’approche pas, le son ne nous atteint pas. La volonté est limpide, on nous laisse à l’extérieur sciemment, spectateur des derniers instants d’innocence d’une jeune adolescente, qui sera incarcérée six mois, avant d’être assignée à résidence. La plage, la liberté, les grands espaces ne feront plus partis de la mise en scène après cette séquence. Les personnages seront séparés par les plans, le décor, isolement mis en image pour montrer la distance que met forcément une enquête en cours, même parmi une famille aimante et bien sur tout rapport. Deux ans après l’arrestation, Lise, jouée par Melissa Guers se prépare pour son procès. Le personnage nous apparaît calme, silencieuse, distante de son père (Roschdy Zem), qui s’inquiète de l’issu de l’enquête. La famille est désunie et nous les voyons peu ensemble dans la même pièce. La mère, Chiara Mastroianni, décide même de ne pas accompagner sa fille au procès, non pas parce qu’elle la croit coupable, mais parce qu’elle essaye de garder un semblant de vie, illusoire. La mécanique se met en route, le procès avance, les chef d’accusation sont annoncés clairement : Flora Dufour a été poignardé sept fois, Lise a malheureusement le mobile et aucun alibi solide au moment du meurtre. Un mois avant, Flora avait diffusé une vidéo à caractère pornographique de Lise, sans son consentement. Est-ce un mobile solide ? Pour l’avocate générale, interprétée par Anaïs Demoustier, il est claire que Lise est coupable. Mais pour nous jurés/spectateurs, qu’en est-il ?
Stéphane Demoustier ne veut pas nous rendre la tâche facile et s'emploie à se faire succéder les différents éléments de l’enquête, ainsi que différents témoignages, à charge ou décharge de l’accusée, servant à alimenter le doute, à sonder le vrai du faux, ainsi qu’à appréhender le caractère de Lise, très différent de celui qu’elle présente face à la cour, stoïque, sans émotion. Le doigt est pointé sur la vie de Lise, ses mœurs, ses moindres secrets affichés aux yeux de tous, surtout de ses parents, qui les découvrent en même temps que nous. Nous voyons dérouler devant nos yeux le récit d’une adolescence décomplexée, d’une jeune femme en quête de plaisir, sans tabou et surtout sans barrière. Mais ce dévoilement de cette sexualité est fait avec tant de jugement de valeur qu’il crée un déséquilibre dans le témoignage de Lise, un gouffre de génération, où une jeune femme accusée de meurtre doit aussi tenir compte du nombre de partenaire qu’elle a eu et voir que de ce fait, son témoignage n’a plus autant d’importance qu’avant. Que répondre face à cette incompréhension ? Lise reste silencieuse. Est-ce parce qu’elle est coupable, ou parce qu’il n’y a rien à ajouter de plus au slut-shaming qui se déroule, quand sa vie sexuelle est scrutée point par point ?
Qu’est-ce que l’on sait de la vie de nos adolescents, nous dit l’avocate qui défend Lise. La fille au bracelet apparaît plus comme une loupe qui scrute les faits et gestes de nos adolescents, qu’un véritable procès pour meurtre. Les masques tombent, les vérités éclatent et le clivage des générations est mis à nu. Si le manque de point de vue tranché sur le récit en lui-même peut déstabiliser, Stéphane Demoustier rétablit l’équilibre avec son sous-texte sur le mystère de nos enfants, qui en prenant possession de leur individualité, deviennent de véritables étrangers.
Laura Enjolvy